COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
IG/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 19/00671 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPNJ
Jugement du 26 Mars 2019
Tribunal de Grande Instance d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance : 16/02901
ARRET DU 09 MAI 2023
APPELANTE :
Madame [N] [Y] veuAae [V]
Née le … … … à [Localité 5] (BELGIQUE)
[Adresse 2]
[Localité 1] (BELGIQUE)
Représentée par Me Jean charles LOISEAU de la SELARL GAYA, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier E050018
INTIMEE :
S.A. SAFER PAYS DE LA LOIRE
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-baptiste RENOU de la SCP HAUTEMAINE AVOCATS, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 20160818
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 31 Janvier 2023 à 14 H 00, Mme GANDAIS, conseillère ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :
Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Mme GANDAIS, conseillère
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme A
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 09 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'
article 450 du code de procédure civile🏛 ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente, et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique reçu le 25 mai 1988, M. [O] [Aa] et son épouse Mme [N] [Y] ont acquis de Mme [T] [M] une exploitation agricole située à [Adresse 6] à [Localité 7] (49), comprenant des bâtiments d'exploitation et d'habitation, une cour, des aires, une mare, un jardin, un verger, des prés et des terres labourables, pour une contenance totale de 57ha 36a 21ca.
Des échanges de parcelles sont intervenus ultérieurement avec des propriétés voisines.
Courant 2004, M. et Mme [Aa] ont décidé de mettre en vente leur exploitation agricole.
Suivant acte sous seing privé du 18 août 2004, M. et Mme [Aa] ont régularisé un compromis de vente au profit de M. [F] [B] et de Mme [R] [P], moyennant un prix de 425 000 euros, en vue du développement d'une activité piscicole.
La vente envisagée n'a pas été réitérée à défaut pour les candidats à l'acquisition d'obtenir leur prêt pour financer l'opération, condition suspensive de la vente.
Selon acte sous seing privé du 11 février 2005, M. et Mme [Aa] ont régularisé un nouveau compromis de vente au profit des époux [Ab] et des consorts [H]-[A], moyennant un prix de 411 613 euros, outre 16 000 euros de frais de commission d'agence, sous les conditions suspensives d'obtention de prêt, de non-préemption de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (ci-après SAFER) et du preneur en place et de libre disposition des terres par suite de la résiliation judiciaire d'un bail rural encore en cours.
Ce compromis a été annulé, faute pour la procédure de résiliation d'avoir été résolue dans les délais prévus par les parties, à savoir au 30 mai 2005 au plus tard.
Par courrier du 3 novembre 2006, la SAFER Ac Ad manifestait auprès des époux [Aa] son intérêt pour l'acquisition de leurs biens agricoles, terres et bâtiments, souhaitant connaître le prix de vente et l'état d'occupation (bail rural ou autre).
Par courrier du 26 novembre 2008, la SAFER Maine Océan indiquait à l'agent immobilier mandaté par les époux [Aa], qu'elle se portait acquéreur de la totalité de leur exploitation agricole pour un prix net vendeur de 400 000 euros, sous réserve de l'accord de ses autorités de tutelle (comité technique départemental et commissaires du gouvernement).
Par courrier du 21 janvier 2009, la B Ac Ad réitérait auprès de Me [J] [W], notaire chargé de la vente, son offre sous la même réserve et sous réserve de la remise en état des fenêtres et volets de l'habitation, du bon état de marche du chauffage central, de la vérification de l'alimentation en eau publique et de la cession du petit matériel agricole ainsi que des effets mobiliers dans l'habitation. Son offre était valable jusqu'au 31 janvier 2009.
Par courrier du 17 février 2009, la SAFER Ac Ad réitérait son offre auprès du notaire, toujours dans les mêmes conditions et ce, jusqu'au 15 mars 2009.
Les époux [Aa] refusant l'offre de la SAFER Maine Océan et poursuivant leurs démarches pour vendre à l'amiable leur bien régularisaient les 26 et 27 juillet 2010, un nouveau compromis de vente au bénéfice de M. [Ae] [C] et de Mme [E] [L], son épouse, pour un prix net vendeur de 490 000 euros.
Me [W], notaire, informait la SAFER, titulaire d'un droit de préemption, de ce projet de cession le 27 août 2010.
Après avoir reçu notification, le 27 août 2010, de ce compromis de vente par Me [W], notaire chargé de l'opération, la SAFER Maine Océan faisait connaître, par lettre recommandée du 22 octobre 2010 adressée au notaire, son intention d'exercer son droit de préemption, dans le cadre de sa mission de régulation du marché foncier, mais avec révision du prix, qu'elle estimait exagéré, pour le voir fixer à 307 000 euros, conformément à l'avis des commissaires du gouvernement.
Par acte d'huissier du 20 avril 2011, les époux [Aa] ont assigné la SAFER Ac Ad devant le tribunal de grande instance d'Angers, aux fins de voir, à titre principal, constater la nullité de la préemption exercée par cette dernière et à titre subsidiaire réviser le prix offert par la SAFER avec l'organisation d'une mesure d'expertise.
M. [O] [Aa] est décédé le 18 juin 2012 et Mme [N] [Y] veuve [Aa] a régularisé la procédure, étant habile à poursuivre seule l'instance pour détenir la pleine propriété du bien litigieux en sa qualité de conjoint survivant.
Suivant conclusions d'incident du 20 mars 2013, Mme [Aa] a demandé au juge de la mise en état, au visa des
articles 771 du code de procédure civile🏛 et
L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime🏛, de lui donner acte de ce qu'elle ne renonçait pas au moyen principal de nullité de la décision de préemption de la SAFER du 22 octobre 2010 et d'ordonner une enquête et une expertise en commettant un expert.
Suivant ordonnance du 1er juillet 2013, le juge de la mise en état a ordonné une expertise désignant à cet effet M. [K] [U], avec pour mission notamment de rechercher la consistance et la valeur des biens immobiliers, bâtis et non bâtis, concernant l'ensemble de la propriété de Mme [Aa], et de fournir tous éléments permettant au tribunal de déterminer la valeur actuelle des biens. Le montant de la provision de 1 500 euros à valoir sur la rémunération de l'expert était mise à la charge de la requérante,AaMme [V].
M. [U] était remplacé par M. [D] [G] qui sollicitait le 13 février 2014 une provision complémentaire au vu des diligences à réaliser.
Mme [Aa] refusant de consigner la provision complémentaire, l'expert judiciaire déposait son rapport en l'état, le 31 décembre 2014.
Par conclusions du 22 mai 2015, Mme [Aa] a demandé au juge de la mise en état qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se désistait de la procédure engagée en nullité de l'exercice du droit de préemption de la SAFER et expertise.
Selon courrier du 8 juillet 2015, la SAFER Maine Océan, par l'intermédiaire de son conseil, indiquait au conseil de Mme [Aa] qu'elle prenait acte de son désistement et soulignait que le retrait de la vente n'étant plus possible au vu du délai écoulé, la venderesse était réputée avoir accepté sa contre-proposition d'achat notifiée le 22 octobre 2010. La SAFER demandait ainsi la régularisation de la vente selon les modalités proposées aux termes de sa décision de préemption.
Suivant ordonnance du 21 mars 2016, le juge de la mise en état a constaté le désistement d'instance de Mme [Aa], a rejeté toutes autres demandes, condamnant Mme [Aa] à verser à la SAFER Maine Océan la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 outre les entiers dépens de la procédure.
Suivant courrier du 23 juin 2016, la SAFER demandait à Me [W], notaire chargé de la vente, de bien vouloir convoquer officiellement Mme [Aa], afin que soit régularisé l'acte de vente à son profit aux conditions de la préemption en révision de prix, à savoir au prix de 307 000 euros.
Suivant courriel du 13 juillet 2016, le conseil de Mme [Aa] informait le notaire que cette dernière ne régulariserait pas la vente, ne partageant pas l'interprétation de la SAFER s'agissant de l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 mars 2016 qui actait de son seul désistement d'instance.
Par acte d'huissier du 21 septembre 2016, la SAFER Maine Océan a assigné Mme [Aa] devant le tribunal de grande instance d'Angers aux fins de voir à titre principal constater la vente parfaite notamment au visa de l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime.
Dans le cadre de ses premières conclusions devant le tribunal, Mme [Aa] a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité soutenant l'inconstitutionnalité de l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime par rapport aux articles 4 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par jugement du 11 juillet 2017, le tribunal de grande instance d'Angers a dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation ladite question prioritaire de constitutionnalité, comme étant dépourvue de caractère sérieux et a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 septembre 2017 pour les conclusions de la SAFER Maine Océan.
La SAFER Pays de la Loire est intervenue volontairement à l'instance, comme venant aux droits de la SAFER Maine Océan, à la suite d'un changement de dénomination sociale.
Par jugement du 26 mars 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a :
- donné acte à la SAFER Pays de la Loire de son intervention volontaire,
- constaté la vente parfaite de la ferme de [Adresse 6] située commune de [Localité 7] (49) au profit de la SAFER Pays de la Loire au prix de 307 000 euros,
- dit que les frais de publication de l'acte de vente seront à la charge de la SAFER Pays de la Loire,
- débouté Mme [N] [Aa] de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [N] [Aa] aux dépens en application de l'
article 699 du code de procédure civile🏛.
Par déclaration reçue au greffe le 8 avril 2019, Mme [Aa] a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, à leurs dernières conclusions :
- du 13 décembre 2019 pour MAae [V],
- du 13 février 2020 pour la SAFER Pays de la Loire.
Mme [Aa] demande à la cour, au visa des dispositions des
articles L 143-10, L 412-7 du code rural et de la pêche maritime🏛, 1382 ancien, 1240, 2241 et 1593 du code civil, de :
- à titre principal :
- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SAFER Pays de Loire,
- constater que le retrait de la vente des biens préemptés conditionnellement par la SAFER Maine Océan est intervenu au travers de la procédure de désistement d'instance,
- dire et juger qu'elle pouvait parfaitement retirer le bien de sa vente,
- à titre subsidiaire :
- déclarer irrecevables les demandes de la SAFER comme prescrites,
- en conséquence, débouter la SAFER de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre reconventionnel, condamner la SAFER Pays de Loire à lui verser une somme de 200 000 euros sur le fondement de l'
article 1240 du code civil🏛, anciennement 1382 du même code, compte tenu de ses agissements,
- en toute hypothèse, condamner la SAFER à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
À l'appui de son appel, Mme [Aa], se fondant sur les dispositions de l'article L143-10 du code rural, expose qu'elle pouvait à tout moment, au cours de la procédure, renoncer à la vente, faisant à ce titre une comparaison avec le régime applicable en cas de droit de préemption du preneur en place. Elle affirme ainsi qu'elle ne peut être évincée de son bien sans qu'il y ait eu accord sur la chose et le prix. L'appelante soutient ainsi que son désistement ne pouvait être interprété comme la privant de son droit à retirer de la vente son bien. Elle ajoute que son désistement, intervenu le 22 mai 2015, et qui visait précisément son intention de renoncer à la vente, a été notifié à la SAFER pendant la période d'interruption du délai de six mois du fait de l'expertise ordonnée par le tribunal et donc avant l'effet extinctif de son désistement d'instance. En tout état de cause, l'appelante affirme que son désistement était conditionné au retrait de la vente du bien préempté et que le juge de la mise en état en constatant l'effectivité de son désistement a reconnu implicitement l'effectivité du retrait de la vente du bien litigieux. Par ailleurs, elle indique que l'intimée ne rapporte pas la preuve d'un grief tiré de l'éventuelle irrégularité de forme tenant à la notification du retrait de la vente par conclusions et non par courrier adressé au notaire chargé d'instrumenter. Sur le fond, elle fait valoir que le prix proposé en octobre 2010 par la SAFER est complètement éloigné de la valeur réelle des biens, alors qu'elle avait reçu trois offres successives à des montants bien supérieurs à celui de la préemption. Elle considère que le prix proposé par la SAFER, au jour où le tribunal a statué, n'était pas acceptable et que la juridiction aurait dû ordonner une expertise pour que le bien soit justement évalué. A titre subsidiaire, l'appelante se prévaut de l'irrecevabilité de la demande formée par l'intimée tendant au prononcé de la vente, cette dernière l'ayant assignée près de six ans après la notification de la préemption, acte qui fonde ses prétentions. En toute hypothèse, elle souligne la mauvaise foi de la SAFER dans le cas de cette procédure, l'empêchant de disposer de son bien en dissuadant notamment depuis 2016 les éventuels preneurs intéressés par la mise en place d'une convention d'occupation précaire ou d'un bail rural. Elle déplore un important préjudice financier, ne pouvant tirer aucun revenu de ses biens qui se dégradent, faute d'exploitation, depuis plusieurs années. Elle fait également état d'un préjudice moral du fait des tracas générés par cette procédure, estimant que la SAFER profite du temps qui s'écoule pour obtenir une révision à la baisse du bien.
La SAFER Pays de la Loire demande à la cour, au visa des articles L 143-10 du code rural et 2243 du code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Angers le 26 mars 2019 en toutes ses dispositions,
- condamner Mme [Aa] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, conformément à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Aa] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes, l'intimée expose en premier lieu que le 22 mai 2015, en se désistant de l'instance, Mme [Aa] a renoncé à solliciter la révision judiciaire du prix de vente du bien préempté, option prévue à l'article L 143-10 du code rural qu'elle avait choisie initialement dans le délai imparti. Elle observe que celui-ci étant expiré au jour de son désistement, l'appelante ne pouvait plus retirer son bien de la vente, autre option énoncée à l'article L 143-10. Elle souligne que la faculté pour la venderesse de renoncer à la vente n'était encore possible que si le tribunal avait fixé le prix. Elle affirme également que la saisine du tribunal en révision du prix n'était pas de nature à interrompre ou suspendre le délai de six mois pour retirer le bien de la vente. Par ailleurs, la SAFER ajoute que la venderesse n'est plus recevable à contester la validité de la préemption. En second lieu, l'intimée fait valoir qu'en sus de la condition de délai imposée pour retirer le bien de la vente, ce retrait de la part de la venderesse devait intervenir selon un formalisme qui n'a pas été respecté. Elle indique également que l'appelante n'a aucunement conditionné son désistement au retrait de la vente du bien, le juge de la mise en état s'étant limité à constater son désistement d'instance. En tout état de cause, la SAFER estime que le désistement de la venderesse a emporté la disparition de l'effet interruptif de son action conformément à l'
article 2243 du code civil🏛 et que ce désistement n'a pas ouvert un nouveau délai de six mois. En réponse à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action visant à régulariser la vente, l'intimée fait valoir que ce n'est qu'à partir de l'ordonnance constatant le désistement de la venderesse, soit le 21 mars 2016, qu'elle a pu en déduire l'acceptation tacite du prix de vente qui lui a été notifié le 22 octobre 2010. Sur le prix de la vente, la SAFER rappelle que le contrôle judiciaire ne porte que sur la régularité de la procédure et la légalité des décisions de préemption. Elle affirme que la préemption qu'elle exerce est parfaitement régulière et répond aux objectifs légaux d'intérêt général, l'appelante ne pouvant plus discuter le prix puisqu'elle s'est désistée de l'instance en fixation judiciaire du prix. Enfin, sur la demande indemnitaire formée par l'appelante, l'intimée relève que la longueur de la procédure est imputable à cette dernière qui s'est opposée à régulariser la vente, qui a par la suite contesté en justice le prix et soulevé à mauvais escient une question prioritaire de constitutionnalité. Elle observe encore que l'appelante n'est pas déchargée de l'entretien de ses biens dès lors qu'elle en a toujours la jouissance effective et qu'elle ne démontre aucunement des agissements de sa part de nature à empêcher la mise en place de convention d'occupation sur les biens litigieux.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022 et l'affaire, initialement fixée à l'audience du 29 novembre 2022, a été plaidée à l'audience du 16 janvier 2023, conformément à l'avis du greffe notifié aux parties le 24 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
I - Sur la demande principale aux fins de régularisation de la vente
L'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime dispose que lorsque la société d'aménagement foncier et d'établissement rural déclare vouloir faire usage de son droit de préemption et qu'elle estime que le prix et les conditions d'aliénation sont exagérés, notamment en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles de même ordre, elle adresse au notaire du vendeur, après accord des commissaires du Gouvernement, une offre d'achat établie à ses propres conditions.
Si le vendeur n'accepte pas l'offre de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, il peut soit retirer le bien de la vente, soit demander la révision du prix proposé par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural au tribunal compétent de l'ordre judiciaire qui se prononce dans les conditions prescrites par l'article L. 412-7.
Si, dans un délai de six mois à compter de la notification de cette offre, le vendeur n'a ni fait savoir qu'il l'acceptait, ni retiré le bien de la vente, ni saisi le tribunal, il est réputé avoir accepté l'offre de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural qui acquiert le bien au prix qu'elle avait proposé. Toutefois, en cas de décès du vendeur avant l'expiration dudit délai, cette présomption n'est pas opposable à ses ayants droit auxquels la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit réitérer son offre.
Lorsque le tribunal, saisi par le vendeur, a fixé le prix, l'une ou l'autre des parties a la faculté de renoncer à l'opération. Toutefois, si le vendeur le demande dans un délai de trois ans à compter d'un jugement devenu définitif, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural ne peut refuser l'acquisition du bien au prix fixé par le tribunal, éventuellement révisé si la vente intervient au cours des deux dernières années.
L'
article R 143-12 du code rural🏛, dans sa version applicable au litige, précise que lorsqu'en application de l'article L 143-10, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural estime que le prix et les conditions de l'aliénation sont exagérés, elle adresse au notaire chargé d'instrumenter, selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article R 143-6, sa décision de préemption assortie de l'offre d'achat établie à ses propres conditions.
Cette notification doit en outre comporter l'indication de l'accord exprès des commissaires du Gouvernement et le rappel des dispositions concernant les différentes possibilités d'action qui s'offrent alors au vendeur.
L'offre ferme d'achat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit être parvenue au notaire dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par la société de la notification prévue à l'article R 143-4 ou, le cas échéant, de la notification adressée dans les délais prévus au 2° de l'article R 143-7.
Si le vendeur accepte l'offre d'achat ou retire le bien de la vente, sa décision doit être portée à la connaissance de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, par le notaire chargé d'instrumenter. Le délai de six mois à l'expiration duquel le vendeur, en cas de silence de sa part, est réputé avoir accepté l'offre d'achat de la société à ses propres conditions court du jour de la réception par le notaire de la notification prévue au premier alinéa du présent article. La décision de retrait doit être parvenue à la société avant l'expiration de ce délai.
S'il décide de demander la révision du prix et des conditions proposées par la société, le vendeur assigne celle-ci devant le tribunal de grande instance, qui se prononce dans les conditions prescrites à l'article L. 412-7.
Le tribunal apprécie de la même façon en cas d'apport en société et en cas d'échange la valeur des biens faisant l'objet de la préemption.
Dans le délai d'un mois à compter du jour où le jugement est devenu définitif, la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit être parvenue au notaire chargé d'instrumenter. La décision du vendeur est notifiée par le notaire à la société et doit lui être parvenue dans le délai de trois ans à compter du même jour.
Le silence de l'une ou de l'autre des parties pendant le délai dont elles disposent respectivement vaut renonciation, selon le cas, à l'acquisition ou à la vente aux prix et conditions fixés par le tribunal.
Il se déduit de ces textes que lors de sa réponse à la notification qui lui est faite par le notaire du vendeur, la SAFER peut proposer un prix moindre que celui indiqué, et le vendeur peut alors accepter cette offre d'achat, renoncer à la vente ou bien saisir le tribunal compétent en révision du prix.
- Sur la recevabilité de la demande
En vertu de l'
article 2224 du code civil🏛, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
C'est à tort que l'appelante situe le point de départ du délai ouvert à la SAFER pour agir en vente forcée au jour de la notification de sa préemption, soit le 22 octobre 2010. En effet, dès lors que la venderesse avait saisi le tribunal de grande instance d'une demande de fixation judiciaire du prix de vente du bien préempté en application de l'article L143-10 alinéa du code rural, la SAFER ne pouvait, avant l'issue de cette procédure, engager une action en vente forcée dudit bien.
Ce n'est dès lors qu'à compter de la décision du 21 mars 2016 du juge de la mise en état constatant le désistement de la venderesse relativement à cette action en fixation judiciaire du prix de vente que la SAFER a pu en déduire que la venderesse devait être considérée comme ayant accepté tacitement les modalités de la vente proposée.
L'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 21 septembre 2016, l'action de la SAFER tendant à dire la vente parfaite n'est pas prescrite et la fin de non recevoir opposée par l'appelante doit être rejetée.
- Sur le bien-fondé de la demande
En l'espèce, il n'est pas discuté que la SAFER a fait valoir son droit de préemption par courrier recommandé du 22 octobre 2010 reçu le 25 octobre 2010 par Me [W], notaire des vendeurs, offrant un prix de 307 000 euros.
Cette offre d'achat avec révision du prix, notifiée selon les modalités prévues aux dispositions susvisées, était accompagnée de l'information relative aux démarches qu'il incombait aux vendeurs de faire en exécution de l'article L. 143-10 du code rural.
Le délai de six mois ouvert aux vendeurs pour exercer leur option expirait donc le 25 avril 2011, en application des textes susvisés.
Suivant acte d'huissier du 20 avril 2011, les époux [Aa] ont saisi le tribunal de grande instance d'Angers d'une demande principale tendant à constater la nullité de la décision de la SAFER et à titre subsidiaire d'une demande de révision du prix offert par la SAFER et d'expertise sur le fondement de l'article L 143-10 du code rural et de la pêche maritime.
Ainsi, les époux [Aa] ont exercé dans le délai de six mois une des options prévues par l'article L 143-10 du code rural, à savoir une demande de fixation judiciaire du prix.
Au cours de cette procédure devant le tribunal de grande instance d'Angers, Mme [Aa], reprenant seule la procédure après le décès de son époux, a saisi le juge de la mise en état, par conclusions d'incident du 21 mars 2013, de demandes tendant à lui donner acte de ce qu'elle ne renonçait pas à son moyen principal de nullité de la décision de préemption de la SAFER du 22 octobre 2010 et tendant à ordonner une enquête et une expertise.
C'est dans ces conditions que le juge de la mise en état a ordonné, aux termes d'une ordonnance rendue le 1er juillet 2013, une expertise pour déterminer la valeur des biens litigieux.
L'expert judiciaire déposant son rapport en l'état le 31 décembre 2014, Mme [Aa], suivant conclusions du 22 mai 2015, a demandé au juge de la mise en état, d'une part, de lui donner acte de ce qu'elle se désistait 'de la procédure engagée en nullité de l'exercice du droit de préemption de la SAFER et expertise' et d'autre part, de statuer ce que de droit quant aux dépens. La demanderesse à la procédure indiquait aux termes de ses conclusions que 'dans le cadre de l'expertise, la demanderesse a attendu (sic) finalement retirer le bien de la vente. Attendu que dans ces conditions, la procédure n'a plus d'être (sic). Attendu qu'elle se désiste dès lors de l'intégralité de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance d'Angers et qu'il lui en sera donné acte.'
En réponse aux conclusions de la SAFER, Mme [Aa] modifiait ses demandes aux termes de conclusions datées du 11 novembre 2015, qui sont produites devant la cour. La demanderesse à l'incident relevait qu'il n'y avait pas lieu de faire constater autre chose qu'un simple désistement d'instance, que les débats se trouvaient relancés après l'arrêt de l'expertise et qu'il appartenait désormais au tribunal saisi au fond et non au juge de la mise en état de statuer sur les conséquences de l'arrêt de l'expertise. Elle demandait ainsi le renvoi du dossier à la mise en état et la fixation d'un calendrier de procédure pour permettre aux parties de conclure sur le seul aspect du dossier restant en litige, à savoir les conséquences de l'arrêt à son initiative de l'expertise judiciaire ordonnée par le juge de la mise en état.
Le juge de la mise en état, dans une ordonnance du 21 mars 2016, visant l'acceptation par la SAFER du désistement de la requérante, a constaté le désistement d'instance de cette dernière et l'a déboutée de ses autres demandes, rappelant que le désistement emportait extinction de l'instance, dessaisissement de la juridiction qui ne pouvait donc plus statuer sur le fond et que les parties ne pouvaient plus accomplir d'actes de procédure.
Au vu de ce qui précède, la cour constate, en premier lieu, que la procédure en fixation judiciaire du prix n'a pas abouti, la requérante, Mme [Aa] se désistant de sa demande d'expertise en cours de procédure et partant renonçant à l'option initialement choisie, en application de l'article L 143-10 du code rural. Il échet de relever que Mme [Aa] n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du 21 mars 2016 qui, en sus de constater son désistement, l'a déboutée de ses demandes visant à renvoyer l'affaire à la mise en état et à fixer un calendrier de procédure pour permettre à chacune des parties de conclure sur les conséquences de l'arrêt de l'expertise judiciaire.
L'appelante fait valoir qu'elle a finalement, en cours de procédure, choisi de retirer son bien de la vente, comme elle a pu le préciser aux termes des conclusions suscitées du 22 mai 2015.
Il importe de rappeler que si la venderesse pouvait renoncer à son projet de vente après la fixation judiciaire du prix et partant, sans considération du délai de six mois, le retrait de la vente du bien préempté tel qu'envisagé à l'alinéa 2 de l'article L 143-10 du code rural devait, quant à lui, intervenir dans le délai de six mois et selon les modalités prescrites aux dispositions susvisées.
En effet, quelle que soit l'option choisie sur les trois hypothèses envisagées à l'alinéa 2 de l'article L 143-10 précité, le vendeur dispose pour réagir de six mois à compter de la réception de la proposition par le notaire.
A cet égard, d'une part, le retrait de la vente du bien préempté n'a pas été réalisé dans les formes prescrites puisqu'il n'a pas été porté à la connaissance de la SAFER par l'intermédiaire du notaire chargé d'instrumenter conformément à l'article R 143-12 alinéa 4. C'est à tort que l'appelante affirme que ses conclusions de désistement du 22 mai 2015, contenant une mention sur sa volonté de retirer le bien préempté de la vente, valent notification à la SAFER de ce retrait du bien de la vente.
D'autre part, passée la date du 25 avril 2011, la venderesse n'était plus autorisée à exercer une quelconque option.
La saisine du tribunal de grande instance aux fins de révision du prix de vente n'a pas interrompu le délai de six mois qui court de manière autonome pour chacune des trois options précitées. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont considéré que la saisine de la juridiction en demande de révision du prix n'était pas de nature à interrompre ou suspendre le délai de six mois pour retirer le bien de la vente.
Aussi, les développements de l'appelante relativement à la notification du retrait du bien de la vente qui serait intervenue avant l'effet du désistement d'instance et donc pendant la période d'interruption du délai de six mois, sont inopérants.
De même, c'est vainement que l'appelante excipe d'un désistement conditionnel dont l'efficacité aurait été soumise au retrait de la vente du bien préempté. Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, le juge de la mise en état, dans son ordonnance du 21 mars 2016, n'a aucunement reconnu un tel désistement conditionnel.
En tout état de cause, le désistement de Mme [Aa] quant à la procédure de révision judiciaire du prix ne saurait lui ouvrir un nouveau délai de six mois.
Enfin, la cour rappelle que l'application de l'article L 412-7 du code rural est strictement limitée à la procédure de fixation judiciaire du prix de vente du bien préempté sans qu'il y ait lieu, comme soutenu par l'appelante, d'aligner plus généralement la procédure de préemption de la SAFER sur celle du droit de préemption du preneur en place.
Du tout, il en résulte que faute pour l'appelante d'avoir, dans un délai de six mois à compter du jour de la réception par le notaire de la notification de l'offre de la SAFER, retiré le bien de la vente, elle est réputée avoir accepté l'offre de la SAFER qui acquiert le bien au prix qu'elle avait proposé.
La cour observe que l'appelante ne critique plus la légalité de la décision de préemption, s'étant désistée de son action principale en nullité de cette décision.
Aussi, dès lors que la SAFER a préempté de manière régulière, sans que cela ne fasse l'objet d'une discussion de la part de la venderesse, il appartenait à cette dernière de poursuivre la procédure en fixation judiciaire du prix de vente qu'elle avait initiée afin de pouvoir contester par la suite le prix proposé par la SAFER.
Les moyens développés devant la cour par l'appelante relativement à une distorsion entre le prix de vente proposé par la SAFER et la valeur réelle du bien sont ainsi inopérants, le prix de vente ne pouvant plus être discuté par la venderesse et les premiers juges n'ayant pas à se prononcer sur la valeur dudit bien.
En considération de ces éléments, c'est à raison que le tribunal a retenu que la vente était devenue définitive, que la SAFER devait être déclarée acquéreur du bien litigieux au prix de 307 000 euros, le jugement valant vente et les frais de publication de l'acte de vente étant à la charge de la SAFER.
II- Sur la demande reconventionnelle indemnitaire formée par MAae [V]
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'appelante sollicite une indemnité de 200 000 euros en réparation de ses préjudices financier et moral.
Si elle impute la dégradation actuelle de ses parcelles et bâtiments d'habitation et d'exploitation à l'intimée, force est de constater qu'elle est demeurée propriétaire de son bien depuis la notification de la décision de préemption de la SAFER en octobre 2010 et qu'il lui appartenait donc d'assurer l'entretien de son bien. Par ailleurs, les agissements imputés à la SAFER qui auraient empêché la mise en place de convention d'occupation et baux sur les biens litigieux ne sont aucunement démontrés par l'appelante.
Par ailleurs, la cour observe que le délai important séparant la notification de la décision de préemption par la SAFER et la régularisation de la vente n'est pas le fait de l'intimée mais de l'appelante qui s'est finalement désistée d'une procédure en fixation judiciaire du prix au cours des opérations d'expertise.
Du tout et faute de rapporter la preuve d'une faute de la SAFER dans le déroulement de l'instance, il y a lieu de débouter Mme [Aa] de sa demande indemnitaire.
III- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme [Aa] qui succombe en son appel devra supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi que sollicité par le conseil de l'intimée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SAFER les frais engagés pour la défense de ses intérêts en cause d'appel. Mme [Aa] sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance d'Angers du 26 mars 2019,
Y ajoutant,
DECLARE recevable l'action formée par la SAFER Pays de la Loire à l'encontre de Mme [N] [Y] veuve [Aa] tendant à constater, à son bénéfice, le caractère parfait de la vente de la ferme de [Adresse 6] à [Localité 7],
DEBOUTE Mme [N] [Y] veuve [Aa] de sa demande indemnitaire formée à l'encontre de la SAFER Pays de la Loire,
CONDAMNE Mme [N] [Y] veuve [Aa] à payer à la SAFER Pays de la Loire la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
DEBOUTE Mme [N] [Y] veuve [Aa] de sa demande formée à l'encontre de la SAFER Pays de la Loire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [N] [Y] veuve [Aa] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. A C. C