CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
342965
SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Rapporteur
Mme Nathalie Escaut, Rapporteur public
Séance du 5 octobre 2011
Lecture du
9 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 3 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE, dont le siège est 8 rue Christophe Colomb à Paris (75008) ; la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les paragraphes 1 et 4 de la documentation administrative référencée 3 C 2161, en tant qu'elle refuse l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la vente de produits pharmaceutiques pour lesquels une autorisation de mise sur le marché n'a pas été obtenue et est ainsi incompatible avec le droit communautaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires reprise par la directive 2006/112/CE du Conseil du 26 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
Considérant que le recours formé à l'encontre des dispositions impératives de circulaires ou d'instructions par lesquelles l'autorité administrative interprète les lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en uvre doit être accueilli s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ; que la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE qui commercialise sous la marque Mercurochrome de l'éosine à 2 % et de l'alcool camphré à 70° demande l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes 1 et 4 de la documentation administrative référencée 3 C-2161, mise à jour le 30 mars 2001, commentant les dispositions de l'article 278 quater du code général des impôts, en tant qu'elle refuse l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la vente de médicaments ou produits pharmaceutiques n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché ;
Considérant qu'en vertu du a) du paragraphe 3 de l'article 12 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 et de l'annexe H à cette directive devenus l'article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 et le 3 de l'annexe III, les Etats membres peuvent appliquer un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux produits pharmaceutiques normalement utilisés pour les soins de santé, la prévention des maladies et le traitement à des fins médicales ; que l'article 278 quater du code général des impôts, pris en application de ces dispositions, prévoit que la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 5, 50 % sur les opérations de vente portant sur les préparations magistrales, les produits officinaux ainsi que sur les médicaments ou produits pharmaceutiques destinés à l'usage de la médecine humaine, en réservant pour ces dernières catégories de biens le bénéfice du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché délivrée conformément aux dispositions de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique ;
Considérant, en premier lieu, que le a) du paragraphe 3 de l'article 12 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 et l'annexe H à cette directive ne font pas obstacle à ce que les Etats membres fassent une application sélective du taux réduit et soumettent un même produit ou une même prestation de services à des taux différents de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que cette distinction ne porte pas atteinte au principe de la neutralité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée et n'est pas de nature à entraîner une distorsion de concurrence, compte tenu du caractère spécifique des marchés sur lesquels ces produits ou services sont proposés ; que, par suite, le législateur pouvait, sous réserve du respect du principe de neutralité fiscale, réserver le bénéfice du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à une catégorie de médicaments et de produits pharmaceutiques plus restreinte que celle visée à l'annexe H de la directive sans méconnaître les dispositions communautaires mentionnées ci-dessus ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, auquel renvoie l'article 278 quater du code général des impôts, toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement qui n'a pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Communauté européenne devenue l'Union européenne doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 5124-1 et L. 5124-3 du code de la santé publique que seuls les établissements pharmaceutiques, dont l'ouverture est subordonnée à une autorisation délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, sont habilités à distribuer les médicaments devant faire l'objet d'autorisations de mise sur le marché ; qu'ainsi, en subordonnant l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée pour les médicaments à la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché, le législateur a entendu exclure du bénéfice de ce taux réduit la vente de produits par les sociétés n'ayant pas la qualité d'établissement pharmaceutique, telle la société requérante, ainsi qu'il ressort des écritures du ministre, non contredites sur ce point ; que ces conditions de mise sur le marché des médicaments obéissent à des impératifs de sécurité sanitaire et de santé publique ; que, dès lors, eu égard aux finalités que le législateur poursuivait, la distinction qu'il a établie au regard de la loi fiscale entre les médicaments selon qu'ils ont été ou non soumis à la procédure légale d'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, repose sur des critères objectifs, alors même que ces médicaments présenteraient la même valeur curative ou préventive ;
Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, en réservant le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la seule distribution des médicaments ayant régulièrement fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, le législateur s'est fondé sur des objectifs de santé publique ; que si la société soutient qu'il en résulterait une distorsion de concurrence constitutive d'une atteinte à la neutralité de cette taxe, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que, compte tenu de la différence de garanties dont les médicaments bénéficient dans l'un ou l'autre cas, ces produits ne peuvent être regardés par les consommateurs comme ayant la nature de produits substituables ; que, par suite, les dispositions de l'article 278 quater du code général des impôts ne méconnaissent pas le principe communautaire de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée au regard du jeu de la concurrence ;
Considérant qu'en réitérant la règle fixée à cet article, laquelle n'est pas contraire aux dispositions de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, la documentation administrative référencée 3 C-2161 n'a pas méconnu ces dispositions ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE n'est pas fondée à demander l'annulation des paragraphes 1 et 4 de la documentation administrative qu'elle attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LABORATOIRE JUVA SANTE et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
Délibéré dans la séance du 5 octobre 2011 où siégeaient : M. Christian Vigouroux, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Alain Ménéménis, M. Gilles Bachelier, Présidents de sous-section ; Mme Marie-Hélène Mitjavile, Mme Caroline Martin, Conseillers d'Etat ; Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur-rapporteur et M. Guillaume Prévost, chargé des fonctions de Maître des Requêtes.