COMM. FB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 18 octobre 2011
Cassation sans renvoi
Mme FAVRE, président
Arrêt no 1020 FS-P+B
Pourvoi no N 10-19.647
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ la société L7, société civile immobilière, dont le siège est Gannat,
2o/ M. François Y, domicilié Espinasse-Vozelle,
contre l'arrêt rendu le 14 avril 2010 par la cour d'appel de Riom (chambre commerciale), dans le litige les opposant
1o/ à M. Pascal X, domicilié Montluçon, pris en qualité de liquidateur judiciaire de M. François Régis Y,
2o/ à M. Jean-Claude W, domicilié Clermont-Ferrand, pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de l'EURL IMHOTEP.,
3o/ à M. Frédéric U, domicilié Lapalisse, pris en qualité de mandataire ad hoc de la société civile immobilière L7,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 20 septembre 2011, où étaient présents Mme Favre, président, M. Le Dauphin, conseiller rapporteur, MM. Petit, Jenny, Mmes Pezard, Laporte, Bregeon, Mandel, MM. Grass, Fédou, Mmes Mouillard, Wallon, conseillers, Mme Michel-Amsellem, MM. Pietton, Delbano, Mmes Tréard, Texier, conseillers référendaires, Mme Batut, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Le Dauphin, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société L7 et de M. Y, de Me Balat, avocat de M. X, ès qualités, l'avis de Mme Batut, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu l'article L. 621-9 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicable en la cause, ensemble l'article 1844 du code civil ;
Attendu que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire d'une personne physique emporte dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, mais ne le dessaisit pas de l'exercice des droits attachés à sa personne ; qu'il s'ensuit qu'en cas de mise en liquidation judiciaire de l'associé d'une société civile, le liquidateur de son patrimoine n'a pas qualité pour exercer les actions liées à sa qualité d'associé ou de gérant et concernant le patrimoine de la personne morale, non plus que son droit de participer aux décisions collectives ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y, gérant et associé de la société civile immobilière L7 (la SCI), dont il détenait 99 % des parts, a été mis en liquidation judiciaire par jugement du 20 décembre 2005, M. X étant désigné en qualité de liquidateur ; que les statuts de la SCI prévoyaient que les retraits de sommes figurant en comptes courants d'associés interviendraient en accord avec le gérant et qu'à défaut d'accord, ils ne seraient possibles que moyennant un préavis d'au moins dix huit mois ; que sur la requête de M. X, ès qualités, un mandataire ad hoc a été désigné avec mission de tenir une assemblée générale des associés de la SCI appelée à se prononcer, notamment, sur la modification de ces stipulations et sur l'obligation de la SCI de rembourser les comptes courants d'associés à première demande ; que la SCI et M. Y, faisant valoir que le liquidateur judiciaire n'avait pas qualité pour former une telle demande, ont saisi le juge des référés aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt, après avoir relevé que le comportement de M. Y est l'expression d'une volonté délibérée d'entraver l'exercice normal de ses droits patrimoniaux par le liquidateur judiciaire, retient que la demande de remboursement de son compte courant d'associé fait naître un conflit d'intérêts entre la personne morale et l'associé et place ainsi ce dernier dans l'impossibilité d'assumer la direction de la SCI à l'occasion des démarches et instances entreprises pour l'exercice de ses propres droits patrimoniaux ; qu'il relève encore qu'il était donc bien de l'intérêt de la SCI d'être représentée par un mandataire ad hoc, M. Y ne pouvant agir pour la préservation de ses droits patrimoniaux au sein de la SCI, tout en étant le représentant de celle-ci ; que l'arrêt en déduit que c'est dans l'exercice régulier de sa mission de liquidateur judiciaire que M. X a demandé la désignation d'un mandataire ad hoc dont la mission doit être limitée aux nécessités de l'exercice des droits patrimoniaux de M. Y ; qu'il ajoute que cette mesure ne fait obstacle ni à l'exercice par ce dernier de son droit de vote d'associé, sous réserve qu'il ne porte pas sur des intérêts patrimoniaux, représentés par son liquidateur, ni à la poursuite de sa fonction de gérant de la SCI en dehors de la mission spéciale donnée au mandataire ad hoc ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rétracte l'ordonnance rendue sur requête le 24 juin 2008 ;
Déclare M. X, ès qualités, irrecevable en ses demandes ;
Le condamne aux dépens ;
Dit que les dépens afférents à la première instance et à l'instance d'appel seront supportés par M. X, ès qualités ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour la société L7 et M. Y.
Il est reproché à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'avoir ordonné la désignation d'un mandataire ad hoc (Maître U) pour une société (SCI L7), investi de la mission de convoquer et de tenir une assemblée générale extraordinaire aux lieu et place du gérant en exercice (Monsieur Y), en se conformant aux exigences de la loi, notamment en établissant le procès-verbal y afférent, destinée à se prononcer sur la modification des conditions de remboursement des comptes courants d'associés et sur l'obligation de la société de les rembourser à première demande ainsi que sur l'autorisation de libérer les fonds détenus par un notaire tiers saisi (Maître ...) au profit du liquidateur du gérant (Maître X ès qualités) dans la limite de 1.160.769,63 euros ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE si la requête sollicitait la désignation d'un administrateur provisoire dès le débat intervenu contradictoirement en première instance, Maître X concluait à la désignation d'un administrateur ad hoc et considérait que la mission de Maître U était terminée depuis la tenue de l'assemblée générale extraordinaire du 29 juillet 2008 ; que les appelant désignaient eux-mêmes Maître U sous la qualité d'administrateur ad hoc ; qu'en conséquence, quand bien même l'ordonnance attaquée du 15 octobre 2008 n'aurait pas répondu aux conclusions tendant à voir rectifier l'ordonnance sur requête en ce qu'elle avait nommé Maître U en qualité d'administrateur provisoire, il n'existait aucune ambiguïté sur le fait que la mission confiée à Maître U était en fait, non pas celle d'un administrateur provisoire chargé d'une mission générale de gestion, mais celle d'un mandataire ad hoc, investi d'une mission limitée ; que les conséquences significatives sur l'étendue du dessaisissement corrélatif de l'organe légal de représentation de la personne morale, avaient particulièrement leur importance en l'espèce, dès lors que la désignation d'un administrateur provisoire emportait dessaisissement général du représentant légal tandis que la désignation d'un mandataire ad hoc conférait un pouvoir spécial de représentation en principe défini et limité par la décision de nomination ; que Maître X, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur Y, tenu d'exercer les droits patrimoniaux du débiteur au sein de la SCI L7, s'était attaché à engager les procédures utiles pour obtenir, avec la célérité qu'imposait la gestion des procédures collectives, la libération des fonds au profit de la liquidation judiciaire de Monsieur Y, dès qu'il avait eu connaissance de l'existence du compte courant de Monsieur Y, révélé seulement à l'occasion de l'expertise judiciaire instituée pour l'estimation des parts sociales de la SCI L7 ; que le refus opposé par Monsieur Y, gérant de la SCI L7, de s'expliquer sur les comptes sociaux, de produire le moindre document comptable depuis 1999, son silence sur l'existence de son compte courant d'associé au sein de la SCI L7, l'absence de tenue d'assemblée générale, étaient l'expression d'une volonté délibérée d'entraver l'exercice normal de ses droits patrimoniaux par le liquidateur judiciaire ; qu'en outre, la demande de remboursement du compte courant d'associé de Monsieur Y faisait naître un conflit d'intérêts entre la personne morale et l'associé et par voie de conséquence plaçait Monsieur Y dans l'impossibilité d'assumer la direction de la SCI L7 à l'occasion des démarches et instances entreprises pour l'exercice de ses propres droits patrimoniaux ; qu'il était donc bien de l'intérêt de la SCI L7 d'être représentée par un mandataire ad hoc, Monsieur Y ne pouvant agir pour la préservation de ses droits patrimoniaux au sein de la SCI L7 tout en étant le représentant de la société ; que d'ailleurs en soulignant dans ses écritures que le règlement d'une créance en compte courant non exigible ne servait pas l'intérêt général, la SCI L7 apportait, s'il en était besoin, la démonstration du conflit d'intérêts entre l'exercice du droit patrimonial de l'associé et l'intérêt social ; que la clause prévoyant, à l'article 6.7 des statuts de la SCI L7 relatif aux comptes courants d'associés, que les retraits étaient fixés en accord avec le gérant, et qu'à défaut d'accord exprès en ce sens, les retraits n'étaient possibles que moyennant préavis minimum de dix huit mois, imposait obligatoirement, la représentation de la personne morale par un mandataire ad hoc car Monsieur Y ne pouvait valablement consentir à un accord avec lui-même ; qu'en conséquence, c'était dans l'exercice régulier de sa mission de liquidateur judiciaire de Monsieur Y que Maître X avait demandé la désignation d'un mandataire ad hoc dont la mission devait toutefois être limitée aux nécessités de l'exercice des droits patrimoniaux de Monsieur Y découlant du compte courant d'associé ; que Maître X avait pris soin d'attraire dans la procédure Maître W ès qualités de liquidateur judiciaire de l'EURL IMHOTEP, détentrice de 1% des parts sociales, Monsieur Y détenant 99% des parts ; qu'au vu de l'ensemble de ces considérations, la mission impartie au mandataire ad hoc devait être confirmée à l'exception du chef relatif à la révocation du gérant, seul le remplacement du gérant par un mandataire ad hoc pour les nécessités de la convocation et de la tenue de l'assemblée générale extraordinaire chargée de se prononcer sur les deux premières demandes de résolution étant justifié pour les motifs déjà explicités ; que la décision attaquée serait donc partiellement infirmée en ce sens ; qu'au demeurant, Maître X considérait à juste titre que la mission de Maître U avait pris fin à la suite de la tenue de l'assemblée générale du 29 juillet 2008 ; que la désignation d'un mandataire ad hoc, investi d'une mission limitée permettant de résoudre le conflit d'intérêts ponctuel décrit ci-dessus, ne faisait obstacle ni à l'exercice par Monsieur Y de son droit de vote d'associé, sous réserve qu'il ne porte pas sur des intérêts patrimoniaux, représentés par le liquidateur judiciaire, ni à la poursuite de sa fonction de gérant de la SCI L7 en dehors de la mission spéciale donnée au mandataire ad hoc (arrêt pages 5 et 6) ;
ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE du fait de la liquidation judiciaire de Monsieur Y, Maître X exerçait les droits de Monsieur Y associé de la SCI L7 ; que du fait de sa liquidation judiciaire, Monsieur Y devait, en vertu des statuts de la SCI L7, se retirer de celle-ci et devenait dès lors créancier de la SCI L7 à concurrence de la valeur de ses droits sociaux, laquelle valeur, du fait de la créance en compte courant de Monsieur Y, était nulle ; que si la SCI L7 ne se trouvait pas dissoute puisqu'elle ne faisait pas l'objet d'une procédure collective, elle continuait de fonctionner sous la gérance de Monsieur Y dont le liquidateur exerçait toutefois les droits conférés par la possession de 99% des parts sociales ; que Maître X exerçait les droits patrimoniaux de Monsieur Y, en liquidation judiciaire personnelle ; que compte tenu du comportement passé de Monsieur Y qui avait fait l'objet d'une condamnation pénale, Maître X avait pu légitimement redouter une dissipation des fonds qui devaient revenir à la liquidation Y et ce d'autant que Monsieur Y avait fait part de sa créance en compte courant ; qu'en l'espèce, il y avait identité de vue entre les droits patrimoniaux de Monsieur Y qui étaient exercés par Maître X et les droits extra-patrimoniaux de Monsieur Y gérant de la SCI L7 ; que Monsieur Y tentait de mettre obstacle, en sa qualité d'associé majoritaire et de gérant de la SCI L7, à l'action de Maître X qui poursuivait le recouvrement contre la SCI L7 de la créance en compte courant de Monsieur Y, laquelle devait revenir à la liquidation Y ; que si Monsieur Y était gérant de la SCI L7, il faisait preuve à cet égard d'une inaction totale n'ayant pas même convoqué d'assemblée générale, ni justifié de sa gestion ; qu'en procédant ainsi, il tentait de mettre en échec le recouvrement par Maître X des sommes à lui revenir au titre du compte courant d'associé ; que la demande de Maître X était à la fois recevable et bien fondée et surtout conforme à la mission qui lui avait été confiée suite à la liquidation personnelle de Monsieur Y (ordonnance de référé page 5) ;
1o) ALORS QUE en cas de liquidation judiciaire, le débiteur associé d'une société civile immobilière, peut seul exercer le droit de vote que lui confèrent les parts sociales qu'il détient, ainsi que les droits extrapatrimoniaux s'y rattachant ; qu'en reconnaissant à Maître X, ès qualités de liquidateur de Monsieur Y, qualité pour exercer, aux lieu et place de ce dernier, le droit de vote d'associé portant sur ses intérêts patrimoniaux découlant du compte courant d'associé et en le déclarant par suite recevable à solliciter la désignation d'un administrateur ad hoc aux fins de convocation d'une assemblée générale ayant notamment pour objet de modifier les statuts sur ce point, la cour d'appel a violé les articles 1836 et 1844 du Code civil, ainsi que l'article L 622-9 alinéa 1 du Code de commerce ;
2o) ALORS QUE subsidiairement, la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en décidant d'une part, que la désignation d'un mandataire ad hoc était rendue nécessaire en ce que la demande de remboursement du compte courant d'associé de Monsieur Y faisait naître un conflit d'intérêts entre la personne morale et l'associé et, par voie de conséquence, plaçait Monsieur Y dans l'impossibilité d'assumer la direction de la SCI L7 à l'occasion des démarches et instances entreprises pour l'exercice de ses propres droits patrimoniaux, et que Monsieur Y ne pouvait agir pour la préservation de ses droits patrimoniaux au sein de la SCI L7, tout en étant le représentant de sa société, tout en décidant d'autre part, que Maître X ès qualités exerçait le droit de vote de Monsieur Y en ce qu'il portait, comme en l'espèce, sur des intérêts patrimoniaux découlant du compte courant d'associé, ce dont il résultait que Monsieur Y n'intervenait qu'en qualité de gérant, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
3o) ALORS QUE subsidiairement, dans les rapports entre associés, le gérant d'une société civile peut accomplir tous les actes de gestion que demande l'intérêt de la société ; il exerce en outre les pouvoirs qui lui sont conférés par les statuts ; que pour court-circuiter le gérant qui, selon les statuts, devait autoriser les retraits relatifs aux comptes courants d'associés, et désigner un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale invitée à statuer sur la modification de cette disposition statutaire et à autoriser la libération des fonds en l'espèce, l'arrêt retient que cette mesure est rendue nécessaire pour la préservation de l'intérêt social de la SCI L7 ; qu'en statuant ainsi, sans relever l'existence d'une demande adressée au gérant en vue du retrait de la créance en compte et un refus abusif opposé par ce dernier et alors que la mission confiée au mandataire ad hoc, à la demande du liquidateur chargé de recouvrer les fonds appartenant à son débiteur, et appelé à voter en ses lieu et place, avait pour conséquence d'obliger la société au remboursement immédiat d'une créance en compte courant d'un montant de 1.160.769,63 euros, la cour d'appel a statué par des motifs insusceptibles de caractériser la poursuite d'un quelconque intérêt social et privé sa décision de base légale au regard des articles 1836 et 1848 du Code civil.