Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 10 Janvier 1990
Cassation partielle.
N° de pourvoi 87-10.359
Président M. Jouhaud
Demandeur MX et autre
Défendeur service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône
Rapporteur M. ...
Avocat général M. Dontenwille
Avocats la SCP Le Prado, la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, la SCP NicolaJ.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur le premier moyen
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, le 28 juillet 1981, Richard ... a accidentellement provoqué l'incendie d'une pinède appartenant à un tiers ; que Richard ... étant mineur au moment de ces faits, le service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône a, par acte du 10 septembre 1982, assigné M. Maurice ..., père de l'intéressé, en remboursement des frais exposés pour lutter contre cet incendie ;
Attendu que M. Maurice ... fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 novembre 1986) d'avoir rejeté l'exception d'incompétence à l'appui de laquelle il faisait valoir qu'un tel litige ressortissait aux juridictions de l'ordre administratif alors, selon le moyen, que les réclamations pécuniaires contre une personne privée sont de la compétence du juge administratif dès lors que le litige est compris dans le contentieux général des actes et opérations de puissance publique et que la créance alléguée présente un caractère administratif, qu'en l'espèce la réclamation du service départemental d'incendie tendait à faire prendre en charge par M. Maurice ... le coût de fonctionnement du service public de lutte contre l'incendie ; que la créance invoquée revêtait donc un caractère administratif bien que l'intéressé fût une personne privée et que sa responsabilité fût recherchée sur le fondement de la faute qu'aurait commise son fils mineur, qu'en rejetant, néanmoins, l'exception d'incompétence, la cour d'appel aurait violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu qu'en l'absence d'une disposition législative spéciale, il n'appartient pas à la juridiction administrative de statuer sur la responsabilité qu'une personne privée peut avoir encourue à l'égard d'un établissement public ;
Attendu que l'arrêt relève que la demande en remboursement de frais formée par le service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône à l'encontre de M. Maurice ..., est fondée sur les règles qui gouvernent la responsabilité civile délictuelle ;
Attendu qu'aucun texte n'attribue la connaissance d'un tel litige à la juridiction administrative ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel s'est déclarée compétente pour trancher celui-ci ; qu'il s'ensuit que le premier moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en ses deux branches
Vu les articles L 131-2, L 221-1, L 221-2-7° du Code des communes, 1382 et suivants du Code civil et le décret n° 82-694 du 4 août 1982 ;
Attendu que pour condamner M. Maurice ... à payer au service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône une somme représentant le montant des frais exposés par ce service pour lutter contre l'incendie que Richard ... avait occasionné, l'arrêt retient que si ledit service assure une mission d'intérêt général et si les frais de fonctionnement qu'il expose pour l'exercice de cette mission sont effectivement pris en charge par les communes et le département, en revanche aucune disposition légale ou réglementaire ne lui interdit d'ester en justice pour préserver ses droits et en particulier pour réclamer à des tiers responsables les frais d'intervention occasionnés par leur fait volontaire ou par leur imprudence, qu'en effet le fait fautif d'un tiers peut entraîner pour ce service public des servitudes supplémentaires pouvant mettre en péril l'équilibre de son budget, que d'ailleurs le décret du 4 août 1982 prévoit en son article 6 que ses recettes comprennent les " remboursements " tandis que l'article 7 du même texte dispose que ses dépenses comprennent le " remboursement aux centres de secours de l'ensemble des dépenses occasionnées par leurs interventions ainsi que les remboursements éventuels à d'autres corps de sapeurs-pompiers ", qu'ainsi la gratuité du service public et le fait que les frais de fonctionnement soient supportés par les communes et le département ne font nullement obstacle à ce que le service départemental d'incendie intervienne pour réclamer paiement des dépenses en matériel et en personnel afférentes à une mission provoquée par le fait fautif d'un tiers, qu'en l'espèce la faute d'imprudence commise par le jeune Richard ... a nécessité l'intervention du service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône, lequel est donc fondé à réclamer à M. Maurice ..., civilement responsable de l'intéressé, le remboursement du coût de cette intervention ;
Attendu qu'en statuant comme ils ont fait alors que ladite intervention, qui a eu lieu avant l'entrée en vigueur du décret n° 82-694 du 4 août 1982, relevait de la mission de service public telle que définie par les articles L 131-2, L 221-1 et L 221-2-7° du Code des communes et devait, dès lors, être assurée gratuitement par la collectivité, en sorte que les frais y afférents ne pouvaient, fût-ce sur le fondement des règles qui gouvernent la responsabilité civile délictuelle, être mis à la charge d'une personne privée, les juges du second degré ont violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Maurice ... à verser au service départemental d'incendie des Bouches-du-Rhône la somme de 17 066,88 francs, l'arrêt rendu le 3 novembre 1986, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes