Jurisprudence : Cass. com., 10-01-2024, n° 22-21.716, F-B, Rejet

Cass. com., 10-01-2024, n° 22-21.716, F-B, Rejet

A05662DC

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:CO00011

Identifiant Legifrance : JURITEXT000048949963

Référence

Cass. com., 10-01-2024, n° 22-21.716, F-B, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/104001984-cass-com-10012024-n-2221716-fb-rejet
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Abstract

Le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité d'une marque déposée postérieurement s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public, quand bien même le titulaire de la marque contestée dispose d'un droit plus ancien que ce tiers qui la conteste. En conséquence, est approuvé l'arrêt qui retient l'existence d'un droit antérieur constitué d'une dénomination sociale, juridiquement protégé et non contesté à la date des dépôts de marque attaqués, et qui en déduit qu'il peut être défendu contre l'enregistrement d'une marque postérieure, même constituée d'une dénomination sociale plus ancienne


COMM.

CH.B


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 janvier 2024


Rejet


M. VIGNEAU, président


Arrêt n° 11 F-B

Pourvoi n° J 22-21.716


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 JANVIER 2024


La société JDC, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], exerçant sous l'enseigne JDC Aquitaine, a formé le pourvoi n° J 22-21.716 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société JDC Midi-Pyrénées, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société JDC Languedoc, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société JDC Normandie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société JDC, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat des sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 25 janvier 2022) et les productions, la société JDC Aquitaine, devenue la société JDC, exploite une activité de vente et location de caisses enregistreuses, appareils monétiques, terminaux de paiement, de cartes bancaires, informatique et maintenance y afférents, fournitures s'y rapportant et service après-vente, vente d'alarmes et systèmes de vidéo-surveillance. Elle est titulaire de la marque semi-figurative « JDC S.A. » enregistrée le 1er mars 1999 sous le numéro 99779371 et régulièrement renouvelée en 2009, en classe 9 pour « Caisses enregistreuses, machines à calculer, appareils pour le traitement de l'information et les ordinateurs, périphériques, photocopieuses, télécopieuses ».

2. Elle est également titulaire des marques suivantes :

- la marque verbale française « groupe JDC » enregistrée le 1er août 2011, sous le numéro 11 3 850 656, renouvelée depuis lors,

- la marque française « JDC » déposée le 2 août 2011, enregistrée sous le numéro 11 3 850 911 en classes 9, 42 et 45,

- la marque semi-figurative française « JDC SA » déposée le 10 novembre 2011 et enregistrée sous le numéro 11 3 874 311 en classes 9, 42 et 45,

pour désigner les appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l'accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction ou le traitement du son ou des images ; distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils à pré-paiement ; caisses enregistreuses ; machines à calculer ; équipement pour le traitement de l'information et les ordinateurs ; logiciels (programmes enregistrés) ; périphériques d'ordinateurs ; détecteurs ; cartes à mémoire ou à microprocesseur ; instruments d'alarmes et détecteurs, produits utilisés pour le contrôle, la commande, la télécommande, le réglage, la supervision ou la programmation d'équipements électriques ou électroniques destinés à la sécurité, à l'alarme, au contrôle d'accès, à l'ouverture et à la fermeture et au verrouillage des portes, portes de garages, portails, barrières, fenêtres, volets, stores, grille, à la manoeuvre des serrures, tous ces produits étant appliqués à l'habitation individuelle ou collective, aux bâtiments publics ou privés et aux espaces publics ou privés de stationnement ; conception et développement d'ordinateurs et de logiciels ; recherche et développement de nouveaux produits pour des tiers ; études de projets techniques ; élaboration (conception), installation, maintenance, mise à jour ou location de logiciels ; programmation pour ordinateur ; consultation en matière d'ordinateurs ; conversion de données et de programmes informatiques autre que conversion physique ; conversion de données ou de documents d'un support physique vers un support électronique ; service de sécurité pour la protection des biens et des individus (à l'exception de leur transport) ; consultation en matière de sécurité.

3. La société JDC Midi-Pyrénées exerce une activité de commercialisation de caisses enregistreuses et systèmes de gestion de terminaux de paiement électroniques.

4. La société JDC Languedoc exerce une activité d'achat, vente, service après vente, réparation de tous matériels électroniques et informatiques.

5. La société JDC Normandie exerce une activité de vente de matériel d'équipement informatique, de fourniture de caisses enregistreuses et prestations de maintenance technique et de formation y afférentes.

6. Le 27 mai 2016, la société JDC a assigné en concurrence déloyale et parasitaire les sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie du fait, notamment, de la création d'un site internet dont le nom de domaine est le suivant : http://www.jdc-caisse-enregistreuse.fr.

7. Le 30 septembre 2016, la société JDC Midi-Pyrénées a assigné la société JDC en nullité de ses marques du fait de l'atteinte portée à sa dénomination sociale antérieure.

8. Les deux instances ont été jointes.

9. La société JDC ayant formé une demande additionnelle en contrefaçon de ses marques, les sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie ont reconventionnellement demandé l'annulation de ces dernières pour atteinte à leurs droits antérieurs respectifs.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et sur le second moyen

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

11. La société JDC fait grief à l'arrêt de déclarer nulles les marques « JDC S.A. », « Groupe JDC », « JDC » et « JDC SA » déposées respectivement le 1er mars 1999, le 1er août 2011, le 2 août 2011 et le 10 novembre 2011, alors « que tout jugement doit être motivé et le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en se bornant à relever, au soutien de sa décision, que l'antériorité des droits de la société JDC sur le signe JDC n'était pas de nature à exclure sa mauvaise foi, sans répondre à ses conclusions d'appel selon lesquelles, indépendamment de l'absence de forclusion des demandes en nullité, les sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie ne pouvaient obtenir la nullité de ses marques dès lors que ces dernières reposaient sur un droit plus ancien que celui acquis par les trois sociétés sur le signe JDC, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile🏛. »


Réponse de la Cour

12. Il résulte des articles L. 711-4 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle🏛🏛, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019🏛, qu'est déclaré nulle une marque qui porte atteinte à un droit antérieur, tel une dénomination sociale, mais que la tolérance, pendant cinq années, de l'usage d'une marque qui porte atteinte à un droit antérieur rend irrecevable toute action en annulation de cette marque, à moins qu'il ne soit établi que le dépôt a été effectué de mauvaise foi.

13. Le second de ces textes doit être interprété à la lumière des articles 6 et 9 de la directive (CE) n° 2008/95 du 22 octobre 2008⚖️, rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques.

14. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, la notion de « droit antérieur », au sens de l'article 6, paragraphe 2, de la directive précitée, doit être interprétée à la lumière des notions équivalentes contenues dans les textes du droit international, et de telle manière qu'elle demeure compatible avec eux, en tenant compte également du contexte dans lequel de telles notions s'inscrivent et de la finalité poursuivie par les dispositions conventionnelles pertinentes en matière de propriété intellectuelle (CJUE, arrêt du 2 juin 2022 X BV / Aa Ab Ac A, C-112/21, point 36).

15. La Cour de justice précise, à cet égard, que la notion d'antériorité « signifie que le fondement du droit concerné doit précéder dans le temps l'obtention de la marque avec laquelle il est réputé entrer en conflit. En effet, il s'agit de l'expression du principe de la primauté du titre antérieur d'exclusivité, qui représente l'un des fondements du droit des marques et, d'une façon plus générale, de tout le droit de la propriété industrielle » (arrêt du 2 juin 2022 précité, point 40).

16. Après avoir retenu, d'une part, qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 4, sous c), de la directive 2008/95, la notion de « droit antérieur » s'entend notamment d'un droit de propriété industrielle, celle-ci n'étant qu'un type de propriété intellectuelle, d'autre part, que, selon l'article 1er, paragraphe 2, de la convention de Paris, le nom commercial constitue un droit de propriété industrielle, la Cour de justice énonce que si l'article 4, paragraphe 4, sous c), de la directive 2008/95 sert principalement à d'autres fins que celles visées à l'article 6, paragraphe 2, de cette même directive, à savoir permettre au titulaire d'un droit antérieur de s'opposer à l'enregistrement d'une marque ou de demander à ce qu'une marque enregistrée soit déclarée nulle, il n'en demeure pas moins que la notion de « droit antérieur » utilisée à ces deux dispositions doit avoir la même signification, dans la mesure où, en l'occurrence, le législateur de l'Union n'a pas exprimé une volonté différente, de sorte qu'un nom commercial peut constituer un droit antérieur aux fins de l'application de l'article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/95 (arrêt du 2 juin 2022 précité, points 41, 42 et 43).

17. Elle ajoute qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 4, sous b) et c), de cette directive, « un État membre peut prévoir qu'une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle, notamment, d'une part, lorsque et dans la mesure où les droits à un signe utilisé dans la vie des affaires ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque postérieure [...], et que ce signe donne à son titulaire le droit d'interdire l'utilisation d'une marque postérieure ainsi que, d'autre part, lorsque et dans la mesure où l'usage de la marque peut être interdit en vertu d'un droit antérieur, tel qu'un droit de propriété industrielle » (arrêt du 2 juin 2022 précité, point 46).

18. La Cour de justice énonce également que la directive 2008/95 régit, en principe, non pas les rapports entre les différents droits pouvant être qualifiés de « droits antérieurs », qui sont principalement régis par le droit interne des États membres mais les rapports de ceux-ci avec les marques acquises par l'enregistrement. Elle relève que l'article 9, paragraphe 3, de cette directive, en ce qui concerne la forclusion par tolérance, ne régit que les rapports des droits antérieurs avec les marques enregistrées postérieures (arrêt du 2 juin 2022 précité, points 57 et 60).

19. La Cour de justice énonce encore que le fait que le titulaire de la marque postérieure dispose d'un droit encore plus ancien, reconnu par la loi de l'État membre concerné, sur le signe enregistré en tant que marque, peut avoir une incidence sur l'existence d'un « droit antérieur », au sens de cette disposition, pour autant que, en se fondant sur ce droit encore plus ancien, le titulaire de la marque peut effectivement s'opposer à la revendication d'un droit antérieur ou la limiter. Elle précise à cet effet que, dans une situation où un droit invoqué par un tiers ne serait plus protégé en vertu de la loi de l'État membre concerné, il ne saurait être considéré que ce droit constitue un « droit antérieur » reconnu par ladite loi, au sens de l'article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/95 (arrêt du 2 juin 2022 précité, points 63 et 54).

20. Il en découle que le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité de la marque déposée s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public, quand bien même le titulaire de la marque contestée dispose d'un droit plus ancien que ce tiers qui la conteste.

21. Après avoir énoncé que le fait que la société JDC soit également titulaire de droits antérieurs au dépôt de la marque JDC.S.A., que ces droits soient eux-mêmes antérieurs ou non à ceux dont se réclament les sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie, ne saurait, en soi, empêcher ces dernières de défendre leurs dénominations sociales, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société JDC Aquitaine ayant toléré au moins jusqu'au 31 mars 2011 I'usage de leurs dénominations sociales par les sociétés adverses, celles-ci jouissaient, à la date du dépôt attaqué, d'un droit juridiquement protégé et non contesté.

22. L'arrêt ajoute, non seulement, que les droits dont la société JDC se prévaut sur sa dénomination sociale et sur son nom commercial ne sont pas de nature à exclure son intention d'empêcher les autres sociétés de continuer à utiliser pour leur activité tout signe contenant le sigle JDC, et par conséquent sa mauvaise foi, mais encore que les sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie sont en droit de défendre leurs dénominations sociales, que la société JDC a tolérées au moins jusqu'au 31 mars 2011, dans la mesure où elles jouissaient, à la date des dépôts attaqués, d'un droit juridiquement protégé et non contesté.

23. En cet état, la cour d'appel, qui a retenu l'existence du droit antérieur des sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie sur leurs dénominations sociales, juridiquement protégé et non contesté à la date des dépôts attaqués, et qui en a déduit qu'elles pouvaient les défendre contre l'enregistrement d'une marque postérieure, a ainsi écarté tout droit exclusif de la société JDC, anciennement dénommée JDC Aquitaine, sur le sigle « JDC », fût-il plus ancien, et a répondu aux conclusions prétendument délaissées.

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

25. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur la question soulevée par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société JDC aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société JDC et la condamne à payer aux sociétés JDC Midi-Pyrénées, JDC Languedoc et JDC Normandie la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille vingt-quatre.

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