ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 217647
M.DEPALLE
M. Vallée, Rapporteur
M. Bachelier, Commissaire du gouvernement
Séance du 6 février 2002
Lecture du 6 mars 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux,
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 21 février 2000, présentée pour M. Louis DEPALLE, demeurant au lieu-dit "Douchenez" à Monistrol d'Allier (43580) ; M. DEPALLE demande au Conseil d'Etat
1°) d'annuler l'arrêt du 8 décembre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du 20 mars 1997 du tribunal administratif de Rennes et l'a condamné à mettre les lieux dans leur état antérieur à l'édification de la maison située au lieu-dit "Kérion" à Arradon (Morbihan) sur le domaine public maritime et ce, dans un délai de trois mois à compter de la notification dudit arrêt, l'administration pouvant, passé ce délai, procéder d'office à l'exécution de la mesure prescrite aux frais, risques et périls de l'occupant ;
2°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution dudit arrêt;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme qui ne saurait être inférieure à 30 000 F (4573 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ainsi que son premier protocole additionnel, ratifiés en vertu de la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 et publiés par décret n° 74-360 du 3 mai 1974 ;
Vu le code du domaine de l'Etat modifié par la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994;
Vu la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 ;
Vu la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 ;
Vu le code de justice administrative;
Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de M. Vallée, Auditeur,
- les observations de Me Blondel, avocat de M. DEPALLE,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux arrêtés en date du 5 octobre 1889, le préfet du Morbihan a, en contrepartie du paiement d'une redevance, autorisé M. Ardeven à "conserver sur le domaine public maritime dans l'anse de Kérion, commune d'Arradon, un terre-plein... supportant une maison d'habitation" ; que ladite maison, édifiée antérieurement à ces arrêtés par l'intéressé lui-même, a ensuite fait l'objet de transmissions entre personnes privées, à titre onéreux ou par voie de succession, avant d'être acquise par M. et Mme DEPALLE par un acte notarié en date du 3 novembre 1960 ; qu'à compter de cette date, les intéressés ont régulièrement obtenu des autorisations d'occupation temporaires successives pour le terre-plein en cause ; que la dernière en date est venue à expiration le 31 décembre 1992 ; que, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 3 janvier 1986 alors en vigueur, le préfet du Morbihan, par une décision en date du 6 septembre 1993, a refusé d'accorder à M. et Mme DEPALLE le renouvellement de leur autorisation et leur a proposé de leur accorder une autorisation limitée leur interdisant notamment toute cession ou transmission de la maison et du terrain; que les intéressés ont refusé cette proposition et ont sollicité le bénéfice d'une concession d'endigage sur le fondement de l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat ; que cette demande a été rejetée le 9 mars 1994 par le préfet du Morbihan ; qu'à la suite de deux mises en demeure en date des 4 juillet 1994 et 10 avril 1995, un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé à l'encontre de M. DEPALLE pour occupation sans titre du domaine public; que M. DEPALLE se pourvoit contre l'article 3 de l'arrêt en date du 8 décembre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement en date du 20 mars 1997 du tribunal administratif de Rennes, l'a condamné à remettre les lieux dans leur état antérieur à l'édification de la maison en cause, et ce, dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt, l'administration pouvant, passé ce délai, procéder d'office à l'exécution de la mesure aux frais, risques et périls de l'occupant;
Considérant qu'en jugeant que le requérant ne peut utilement se prévaloir, pour contester l'obligation de remettre les lieux dans leur état antérieur à l'édification de la maison sur le domaine public maritime, de l'ancienneté de l'occupation des lieux, ni de ce que l'administration a toléré la poursuite de cette occupation après le 31 décembre 1992, la cour a suffisamment motivé son arrêt ; qu'elle a, ce faisant, expressément répondu, en le rejetant, au moyen tiré de ce que, si la remise en l'état des lieux s'imposait, ledit état ne pouvait être que celui existant à la date de l'acquisition de la maison et non celui antérieur à son édification;
Considérant que la cour n'a pas commis l'erreur de droit en jugeant que faction en réparation des dommages causés au domaine public ne constitue pas une accusation en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Considérant que pour juger que le terre-plein litigieux soustrait à faction du flot n'était pas sorti du domaine public maritime, la cour s'est fondée sur ce que ledit terre-plein est le produit de travaux fexondement réalisés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 28 novembre 1963 susvisée qui n'avaient pas été autorisés dans les formes prévues pour les concessions à charge d'endigage ; qu'eu statuant ainsi, la cour, qui s'est, à cet égard, référée aux résultats de l'instruction, n'a ni entaché son arrêt d'une inexactitude matérielle, ni commis une erreur de droit dans la dévolution de la charge de la preuve de l'irrégularité de fexondement, ni, en tout état de cause, méconnu le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que l'obligation de réparer les dommages causés au domaine public, qui a pour seul objet l'assurer le respect de son intégrité, ne présente pas le caractère d'une sanction; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et méconnu l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution de 1958, ainsi que l'article 18 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en refusant d'admettre le caractère disproportionné de la sanction constituée par l'obligation de remise des lieux en leur état primitif, est inopérant ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. DEPALLE ne peut se prévaloir d'aucun droit réel sur la parcelle litigieuse et sur les immeubles qui y ont été édifiés; que la cour n'a, par suite, commis aucune erreur de droit en jugeant que l'obligation de remise en l'état de ladite parcelle sans indemnisation préalable du requérant ne constitue pas une mesure prohibée par l'article t 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique; qu'elle n'a pas davantage méconnu les dispositions de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que l'intéressé ne peut utilement invoquer, sur ce point, les dispositions de l'article L. 34-1 du code du domaine de l'Etat , dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 1994, qui; aux termes de l'article L. 34-9 du même code, ne s'appliquent pas au domaine public naturel ;
Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ; que, dès lors que tel n'est pas le cas en l'espèce, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime doit, en tout état de cause, être écarté ;
Considérant, enfin, que, contrairement à ce que soutient le requérant,, la cour n'a commis aucune erreur de droit en ne relevant pas d'office le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que l'administration l'aurait privé des moyens d'organiser sa défense en établissant le procès-verbal de contravention de grande voirie trois ans après l'expiration de la dernière autorisation d'occupation temporaire du domaine public ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. DEPALLE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat , qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser au requérant la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article 1er : La requête de M. DEPALLE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Louis DEPALLE, au ministre de l'équipement, des transports et du logement et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.