Jurisprudence : CE 3 SS, 16-11-2011, n° 326913



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

326913

MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
c/ société Fralsen holding

Mme Anne Egerszegi, Rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, Rapporteur public

Séance du 10 octobre 2011

Lecture du 16 novembre 2011

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème sous-section)


Vu le pourvoi présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, enregistré le 8 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 07NC00888 du 5 février 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société Fralsen Holding, venant aux droits de la société Fralsen Horlogerie, a annulé le jugement du 14 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Besançon avait rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2001, et a prononcé la décharge de ce supplément d'impôt ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinie, avocat de la SA Fralsen Holding,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinie, avocat de la SA Fralsen Holding ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Fralsen Horlogerie, aux droits de laquelle vient la société Fralsen Holding, a consenti entre 1997 et 2001 des avances en compte courant assorties d'intérêts à sa filiale, la société Timex France, à hauteur d'un montant cumulé de 43 041 468 francs (6 561 629, 50 euros) ; que, les créances correspondantes étant devenues irrécouvrables, elle a déduit la perte en résultant de ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2001 à hauteur de 23 290 868 francs (3 550 669, 94 euros) ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a, notamment, remis en cause cette déduction au motif qu'en consentant ces avances, la société Fralsen Horlogerie n'avait pas agi dans le cadre d'une gestion commerciale normale ; que, par l'arrêt contre lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à l'appel de la société Fralsen Holding, l'a déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés établie en conséquence de ce redressement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 38 et 39 du code général des impôts, applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que les pertes résultant du non-remboursement de créances détenues par une entreprise ne relèvent d'une gestion commerciale normale que s'il apparaît qu'en constituant de telles créances, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que cet intérêt n'est pas méconnu lorsqu'une entreprise consent à une filiale des avances de trésorerie rémunérées dans des conditions normales ; qu'il en va autrement si, compte tenu de la solvabilité de cette filiale et du montant de ces avances, l'entreprise prend un risque qui, au regard de l'intérêt que présente pour elle l'accès de sa filiale à des facilités de trésorerie, excède manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut, eu égard aux informations dont il dispose, être conduit à prendre, dans une situation normale, pour améliorer les résultats de son entreprise ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre faisait valoir, devant la cour administrative d'appel de Nancy, que compte tenu, d'une part, du montant des avances déjà octroyées par la société Fralsen Horlogerie à sa filiale, la société Timex France, qui s'étaient traduites en 1997, à la suite d'une opération de recapitalisation de la filiale, par des pertes en capital à hauteur de 38 millions de francs (5 793 062, 66 euros) supportées par la société Fralsen Horlogerie et, d'autre part, de la circonstance que malgré cette opération de recapitalisation, le chiffre d'affaires et les résultats de la société Timex France avaient continué de se détériorer, la société Fralsen Horlogerie ne pouvait ignorer qu'en consentant de nouvelles avances d'un montant comparable, elle prenait un risque disproportionné eu égard à l'intérêt marginal que représentait pour elle la poursuite de l'activité de sa filiale ; que la cour, en se bornant à écarter cette argumentation au motif " qu'il était conforme à [l'intérêt de la société Fralsen Horlogerie] de continuer à permettre la poursuite de l'activité [de sa filiale] " et que la société Fralsen Horlogerie " justifie de l'intérêt que présentait pour elle le fait d'accorder des avances à sa filiale au cours des années 1998 à 2001 ", sans se prononcer, comme l'y invitait le ministre, sur la solvabilité de la société Timex France ni sur l'existence et l'ampleur du risque pris en consentant ces avances, a insuffisamment motivé sa décision ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est fondé, pour ce motif, à en demander l'annulation ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 5 février 2009 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Fralsen Holding au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à la société Fralsen Holding.

Délibéré dans la séance du 10 octobre 2011 où siégeaient : M. Alain Ménéménis, Président de sous-section, Président ; Mme Marie-Hélène Mitjavile, Conseiller d'Etat et Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes-rapporteur.

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