CIV. 1 FB COUR DE CASSATION
Audience publique du 15 mai 2015
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt no 521 FS-P+B
Pourvoi no T 14-11.894
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ M. Z Z, domicilié Villeurbanne cedex,
2o/ la Chambre syndicale des courtiers d'assurances Rhône-Alpes Auvergne (Sycra), dont le siège est Lyon,
contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2013 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 5), dans le litige les opposant
1o/ à la société Legal and General France, société anonyme,
2o/ à la société Legal and General risques divers, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège Paris, défenderesses à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 avril 2015, où étaient présents Mme Batut, président, Mme Verdun, conseiller rapporteur, Mme Crédeville, conseiller doyen, M. Delmas-Goyon, Mmes Kamara, Dreifuss-Netter, M. Girardet, Mmes Wallon, Ladant, Duval-Arnould, M. Truchot, conseillers, Mmes Fouchard-Tessier, Canas, M. Vitse, Mmes Barel, Le Gall, conseillers référendaires, M. Cailliau, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Verdun, conseiller, les observations de la SCP Odent et Poulet, avocat de M. Z et de la Sycra, l'avis de M. Cailliau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'association Médecins sans frontières (l'association) a, par l'entremise de M. Z, courtier, souscrit, auprès des sociétés Legal and General France et Legal and General risques divers (les assureurs), deux contrats d'assurances collectives, prenant effet au 1er janvier 2002 et stipulés tacitement reconductibles d'année en année sauf dénonciation, par le souscripteur ou l'assureur, moyennant un préavis de deux mois, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que le 3 novembre 2009, les assureurs ont informé le courtier que ces contrats allaient être " détachés de [son] portefeuille à effet du 31 décembre 2009, et ce, conformément à la demande " de l'association, puis lui ont transmis, le 6 novembre, une copie de la lettre de " résiliation " adressée par l'assurée, et précisé, dans une lettre du 16 avril 2010, que cette dénonciation était accompagnée d'un ordre de remplacement au profit d'un autre intermédiaire, par l'entremise duquel de nouveaux contrats avaient été négociés et conclus avec effet au 1er janvier 2010 ; que, soutenant que ces opérations avaient été menées en violation des usages no 3 et 7 du courtage d'assurances terrestres, M. Z a assigné les assureurs en indemnisation de ses préjudices ; que la chambre syndicale des courtiers d'assurances de Rhône-Alpes Auvergne est intervenue volontairement à l'instance ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, qui est préalable
Vu les articles 1134 et 1165 du code civil, ensemble l'article L.113-12 du code des assurances ;
Attendu que, pour rejeter les demandes, l'arrêt retient qu'il résulte des usages professionnels que le courtier conserve son droit à commission jusqu'à dénonciation régulière de la police, que les assureurs ne justifient pas de l'envoi, par l'assuré, d'une lettre de dénonciation de ses contrats, par voie recommandée avec demande d'avis de réception comme prévu aux conditions générales, mais que l'absence de preuve de l'expédition d'une telle lettre, simple formalité probatoire destinée à vérifier le respect du délai de préavis contractuel, est sans incidence sur la validité de la dénonciation en l'absence de litige avec l'assureur sur la date de sa réception ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'envoi de la lettre recommandée, prescrite par l'article L. 113-12 du code des assurances pour l'exercice de la faculté bilatérale de résiliation ou de dénonciation annuelle, dont la date est seule prise en compte pour déterminer le respect du délai de préavis, est une formalité substantielle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur la première branche du même moyen Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que, pour se prononcer comme il le fait, l'arrêt relève encore que, par des lettres distinctes datées du 28 octobre 2009, l'association a régulièrement dénoncé ses contrats plus de deux mois avant leur échéance, fixée au 31 décembre 2009, et qu'elle a donné concomitamment un mandat exclusif de remplacement au profit d'un nouveau courtier, ce qui a fait perdre à M. Z son droit à rémunération sur les polices initiales ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette dénonciation, irrégulière, était sans incidence sur le maintien du droit à commission du courtier apporteur par application de l'usage no 3 du courtage, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation du texte susvisé ;
Et sur la troisième branche du même moyen Vu les articles 1134 et 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire de M. Z, qui soutenait qu'en l'informant tardivement de l'ordre de remplacement accompagnant la dénonciation des polices à leur échéance, les assureurs avaient contribué à l'évincer de son droit à commission et à le priver d'une partie de sa clientèle, l'arrêt retient que ces derniers lui ont adressé, dès le 6 novembre 2009, une copie de la lettre de résiliation expédiée par l'association le 28 octobre 2009, en précisant qu'ils ne traitaient pas directement avec l'assuré, et lui ont indiqué, par lettre du 16 avril 2010, que l'ordre de résiliation était accompagné d'un ordre exclusif de remplacement au bénéfice d'un autre courtier ; qu'il ajoute que ces informations permettaient à M. Z de se rapprocher en temps utile de sa mandante pour connaître les raisons de sa décision et le cas échéant faire valoir sa position, ce qu'au demeurant il a fait, comme il l'a écrit à l'assureur le 18 novembre 2009 ;
Qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à établir que le courtier apporteur avait été informé sans délai, et au plus tard avant la délivrance de la nouvelle police, conformément à l'usage no 7 du courtage, que la dénonciation des polices était accompagnée d'un ordre de remplacement au profit d'un autre courtier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne les sociétés Legal and General France et Legal and General risques divers aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Legal and General France et Legal and General risques divers à payer à M. Z et la Sycra la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour M. Z et la Sycra.
II est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait débouté M. Z de ses demandes en indemnisation, dirigées contre les sociétés Légal and General France et Légal and General Risques Divers ;
AUX MOTIFS QU'il résulte des usages du courtage, que le courtier apporteur ou créateur conserve son droit à commission jusqu'à dénonciation régulière de la police accompagnée, soit d'une révocation du mandat donné à ce courtier si l'assuré traite directement avec l'assureur, soit d'un ordre exclusif de remplacement, mettant fin à son droit à commissionnement ; qu'en l'espèce, il ressortait des pièces produites en original que, par deux lettres distinctes datées du 28 octobre 2009, MSF avait informé Légal and General, d'une part, de ce qu'elle résiliait ses polices d'assurances santé et prévoyance contractées par l'intermédiaire de M. Z à effet du 31 décembre 2009, d'autre part, qu'à compter de ce jour, elle désignait SIACI SAINT HONORE comme son mandataire exclusif pour la négociation, le placement et la gestion de ces mêmes contrats ; qu'était versée aux débats une enveloppe à l'en-tête de MSF portant le nom et l'adresse de Légal and General postée au vu du cachet de la poste y figurant le 29 octobre 2009 et compostée par l'assureur le 30 octobre ; que, certes, les sociétés Légal and General ne rapportaient pas la preuve de l'envoi par l'assuré en recommandé avec accusé de réception de sa lettre de dénonciation des contrats, comme prévu aux conditions générales, le bordereau de recommandé collé au verso de l'enveloppe susvisée n'étant pas complété et tamponné par les services postaux ; que, cependant, la lettre recommandée avec accusé de réception ne constituait qu'une formalité probatoire, visant notamment à vérifier le respect du délai de préavis contractuel, qui n'affectait pas la validité de la dénonciation en l'absence de litige avec l'assureur sur la date de sa réception ; que MSF avait dénoncé les contrats plus de deux mois avant leur échéance fixée au 31 décembre 2009, puisque, comme il l'avait été vu ci-dessus, sa lettre datée du 28 octobre avait été postée le 29 et réceptionnée par l'assureur le 30 octobre 2009, ce que confirmaient le courrier électronique adressé le même 30 octobre au nouveau courtier pour l'informer de ce qu'elle avait pris bonne note de l'ordre de remplacement formulé par MSF à son profit et l'inviter à revenir vers elle " afin d'étudier les modalités d'émission des nouveaux contrats à effet du 1er janvier 2010 en remplacement des contrats cités en objet qui seront, quant à eux, résiliés au 31 décembre 2009 à minuit " et celui adressé le 3 novembre suivant à M. Z pour l'informer de ce que les contrats seraient " détachés de son portefeuille à effet du 31 décembre 2009 et ce, conformément à la demande de la société (MSF) " ; qu'il était donc établi que MSF avait régulièrement dénoncé ses contrats et donné concomitamment un mandat exclusif de remplacement au profit d'un nouveau courtier, faisant ainsi perdre à M. Z son droit à commission sur lesdits contrats ; que, s'agissant de l'information à donner au courtier, l'assureur aurait sans doute dû être plus explicite dans son message électronique à M. Z du 3 novembre 2009 et l'aviser expressément de ce que sa perte de droit à commission résultait de la dénonciation de ses contrats par MSF, accompagnée d'un ordre de remplacement au profit d'un autre courtier ; que l'article 7 des usages du courtage n'impose pas à l'assureur de joindre la copie de l'ordre de remplacement et de la dénonciation de la police à l'information prévue par ce texte ; qu'à la demande de M. Z, l'assureur lui avait adressé dès le 6 novembre 2009 copie de la lettre de résiliation des contrats de MSF du 28 octobre 2009, en lui précisant qu'elle ne traitait pas en direct avec cet assuré, et lui avait indiqué par lettre du 16 avril 2010 que l'ordre de résiliation s'accompagnait d'un ordre exclusif de remplacement au bénéfice d'un autre courtier ; que ces informations, en particulier celles contenues dans la lettre du 6 novembre 2009, permettaient à M. Z de se rapprocher en temps utile de sa mandante pour connaître les raisons de sa décision et, le cas échéant, faire valoir sa position, ce qu'au demeurant il avait fait, comme il l'avait écrit à l'assureur dans sa lettre du 18 novembre 2009 ; que M. Z ne justifiait dès lors d'aucun préjudice lié à un manquement de l'assureur à son devoir d'information ; que M. Z, qui n'a pas cru devoir mettre en cause MSF ni son nouveau courtier, la société SIACI SAINT HONORE, pourtant principale bénéficiaire de l'ordre de remplacement, ne rapporte pas la preuve du comportement déloyal qu'il impute à LEGAL & GÉNÉRAL afin de le spolier de son droit à commission, qui, en l'absence de manoeuvres caractérisant un détournement de clientèle, ne saurait résulter ni du fait que la société PREVINFORM, gestionnaire des contrats en litige depuis 2002, dépend du groupe SIACI, ni du fait que LEGAL & GÉNÉRAL a accepté le remplacement par MSF de ses polices santé et prévoyance à compter du 1er janvier 2010, alors que rien n'interdit à l'assuré de souscrire un contrat de remplacement, identique au précédent, auprès de la même entreprise d'assurance par l'intermédiaire d'un autre courtier après dénonciation régulière accompagnée d'un ordre de remplacement ; en conséquence, les demandes de M. Z sont infondées ; il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui l'en a débouté ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE par courriel du vendredi 30.10.2009 18h22, Légal et General faisait part à SIACI de la décision de MSF à son égard lui demandant de se mettre en rapport avec elle afin d'étudier les modalités 'émission des nouveaux contrats à effet du 1er janvier 2010 en remplacement des contrats cités en objet et qui seront résiliés au 31.12.2009 ; que sauf à accuser Légal et General de manipulation dans les dates de ses courriels, ce courriel confirme en tout point sa position comme quoi MSF a simultanément résilié les contrats et fait parvenir à Légal et General un ordre de remplacement au profit d'un nouveau courtier ; que l'article 7 des usages du courtage prévoit pour l'assureur dans un cas semblable la nécessité de prévenir son client, ce que Légal et General a fait dès le 3.11.2009 à 18h32 mais sans aucune obligation pour l'assureur de transmettre les différents courriers reçus de son client MSF ; qu'il apparaît donc qu'aucune faute n'a été commise par Légal et General de nature à engager sa responsabilité, le tribunal déboutera Mr Z Z et la SYCRA de toutes leurs demandes de dommages et intérêts à rencontre de Légal et General ;
1o ALORS QUE le courtier conserve son droit à commission sur une police qu'il a apportée, aussi longtemps que celle-ci n'a pas été régulièrement dénoncée par l'assuré ; qu'en énonçant que les polices d'assurance souscrites par la société MSF avaient été régulièrement dénoncées à leur terme contractuel, ce dont il aurait résulté que M. Z avait perdu son droit à commission à cette date, après avoir pourtant constaté que la preuve de leur dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception n'avait pas été rapportée, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales qui s'induisaient de ses propres constatations au regard des articles 1134, 1315 du code civil et L. 113-12 du code des assurances ;
2o ALORS QUE le courtier apporteur d'une police conserve son droit à commission tant qu'elle n'a pas été régulièrement dénoncée pour son terme contractuel et qu'un ordre de remplacement ne lui a pas été opposé ; qu'en jugeant que la société MSF avait régulièrement dénoncé ses polices d'assurance, ce qui avait fait perdre à M. Z son droit à commission, au prétexte que la formalité de la lettre recommandée avec accusé de réception ne constituait qu'une formalité probatoire qui n'affectait pas la validité de la dénonciation en l'absence de litige avec l'assureur sur la date de sa réception, tandis qu'en l'absence de dénonciation régulière, le courtier conserve son droit à commission, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1165 du code civil et L. 113-12 du code des assurances ;
3o ALORS QUE l'assureur à qui le courtier a apporté une police doit l'informer sans délai - et en tout cas avant la délivrance de la police nouvelle - de la dénonciation de celle-ci, ainsi que de l'ordre de remplacement qui l'accompagnait, faute de quoi il engage sa responsabilité ; qu'en jugeant que les sociétés Légal and General n'avaient pas engagé leur responsabilité à l'égard de M. Z même si elles ne l'avaient informé de l'ordre de remplacement délivré par la société MSF que le 16 avril 2010, au prétexte que le courtier n'avait qu'à se rapprocher en temps utile de sa mandante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du code civil.