TA Saint-Martin, du 31-05-2024, n° 2400061
A43775ET
Référence
Par une requête, un mémoire en réponse et des pièces complémentaires, enregistrés les 15 et 29 mai 2024, Mme B A, représentée par Me Benoît Arvis, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L.521-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre la décision du 20 février 2024 de la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin prononçant son licenciement sans préavis ni indemnité ;
2°) d'enjoindre à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin de procéder à sa réintégration dans un délai de cinq jours suivant la notification de la présente ordonnance ;
3°) de mettre à la charge de la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- l'urgence est constituée dans la mesure où, en raison de son licenciement, elle est privée de ressources financières ;
- deux personnes membres de la commission mixte paritaire ont voté alors qu'elles ne figuraient pas sur la liste des votants ;
- elle aurait dû passer devant une commission mixte paritaire dédiée aux catégories A, de plus un suppléant ne peut siéger avec un titulaire ;
- son droit de se taire a été méconnu ;
- son entier dossier ne lui a pas été communiqué ;
- la commission consultative paritaire a été irrégulièrement composée, ne comprenant que des agents de catégorie C alors qu'elle est une catégorie A ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation compte tenu du contexte très dégradé du service dont elle était en charge ;
- cette décision souffre également de nombreuses erreurs de fait ;
- à titre subsidiaire la sanction prononcée est disproportionnée.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés les 27, 28 et 29 mai 2024, la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin, représentée par Me Aubert, conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête n° 2400058, enregistrée le 13 mai 2024, par laquelle A demande l'annulation de la décision du 20 février 2024.
Vu :
- la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;
- le décret n°88-145 du 15 février 1988🏛 ;
- la décision du Conseil constitutionnel 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 ;
- la décision de la Cour administrative d'appel de Paris du 2 avril 2024 n° 22PA03578 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 29 mai 2024, en présence de Mme Lubino, greffière d'audience :
- le rapport de M. Gouès, juge des référés ;
- les observations de Me Arvis, représentant Mme A ;
- et les observations de Me Aubert, représentant la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 de ce code🏛 : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire ".
2. Mme A demande la suspension de la décision du 20 février 2024 prononçant son licenciement sans préavis ni indemnité, décision dont elle a demandé l'annulation par requête séparée, enregistrée le 13 mai 2024 sous le n° 2400058.
3. En premier lieu, Mme A justifie de l'urgence de sa situation dans la mesure où elle est privée de revenus depuis son licenciement, objet du présent litige, sans qu'on puisse y opposer l'argument soulevé en défense selon lequel elle n'aurait pas fait toutes diligences pour obtenir un revenu de remplacement.
4. En second lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l'objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire.
5. En l'espèce, Mme A soutient, sans être contredite par la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin, qu'elle n'a pas été informée du droit qu'elle avait de se taire lors de la procédure disciplinaire. Dès lors, ce moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision prononçant le licenciement de Mme A dans la mesure où elle est intervenue, du fait de la privation de cette garantie, au terme d'une procédure irrégulière. Il y a donc lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de cette décision au plus tard jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête enregistrée sous le n° 2400058.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative🏛 : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
7. Eu égard au caractère provisoire des mesures qui peuvent être prononcées en référé, la suspension de l'exécution de la décision de licenciement implique seulement la réintégration, à titre provisoire, de Mme A, jusqu'à l'intervention du jugement au fond. Ainsi, il y a lieu d'enjoindre à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin de procéder à cette réintégration provisoire, dans un délai de quinze jours suivant la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin à verser la somme de 1 200 euros à Mme A, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 20 février 2024🏛 du président de la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin, portant licenciement de Mme A, est suspendue, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Article 2 : Il est enjoint à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin de procéder à la réintégration, à titre provisoire, de Mme A, dans un délai de quinze jours, à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : La collectivité d'outre-mer de Saint-Martin est condamnée à verser la somme de 1 200 euros à Mme A, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.
Fait à Basse-Terre le 31 mai 2024.
Le juge des référés,
Signé :
S. GOUÈS
La République mande et ordonne au préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
La greffière des urgences
Signé :
A. CETOL
Décret, 88-145, 15-02-1988 Article, L521-1, CJA Article, L911-1, CJA Article, R522-1, CJA Arrêté, 20-02-2024 Suspension d'une décision Ressources financières Commissions consultatives paritaires Sanction disproportionnée Moyens propres Caractère d'une punition Poursuite disciplinaire Procédure disciplinaire Procédure irrégulière Personne morale de droit public Service public Mesure d'exécution Décision de licenciement