CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 151752
COMMUNAUTE URBAINE DE LYON
Lecture du 06 Avril 1998
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 9ème et 8ème sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 9ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre 1993 et 10 janvier 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, dont le siège est 20, rue du Lac, à Lyon (69003), représentée par son président en exercice ; la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON demande que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement du 15 juin 1993 du tribunal administratif de Lyon rendu sur les demandes de M. Etienne Tete, en tant qu'il a annulé les délibérations des 15 juin et 21 décembre 1992 du conseil de la Communauté autorisant son président à conclure un bail emphytéotique avec la "Société de développement économique de la région lyonnaise" (SODERLY), puis à participer, en tant que membre d'une institution constituée avec le département du Rhône et la région Rhône-Alpes à la conclusion, avec la même société, d'un nouveau bail emphytéotique, portant sur un immeuble à usage de bureaux situé à Ecully (Rhône) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, modifiée ;
Vu la loi n° 82-6 du 7 janvier 1982 ;
Vu le décret n° 82-809 du 22 septembre 1982 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Hourdin, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, - les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une délibération du 15 juin 1992, le conseil de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON a autorisé son président à conclure avec la société d'économie mixte dénommée "Société de développement économique de la région lyonnaise" (SODERLY), constituée notamment entre la communauté urbaine, le département du Rhône et la région Rhône-Alpes, un bail emphytéotique ayant pour objet de mettre gratuitement à la disposition de cette société un immeuble à usage de bureaux situé à Ecully (Rhône), acquis par la communauté pour le prix de 37 000 000 F ; que, par une seconde délibération du 21 décembre 1992, le conseil de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, après avoir, le même jour, approuvé la vente des deux tiers indivis de l'immeuble d'Ecully à la région RhôneAlpes et au département du Rhône ainsi que la convention passée avec ces deux collectivités publiques en vue de la gestion en indivision de cet immeuble, a autorisé son président à participer à la conclusion avec la SODERLY d'un nouveau bail emphytéotique d'une durée de 99 ans à compter du 2 novembre 1992, ayant le même objet, ci-dessus décrit, que celui dont la signature avait été approuvée par la délibération du 15 juin 1992, mais à conclure par l'indivision constituée entre la Communauté, le département du Rhône et la région Rhône-Alpes et stipulant le paiement par la SODERLY d'une redevance annuelle de 1 000 000 F, qui ne serait cependant exigible qu'à partir du 1er novembre 2002 pour tenir compte des travaux d'aménagement, évalués à 10 000 000 F hors taxe, que la SODERLY devrait effectuer ou faire effectuer sur l'immeuble d'Ecully en vue de le remettre en état et d'en permettre l'utilisation ; que, par le jugement dont la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON a fait appel, le tribunal administratif de Lyon a, faisant droit aux demandes de M. Tete dirigées contre les deux délibérations des 15 juin et 21 décembre 1992, annulé celles-ci pour excès de pouvoir ;
Sur le prétendu désistement d'office de la requête de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 53-3 du décret du 30 juillet 1963, modifié : "Lorsque la requête ou le recours mentionne l'intention du requérant ou du ministre de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de quatre mois à compter de la dateà laquelle la requête a été enregistrée. Si ce délai n'est pas respecté, le requérant ou le ministre est réputé s'être désisté à la date d'expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit. Le Conseil d'Etat donne acte de ce désistement" ;
Considérant que, dans sa requête sommaire enregistrée le 7 septembre 1993, la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON a exprimé l'intention de produire un mémoire complémentaire ; qu'à la date du lundi 10 janvier 1994, à laquelle ce mémoire a été déposé au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, le délai franc de quatre mois imparti, pour cette production, par les dispositions précitées de l'article 53-3 du décret du 30 juillet 1963, modifié, n'était pas expiré ; que, par suite, M. Tete n'est pas fondé à soutenir que la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON devrait être réputée s'être désistée de sa requête ;
Sur la recevabilité des demandes de première instance de M. Tete :
Considérant qu'aux termes des dispositions, alors applicables, du premier alinéa de l'article 3 de la loi du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, tel que modifié par l'article premier de la loi du 22 juillet 1982 : "Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés au paragraphe II de l'article précédent qu'il estime contraires à la légalité, dans les deux mois suivant leur transmission" ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 4 de la même loi : "Sans préjudice du recours direct dont elle dispose, si une personne physique ou morale est lésée par un acte mentionné aux paragraphes II et III de l'article 2, elle peut, dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'acte est devenu exécutoire, demander au représentant de l'Etat dans le département de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article 3 ci-dessus" ; qu'en vertu de l'article 16 de la loi du 2 mars 1982, ces dispositions s'appliquent aux actes des établissements publics intercommunaux, et notamment, aux délibérations du conseil d'une communauté urbaine ;
Considérant que la saisine du préfet, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 2 mars 1982, par une personne qui s'estime lésée par un tel acte, n'ayant pas pour but de priver cette personne de la faculté d'exercer un recours direct contre cet acte, le refus du préfet de déférer celui-ci au tribunal administratif ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'en revanche, la demande ainsi présentée au préfet, si elle a été formée dans le délai du recours contentieux ouvert contre l'acte contesté, a pour effet de proroger ce délai jusqu'à ce que le préfet se soit prononcé, par une décision explicite ou implicite, sur cette demande ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande adressée le vendredi 14 aot 1992 par M. Tete au préfet du Rhône, qui tendait à ce que celui-ci mette en oeuvre la procédure prévue par l'article 3 de la loi du 2 mars 1982 à l'encontre de la délibération du conseil de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON du 15 juin 1992, dont, comme membre de ce conseil, il avait acquis connaissance à cette date, a été présentée au préfet, ainsi qu'il ressort de l'avis de réception figurant au dossier, le lundi 17 aot 1992, soit dans le délai du recours pour excès de pouvoir, dès lors que ce délai devait expirer le dimanche 16 aot 1992 ; que, n'étant pas tardive, cette demande a valablement interrompu le délai de deux mois prévu par l'article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui, en l'espèce, doit être décompté, en l'absence d'une décision explicite prise par le préfet du Rhône, à partir de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet, à l'expiration d'un délai de quatre mois à partir du 17 aot 1992 ; que la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Lyon a estimé à tort que la demande de M. Tete, enregistrée à son greffe le 16 février 1993, n'était pas tardive ;
Considérant que les délibérations attaquées des 15 juin 1992 et 21 décembre 1992 avaient une portée financière ; qu'ainsi, en sa qualité de contribuable, M. Tete justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester la légalité de ces délibérations ;
Sur la légalité des délibérations des 15 juin et 21 décembre 1992 :
Considérant qu'aux termes des dispositions, alors en vigueur, de l'article 5 de la loi du 2 mars 1982, applicables, elles aussi, en vertu de l'article 16 de la même loi, aux établissements intercommunaux et, notamment, aux communautés urbaines : "... I. Lorsque son intervention a pour objet de favoriser le développement économique, la commune peut accorder des aides directes ou indirectes dans les conditions prévues par la loi approuvant le Plan" ; qu'aux termes de l'article 4 de la loi n° 82-6 du 7 janvier 1982, approuvant le plan intérimaire 19821983, toujours en vigueur à la date des délibérations attaquées : "Les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les régions peuvent, lorsque leur intervention a pour objet la création ou l'extension d'activités économiques, accorder des aides directes ou indirectes à des entreprises, dans les conditions ci-après : ... les aides directes sont attribuées par la région dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat ; ce décret déterminera notamment les règles de plafonds et de zones indispensables à la mise en oeuvre de la politique nationale d'aménagement du territoire... Les aides indirectes peuvent être attribuées par les collectivités territoriales ou leurs groupements, ainsi que par les régions, seuls ou conjointement. La revente ou la location de bâtiments par les collectivités locales, leurs groupements et les régions doit se faire aux conditions du marché. Toutefois, il peut être consenti des rabais sur ces conditions, ainsi que des abattements sur les charges de rénovation de bâtiments industriels anciens, suivant les règles de plafonds et de zones prévues par le décret mentionné au deuxième alinéa. Les autres aides indirectes sont libres..." ; que les articles 1er, 2 et 3 du décret n° 82-809 du 22 septembre 1982 ont précisé les limites des rabais que les collectivités territoriales, leurs groupements et les régions peuvent accorder, le cas échéant par l'intermédiaire d'un "organisme relais", aux entreprises qui acquièrent ou prennent en location, soit des immeubles industriels anciens à rénover, soit d'autres immeubles, mais à la condition que ces derniers soient situés dans l'une des zones énumérées à l'annexe I au décret n° 82-739 du 6 mai 1982, relatif à la prime d'aménagement du territoire ; que ces dispositions réglementaires ne sont pas applicables à l'immeuble d'Ecully, qui n'a pas un caractère industriel et n'est pas situé dans l'une des zones figurant à l'annexe I au décret du 6 mai 1982 ; que les baux emphytéotiques dont il a fait l'objet et auquel il y a lieu d'appliquer par analogie les dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 7 janvier 1982 relatives à la revente ou à la location de bâtiments, ne pouvaient donc stipuler aucun rabais ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par ses délibérations des 15 juin et 21 décembre 1992, la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON a entendu faciliter l'implantation dans l'agglomération lyonnaise de la société "Europe News Opération", qui produit et diffuse, par satellite, des programmes d'information dits "Euro News", en prévoyant, par une clause des baux conclus avec l'"organisme relais" constitué par la SODERLY, que celle-ci mettrait à la disposition de cette société l'immeuble à usage de bureaux d'Ecully ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que le premier bail emphytéotique, approuvé par la délibération du 15 juin 1992, qui ne prévoyait le paiement d'aucune redevance par la SODERLY n'était pas conforme aux conditions du marché applicables à un tel contrat ; qu'en admettant même que la redevance de 1 000 000 F mise à la charge de la SODERLY par le nouveau bail emphytéotique approuvé par la délibération du 21 décembre 1992 ne s'écarte pas de ces conditions, la clause dispensant la SODERLY du paiement de cette redevance pendant dix ans, ne peut, alors que tout preneur d'un bail emphytéotique qui acquitte habituellement une redevance d'occupation de montant modique et doit, en revanche, exécuter à ses frais tous travaux et réparations surl'immeuble mis à sa disposition, ainsi que le prévoient les articles L. 451-1 et suivants du code rural, auxquels se réfèrent expressément les baux conclus avec la SODERLY, être regardée comme justifiée, au regard des conditions du marché, par le fait que la SODERLY devait effectuer ou faire effectuer, pour une somme évaluée à 10 000 000 F hors taxe, des travaux de remise en état sur l'immeuble d'Ecully ; qu'en outre, en l'absence au dossier de tout engagement pris par la SODERLY ou par la société Euro News Opération en termes de création ou d'extension d'activités économiques, l'insuffisance de la redevance exigée de la SODERLY ne trouve pas de contreparties suffisantes dans le fait allégué par la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, de manière d'ailleurs succincte ; que des retombées économiques et financières, caractérisées notamment par la création d'un certain nombre d'emplois, auraient résulté de la réalisation du projet en vue duquel les délibérations contestées ont été adoptées ; que, dans ces conditions, la communauté urbaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, estimant que l'aide indirecte qu'elle a entendu apporter à la société Europe News Opération, par le moyen des baux emphytéotiques consentis à la SODERLY, n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 de la loi du 7 janvier 1982, a annulé les délibérations de son conseil des 15 juin et 21 décembre 1992 ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que M. Tete, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, par application de ces dispositions, de condamner la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON à payer à M. Tete la somme de 5 000 F qu'il réclame au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON est rejetée.
Article 2 : La COMMUNAUTE URBAINE DE LYON paiera à M. Tete une somme de 5 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, à M. Etienne Tete et au ministre de l'intérieur.