CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
386219
ELECTIONS MUNICIPALES DE PORT-DE-BOUC
Mme Anne Egerszegi, Rapporteur
M. Vincent Daumas, Rapporteur public
Séance du 7 juillet 2015
Lecture du
27 juillet 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème sous-section)
Vu la procédure suivante :
M. B. A. a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 30 mars 2014 dans la commune de Port-de-Bouc en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires. Par un jugement n° 140552 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif a rejeté sa protestation.
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2014 et 5 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B. A. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces opérations électorales ;
3°) de mettre à la charge de Mme C. la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B. A. et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme D. ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que lors du second tour des opérations électorales qui s'est déroulé le 30 mars 2014 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Port-de-Bouc, la liste conduite par Mme C., maire sortante, est arrivée en tête en recueillant 3 989 voix. La liste conduite par M. A. a obtenu 3 766 voix. Par un jugement du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la protestation de M. A. tendant à l'annulation de ces opérations électorales. M. A. fait appel de ce jugement.
Sur le moyen tiré de l'inscription sur la liste électorale de personnes n'habitant plus la commune de Port-de-Bouc :
2. Aux termes de l'article L. 11 du code électoral : " Sont inscrits sur la liste électorale à leur demande : / 1° tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins (.) ". S'il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'article L. 11 du code électoral, il lui incombe en revanche de rechercher si des manuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin.
3. M. A. soutient que plusieurs personnes n'habitant plus la commune sont demeurées inscrites sur les listes électorales de celle-ci. Il n'avait toutefois développé devant le tribunal administratif aucune argumentation tendant à établir l'existence d'une manuvre dans l'établissement de la liste électorale. Ce grief nouveau est par suite irrecevable, faute d'avoir été présenté dans le délai fixé par l'article R. 119 du code électoral.
Sur les moyens relatifs à l'organisation d'une campagne de promotion publicitaire des réalisations de la commune :
4. L'article L. 52-1 du code électoral dispose : " Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. / A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ".
5. En premier lieu, M. A. soutient que la diffusion du bulletin municipal du mois de février 2014 a constitué une campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions précitées de l'article L. 52-1 du code électoral. Il résulte toutefois de l'instruction que le contenu de ce bulletin n'a pas eu un tel caractère, dès lors en particulier que ni la retranscription des propos tenus par la maire lors de la cérémonie des vux pour 2014 ni les réponses apportées par la municipalité sur la question de la réforme des rythmes scolaires ne font référence aux prochaines échéances électorales. L'illustration de cette publication par quelques photographies sur lesquelles figurent la maire et certains de ses adjoints n'a pas excédé les limites de la communication institutionnelle.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la distribution du magazine destiné aux jeunes de Port-de-Bouc, intitulé " Bouc'in ", dans les boîtes aux lettres la veille du scrutin et sa mise à disposition dans des présentoirs devant le bureau de vote n° 9 le jour du scrutin n'a pas constitué une violation de l'article L. 52-1 du code électoral, dès lors qu'aucun élément de cette publication, qui n'alimentait pas la polémique électorale, n'est susceptible d'être rattaché à une campagne de promotion publicitaire ou à un procédé de publicité commerciale.
7. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral doivent être écartés.
Sur le moyen relatif à la suspension des tribunes libres dans le bulletin d'information générale de la commune :
8. Aux termes de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur. "
9. Si la décision de suspendre la publication de la tribune libre réservée, dans le bulletin municipal, à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale pendant la période précédant le scrutin électoral constitue une violation des dispositions précitées de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales et est de nature à porter atteinte au droit d'expression reconnu aux élus concernés par la loi, une telle décision ne peut être regardée, en elle-même, comme les ayant privés d'un moyen de propagande électorale. Il résulte de l'instruction que la suspension de la publication de la tribune libre dans le bulletin municipal de Port-de-Bouc s'est accompagnée de celle de l'éditorial du maire et que le bulletin municipal a par ailleurs conservé un caractère informatif, sans être utilisé à des fins de propagande électorale. Par suite, la décision de suspendre la tribune libre dans le bulletin municipal de Port-de-Bouc ne peut être regardée comme ayant été de nature à porter atteinte à l'égalité entre les candidats ni à altérer la sincérité du scrutin.
Sur les moyens tirés de l'utilisation des moyens de la commune en violation de l'article L. 52-8 du code électoral :
10. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services, ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ".
11. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, il résulte de l'instruction que les vux prononcés par la maire lors de la cérémonie traditionnelle qui s'est tenue en janvier 2014, ne faisaient pas référence aux futures élections municipales et ne contenaient pas d'élément de polémique électorale.
12. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la cérémonie de remise par la maire d'un insigne de l'Ordre national de la Légion d'honneur au président de son comité de soutien, ancien maire de la commune de 1990 à 2005 et député de la circonscription de 1997 à 2012, ait constitué une manifestation à fin électorale, organisée en violation des dispositions précitées de l'article L 52-8 du code électoral. Il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'aient constitué de telles manifestations la cérémonie conviviale organisée le 21 mars 2014 par le président de l'office du tourisme à l'occasion du quarantième anniversaire de cet office, ni le banquet organisé au foyer des personnes âgées par la famille d'une pensionnaire à l'occasion du centième anniversaire de celle-ci.
13. En troisième lieu, les allégations de M. A. selon lesquelles des chèques-vacances et bons d'achats auraient été distribués gratuitement par les membres de l'équipe municipale sortante ne sont assorties d'aucun commencement de preuve.
14. En quatrième lieu, la circonstance que des affiches et tracts appelant à voter pour la liste conduite par Mme C. aient été imprimés par l'imprimeur habituellement sollicité par la commune de Port-de-Bouc ne suffit pas à établir que ces supports de campagne électorale auraient été financés par les moyens de la commune en méconnaissance de l'article L. 52-8 du code électoral.
15. Par suite, les moyens tirés de l'utilisation des moyens de la commune en méconnaissance de l'article L. 52-8 du code électoral doivent être écartés.
Sur les autres moyens relatifs au déroulement de la campagne électorale :
16. En premier lieu, si, selon le procès verbal de constat établi le 21 mars 2014 par huissier de justice, des mentions injurieuses ont été inscrites sur une affiche de campagne de M. A. ainsi que sur du mobilier urbain et une affiche de la liste menée par M. A. a été arrachée, il ne résulte pas de l'instruction que ces agissements, pour regrettables qu'ils soient, aient revêtu un caractère massif et aient été ainsi susceptibles d'affecter la sincérité du scrutin.
17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que si des propos publiés sur la page " Facebook " de Mme C. les 21, 23 et 24 mars 2014 contiennent des attaques de polémique électorale à l'égard de M. A., ce dernier a été en mesure de répondre avant le deuxième tour de l'élection qui s'est tenu le 30 mars 2014, à ces propos. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction que ces propos aient fait l'objet d'une large diffusion.
18. En quatrième lieu, si le procès verbal dressé le 29 mars 2014 par un huissier de justice a relevé la présence de tracts en faveur de la liste conduite par Mme C. dans la poubelle de deux immeubles du boulevard Voltaire et sur deux voitures garées à proximité, la veille du second tour des élections, il n'est pas établi que ces tracts auraient été distribués ce même jour, en méconnaissance de l'article L. 49 du code électoral.
19. En cinquième lieu, si M. A. soutient avoir été victime d'une rumeur malveillante la veille et le jour même du second tour du scrutin, les seules attestations qu'il produit, faisant état de " jeunes " qui auraient interpellé les électeurs devant deux bureaux de vote, ne permettent pas, en tout état de cause, de la tenir pour établie.
20. En dernier lieu, M. A. fait valoir qu'ont été diffusés deux tracts édités par la Confédération générale du travail (CGT) Port-de-Bouc et le Parti Communiste Français (PCF), intitulés " Lutter et bien voter pour mieux résister " et " Vivement Dimanche ", appelant à voter pour la liste conduite par Mme C. Toutefois, en l'absence de toute précision sur son ampleur, il ne résulte pas de l'instruction que la diffusion de ces deux tracts, alors même qu'ils ont eu pour objet exclusif de soutenir la candidature de Mme C., ait été susceptible d'exercer une influence sur la sincérité du scrutin.
Sur les moyens relatifs au déroulement des opérations de vote et de dépouillement :
21. Aux termes de l'article R. 60 du code électoral : " Les électeurs de communes de plus de 1 000 habitants et plus doivent présenter au président du bureau, au moment du vote, en même temps que la carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu, un titre d'identité ; la liste des titres valables est établie par ministre de l'intérieur ".
22. En premier lieu, si M. A. fait état d'une défaillance du contrôle de l'identité des électeurs dans plusieurs bureaux de vote, il n'établit ni même n'allègue que les électeurs admis à voter sans produire de titre d'identité n'auraient pas été régulièrement inscrits sur la liste électorale ou qu'ils auraient voté sous une fausse identité. En l'absence de toute indication de nature à établir l'existence d'une manuvre, le moyen ne peut dès lors qu'être écarté.
23. En deuxième lieu, M. A. n'établit pas que la présence de groupes de personnes devant les bureaux de vote n° 2, 3, 4, 5, 6, 7, 12 et 13, attestée par un huissier de justice, aurait été de nature à exercer une pression sur les électeurs se présentant à ces bureaux de vote. S'il résulte de l'instruction que M. A. produit des attestations faisant état de ce que certains jeunes auraient interpellé les électeurs, ces faits, à les supposer établis, n'ont pu avoir, compte tenu de leur ampleur limitée, une influence sur les résultats du scrutin. La circonstance que Mme C. ait obtenu, au second tour de scrutin, dans ces bureaux de vote, un pourcentage de voix plus élevé que dans les autres bureaux ne suffit pas davantage à démontrer l'existence de pressions sur les électeurs.
24. En troisième lieu, M. A. n'établit pas, par la seule attestation qu'il produit, que des pressions auraient été exercées sur les agents municipaux afin qu'ils votent pour la maire sortante et signent une pétition de soutien à sa candidature.
25. En quatrième lieu, si M. A. soutient que des personnes âgées ont voté au second tour alors qu'elles s'étaient abstenues lors du premier tour, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à établir qu'une pression aurait été exercée sur cette catégorie d'électeurs.
26. En cinquième lieu, si une électrice a constaté que, lors du premier tour des élections, une signature avait déjà été apposée à côté de son nom, cette circonstance, à la supposer établie, est, en tout état de cause, sans incidence sur les opérations de vote du second tour.
27. En sixième lieu, si M. A. soutient que des bulletins rayés ont été irrégulièrement comptabilisés au profit de Mme C. au bureau de vote n° 4, il résulte de l'instruction qu'aucune mention en ce sens n'a été portée sur le procès verbal de ce bureau.
28. En dernier lieu, contrairement aux affirmations de M. A., le grief tiré de ce que des signatures différentes figureraient sur les listes d'émargement entre les deux tours n'a été soulevé devant le tribunal administratif de Marseille que, pour la première fois, dans son mémoire produit le 9 mai 2014 soit, après l'expiration du délai de recours. Ce nouveau grief n'est donc pas recevable.
Sur les moyens relatifs au financement de la campagne électorale :
29. En premier lieu, M. A. soutient que le coût des affiches en couleur éditées par le Parti Communiste Français (PCF) doit être intégré au compte de campagne de Mme C. Toutefois, il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, dans sa décision du 23 juillet 2014, que ces affiches conçues, financées et diffusées nationalement par le PCF ne mentionnaient le nom d'aucune ville ni d'aucun candidat. Dès lors, le coût de cet affichage n'avait pas à être inscrit au compte de campagne de Mme C.
30. En deuxième lieu, M. A. soutient que devait également être intégré au compte de campagne de Mme C. le coût d'édition et de diffusion de deux tracts édités par la CGT Port-de-Bouc et le PCF, intitulés " Lutter et bien voter pour mieux résister " et " Vivement Dimanche ", et appelant à voter pour elle. Toutefois, s'il résulte de l'instruction, comme il a été dit au point 20, que ces deux tracts ont eu pour objet exclusif de soutenir la candidature de Mme C., M. A. n'a pas présenté de conclusions tendant au rejet du compte de campagne de cette dernière.
31. Il résulte de tout ce qui précède que M. A. n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa protestation.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme C. qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme C. au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A. est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme C. présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B. A., à Mme E. et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.