SOC. PRUD'HOMMES CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 6 décembre 2011
Rejet
M. BAILLY, conseiller le plus ancien faisant fonction de
président
Arrêt no 2547 F-D
Pourvoi no U 10-19.998
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Roland Z, domicilié Morchain,
contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2009 par la cour d'appel d'Amiens
(5e chambre sociale, cabinet A), dans le litige l'opposant à la
société Grave-Wallyn et Randoux, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est Saint-Quentin, prise en sa qualité de mandataire ad'hoc de la société Syral Neslé, dissoute depuis le 27 novembre 2008,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 3 novembre 2011, où étaient présents M. Bailly, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Contamine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lambremon, conseiller, M. Lalande, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Contamine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. Z, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Grave Wallyn et Randoux, l'avis de M. Lalande, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 17 novembre 2009), que M. Z a été engagé par contrat du 5 février 1979 par la société Orsan, devenue Jet inter puis Syral Nesle avant d'être dissoute et représentée par la société Grave Wallyn et Randoux en qualité de mandataire ad hoc ; qu'il occupait en dernier lieu les fonctions de coordinateur de nettoyage ; qu'à la suite d'une mise à pied conservatoire il a été licencié pour faute grave le 17 mars 2006 ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave et de le débouter de ses demandes de rappel de salaires, de dommages-intérêts et d'indemnité conventionnelle de licenciement et de préavis alors, selon le moyen
1o/ que seule la qualification de faute grave donnée aux faits ayant justifié une mise à pied conservatoire est de nature à faire obstacle au paiement des salaires dus pendant l'exécution de cette mesure ; que, parmi les agissements reprochés à M. Z comme constitutifs d'une faute grave, celui tiré de la propagation d'une rumeur concernant la vie privée d'une salariée de la société Jet inter a été écarté comme non établi ; qu'en déboutant dès lors M. Z de sa demande de rappel de salaires pour la période de mise à pied tout en constatant qu'il résultait de la lettre de licenciement que cette mesure n'avait été prononcée que pour faire cesser la propagation de la rumeur susvisée, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-3 du code du travail ;
2o/ que les juges du fond ne doivent pas dénaturer les termes des écrits soumis à leur examen ; qu'en retenant qu'il ressortait des attestations concordantes émanant de Mme ..., MM. ..., ... et ..., salariés de la société Jet inter que M. Z avait utilisé à plusieurs reprises et à des fins étrangères aux intérêts de son employeur et aux buts poursuivis par celui-ci, le service de la société Jet inter pour faire réaliser la vidange des fosses sceptiques de particuliers et de tiers quand une seule seulement de ces quatre attestations, émanant de M. ..., a fait état d'ordres donnés par M. Z à cette fin, la cour d'appel a dénaturé les termes des attestations susvisées et a violé l'article 1134 du code civil ;
3o/ qu'en retenant que les faits reprochés à M. Z constituaient une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise sans tenir compte de son ancienneté de 27 ans et de ce qu'il n'avait jamais fait l'objet de sanctions auparavant, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3, L. 1234-1 et 1234-5 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté, sans dénaturation, que le salarié, qui avait la responsabilité de la coordination du nettoyage, a utilisé à plusieurs reprises, à des fins étrangères aux intérêts de son employeur, les services de ce dernier pour faire réaliser la vidange des fosses sceptiques de particuliers et de tiers, les contenus de celles-ci étant ensuite vidangés sur ses instructions expresses dans le réseau des eaux usées d'une société cliente de l'entreprise au mépris des engagements contractuels pris entre celle-ci et son employeur, la cour d'appel a pu décider que ces comportements, nonobstant l'ancienneté du salarié et son absence de précédent disciplinaire, rendaient impossible son maintien dans l'entreprise et constituaient une faute grave ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils pour M. Z
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de monsieur Z reposait sur une faute grave et d'AVOIR débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaires, de dommages-intérêts et d'indemnités conventionnelle de licenciement et de préavis ;
AUX MOTIFS QUE monsieur Roland Z, engagé le 5 février 1979 en qualité de coordinateur nettoyage par la société Orsan aux droits de laquelle est venue la société Tate and Lyle France devenue à son tour la société Syral Nesle, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 13 mars 2006 par lettre remise en main propre le 24 février précédent, mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 mars 2006, motivée comme suit " Au cours de notre entretien du lundi 13 mars 2006, en la présence de M. ... nous vous avons exprimé les faits qui vous sont reprochés.
Nous avons eu à déplorer de votre part plusieurs agissements constitutifs de faute grave ; en effet, vous avez fait l'objet d'une mise à pied à caractère conservatoire en date du 24 février pour faire cesser votre action de propagation d'une rumeur portant atteinte à la dignité, la vie privée et à l'intégrité professionnelle de mademoiselle ... et de monsieur ....
Vous nous avez expliqué que vous n'étiez pas l'initiateur de cette rumeur et avez reconnu après que nous vous ayons informé que nous étions en possession d'attestations sur l'honneur de plusieurs personnes vous déclarant comme unique propagateur de celle-ci, que vous n'aviez fait que colporter ces propos diffamatoires.
Cet acte pour le moins délictuel et pénalement répréhensible, a eu pour effet de déclencher le mécontentement de bon nombre de personnes qui nous ont alors fait part de doléances à votre encontre, dont nous n'avions pas eu connaissance préalablement.
Il ressort de ces déclarations que vous avez utilisé à plusieurs reprises et à des fins personnelles, pour votre compte ou celui d'autrui, le service de la société Jet Inter pour vidanger des fosses sceptiques de particuliers, et que sur votre ordre, les contenus de celles-ci ont été vidangés dans notre réseau collectant nos eaux sanitaires envoyées vers sa station d'épuration de Nesle.
Vous nous avez expliqué qu'il agissait là d'un arrangement avec un membre de l'encadrement de ladite société, que les intervenants étaient tous rémunérés de la main à la main et à votre connaissance tous consentants.
Vous avez reconnu, dans les mêmes conditions, avoir fait découper une souche à haute pression au sein de votre propriété.
Ce faisant, vous avez favorisé le travail illégal et potentiellement privé ces intervenants de couverture sociale, ce qui, en votre qualité de manager, est inacceptable.
Vous avez aussi reconnu avoir bénéficié de largesses de la part de certains de nos sous-traitants, cadeaux et invitations diverses, sans jamais en informer votre hiérarchie, ni lui demander son avis.
Tous ces faits constituent une violation caractérisée de notre code de déontologie, mais aussi de notre règlement intérieur ainsi que de notre charte d'engagement, que vous avez signée.
Vous avez abusé de votre pouvoir et usé de biens privés pour votre usage personnel et celui d'autrui.
De par ces faits, vous avez porté atteinte à l'image de marque de notre société, préjudicié à son intégrité morale et à sa notoriété publique, bien que vous nous ayez assuré n'avoir jamais voulu lui nuire.
Ces actes mettent en cause la confiance que nous vous accordions.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de ceux-ci, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prendra donc effet immédiatement à la date de première présentation de la lettre recommandée à votre domicile, sans indemnités de préavis ni de licenciement. " ;
Que contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, monsieur Z a saisi le conseil de prud'hommes de Peronne, qui statuant par jugement du 15 septembre 2008, dont appel, s'est prononcé, comme indiqué précédemment ; que la preuve des faits constitutifs de faute grave incombe l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise ; que, concernant le grief tiré de l'atteinte à la vie privée de madame ..., les pièces produites aux débats ne permettent pas en l'état de tenir les faits reprochés au salarié comme établis avec certitude ; qu'en effet, si monsieur ... atteste de ce que monsieur Z l'a averti au cours du mois de février 2006 de l'existence d'une rumeur circulant dans l'usine et relative aux "aventures sexuelles" que madame ..., salariée de la société Jet Inter, aurait eues au sein même de la société Tate & Lyle, rien ne permet d'établir que monsieur Z ait été à l'origine de cette rumeur ou ait participé à sa propagation, madame ... elle-même se bornant dans son attestation à relater son refus de l'utilisation par monsieur Z dans des conditions étrangères au contrat liant leurs deux sociétés des salariés placés sous sa responsabilité, puis à faire état de rumeurs la concernant sans que ces deux événements puissent être mis en rapport entre eux de façon certaine, en sorte que, le doute devant lui profiter comme prévu à l'article L.122-14-3, dernier alinéa (L.1235-1 nouveau) du code du travail, ce grief doit être écarté ; qu'en revanche, il ressort des attestations concordantes émanant de nombreux salariés de la société Jet Inter, prestataire de services pour le compte notamment de la société Tate & Lyle, madame ..., messieurs Mermans, Vannieuwenhove et Merville, que monsieur Z, en sa qualité de manager chargé de la coordination nettoyage, a utilisé à plusieurs reprises et à des fins étrangères aux intérêts de son employeur et aux buts poursuivis par celuici, le service de la société Jet Inter pour faire réaliser la vidange des fosses sceptiques de particuliers et de tiers, les contenus de celles-ci étant ensuite vidangés sur ses instructions expresses dans le réseau de la société Tate & Lyle collectant ses eaux sanitaires pour être envoyées ensuite vers une station d'épuration ; que Monsieur Z en utilisant dans un but personnel, la société Jet Inter et le temps de travail de certains de ses salariés, au mépris des engagements contractuels pris entre cette société et son employeur, la société Tate & Lyle, et en faisant usage d'autre part des infrastructures (notamment le réseau collecteur des eaux usées) et des ressources de cette dernière société, a sciemment agi au mépris des intérêts de son employeur et en méconnaissance de ses obligations contractuelles, dans des conditions rendant impossible son maintien dans l'entreprise, même durant la durée limitée du préavis ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera infirmé et monsieur Z débouté de l'intégralité de ses prétentions relatives à la rupture de son contrat de travail ;
1o) ALORS QUE seule la qualification de faute grave donnée aux faits ayant justifié une mise à pied conservatoire est de nature à faire obstacle au paiement des salaires dus pendant l'exécution de cette mesure ; que, parmi les agissements reprochés à monsieur Z comme constitutifs d'une faute grave, celui tiré de la propagation d'une rumeur concernant la vie privée d'une salariée de la société Jet Inter a été écarté comme non établi ; qu'en déboutant dès lors monsieur Z de sa demande de rappel de salaires pour la période de mise à pied tout en constatant qu'il résultait de la lettre de licenciement que cette mesure n'avait été prononcée que pour faire cesser la propagation de la rumeur susvisée, la cour d'appel a violé l'article L.1332-3 du code du travail ;
2o) ALORS QUE les juges du fond ne doivent pas dénaturer les termes des écrits soumis à leur examen ; qu'en retenant qu'il ressortait des attestations concordantes émanant de madame ..., messieurs Mermans, Vannieuwenhove et Merville, salariés de la société Jet Inter que monsieur Z avait utilisé à plusieurs reprises et à des fins étrangères aux intérêts de son employeur et aux buts poursuivis par celui-ci, le service de la société Jet Inter pour faire réaliser la vidange des fosses sceptiques de particuliers et de tiers quand une seule seulement de ces quatre attestations, émanant de monsieur ..., a fait état d'ordres donnés par monsieur Z à cette fin, la cour d'appel a dénaturé les termes des attestations susvisées et a violé l'article 1134 du code civil ;
3o) ALORS QU 'en retenant que les faits reprochés à monsieur Z constituaient une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise sans tenir compte de son ancienneté de 27 ans et de ce qu'il n'avait jamais fait l'objet de sanctions auparavant, la cour d'appel a violé les articles L.1235-3, L.1234-1 et 1234-5 du code du travail.