CAA Douai, 3e, 23-03-2023, n° 21DA02968
A27289LM
Référence
Procédure contentieuse antérieure :
M. C B a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Par un jugement n° 2003804 du 26 octobre 2021 le tribunal administratif de Rouen⚖️ a annulé l'arrêté du 11 septembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé la révocation de M. B, mis à la charge de l'Etat le versement à M. B de la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation sur la gravité des faits ;
- les faits reprochés sont établis et de nature à justifier la révocation.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2022, M. C B, représenté par Me Suxe, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est tardive ;
- il n'y a plus lieu à statuer sur la requête ;
- les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 juillet 2022, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 25 août 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983🏛 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984🏛 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995🏛 ;
- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004🏛 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005🏛 ;
- l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Suxe, représentant M. C B.
1. M. B, gardien de la paix exerçant ses fonctions dans l'unité d'aide et d'assistance judiciaire de la police de , a fait l'objet d'un arrêté du 11 septembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation. Par un jugement du 26 octobre 2021 le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat le versement à M. B de la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. B tirée de la tardiveté de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative🏛 : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3
à R. 751-4-1 ". Sauf texte contraire, les délais de recours devant les juridictions administratives sont, en principe, des délais francs, leur premier jour étant le lendemain du jour de leur déclenchement et leur dernier jour étant le lendemain du jour de leur échéance, et les recours doivent être enregistrés au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai.
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du 26 octobre 2021 du tribunal administratif de Rouen a été notifié le 27 octobre 2021. Ainsi, la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer, enregistrée le 28 décembre 2021, n'est pas tardive. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par M. B doit être écartée.
Sur l'exception de non-lieu :
4. Par un arrêté du 31 décembre 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a retiré l'arrêté du 11 septembre 2020 prononçant la révocation de M. B et prononcé à son encontre une nouvelle sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de vingt-quatre mois. Lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette délivrance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Or l'arrêté du 31 décembre 2021 mentionne expressément qu'il a été pris en exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 26 octobre 2021 qui a annulé pour disproportion la sanction de révocation dont a fait l'objet M. B. Dès lors, la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer introduite contre ce jugement n'est pas dépourvue d'objet et l'exception de non-lieu opposée par M. B doit être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
5. D'une part aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi visée ci-dessus du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme. / Deuxième groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / Troisième groupe : / - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation. () ".
6. D'autre part aux termes de l'article R 434-12 du code de la sécurité intérieure🏛 : " Le policier () ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation ". L'article R. 434-14 de ce même code dispose que : " Le policier () est au service de la population. / () Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d'une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération ". Aux termes de l'article R. 434-27 de ce code🏛 : " Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code de déontologie l'expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant ". Aux termes de l'article 29 du décret du 9 mai 1995🏛 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Le fonctionnaire actif des services de la police nationale doit, en tout temps, qu'il soit ou non en service, s'abstenir en public de tout acte ou propos de nature à porter la déconsidération sur le corps auquel il appartient ou à troubler l'ordre public ". Enfin, aux termes de l'article 113-2 de l'arrêté du 6 juin 2006🏛 portant règlement général d'emploi de la police nationale : " Les fonctionnaires actifs de la police nationale () se départissent de leur dignité en aucune circonstance. Placés au service du public, ils se comportent envers celui-ci d'une manière exemplaire. () ". En application des dispositions précitées, les faits commis par un fonctionnaire en dehors du service peuvent constituer une faute passible d'une sanction disciplinaire lorsque, eu égard à leur gravité, à la nature des fonctions de l'intéressé et à l'étendue de ses responsabilités, ils ont eu un retentissement sur le service, jeté le discrédit sur la fonction exercée par l'agent ou sur l'administration, ou encore si ces faits sont incompatibles avec la qualité d'agent public.
7. II appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B a, entre novembre et décembre 2019, dans le fil d'une discussion sur un réseau social, au sein d'un groupe composé notamment de plusieurs collègues de son unité, tenu à quatre reprises des propos racistes et discriminatoires, en partie sur son temps de travail, dont notamment un de ses collègues faisait l'objet. De plus, il n'a eu aucun comportement modérateur ou dissuasif des commentaires comportant des propos violemment racistes, misogynes, antisémites et discriminatoires émis par les autres membres du groupe, dont il ne peut sérieusement soutenir qu'il n'avait pas connaissance alors que certains de ces propos ont été tenus après qu'il eut intégré ce groupe. Par un jugement du 5 novembre 2021 le tribunal de police d'Evreux a reconnu M. B coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné au paiement d'une amende de 150 euros pour l'infraction prévue à l'article R. 625-8-1 du code pénal🏛 d'" injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ". Les faits reprochés à M. B sont ainsi établis.
9. Si M. B a commis pour partie les faits en cause en dehors de l'exercice de ses fonctions, un policier ne doit se départir de sa dignité en aucune circonstance et à aucun moment, que ce soit en service ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, et doit s'abstenir de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale. Les faits reprochés à M. B constituent ainsi des manquements caractérisés de l'intéressé à ses obligations statutaires et déontologiques, notamment rappelés aux articles R. 434-1 et suivants du code de la sécurité intérieure🏛, et en particulier aux devoirs de dignité, d'intégrité et d'exemplarité qui s'imposent à tout fonctionnaire de police, et ils ont porté une atteinte grave à l'image du service public de la police nationale. Ainsi, ils sont de nature à justifier une sanction disciplinaire.
10. Eu égard à la nature et à la gravité des manquements commis par M. B, par nature incompatibles avec la qualité de fonctionnaire de police, et alors même que ce dernier justifiait de bons états de service, le ministre de l'intérieur, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, n'a pas entaché son arrêté du 11 septembre 2020 d'une erreur d'appréciation en lui infligeant la sanction disciplinaire de révocation. Le jugement attaqué du 26 octobre 2021 doit par conséquent être annulé.
11. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision du 11 septembre 2020.
Sur les autres moyens :
12. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005🏛 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : () 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997🏛 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; () ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. D A, signataire de l'arrêté en litige, a été nommé directeur général de la police nationale au sein de l'administration centrale du ministère de l'intérieur à compter du 3 février 2020, par un décret du 29 janvier 2020🏛, régulièrement publié au Journal officiel de la République française n° 0025 du 30 janvier 2020. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence signataire de l'arrêté contesté manque en fait et doit être écarté.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires : " () la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 2° Infligent une sanction ; () ". L'article L. 211-5 du même code prévoit que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
15. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que celui-ci énonce les textes dont il fait application, il énumère précisément les différents manquements reprochés à M. B et les motifs pour lesquels ils justifient le prononcé d'une sanction. L'ensemble de ces éléments n'est nullement stéréotypé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
16. En troisième lieu, l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose à l'administration comme au juge administratif en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif. Les faits en cause sont établis par les pièces du dossier et par le jugement du 5 novembre 2021 du tribunal de police d'Evreux. Le moyen tiré d'une inexactitude matérielle des faits doit donc être écarté.
17. En quatrième lieu, la circonstance que le groupe Whatsapp sur lequel s'échangeaient les messages écrits incriminés de M. B ait eu un caractère privé et non public et que ces échanges soient intervenus, en partie, en dehors du service n'empêchait pas l'autorité administrative de les prendre en compte pour apprécier le comportement de son agent et son caractère fautif. Le moyen tiré d'une erreur de droit doit donc être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 11 septembre 2020 et que la demande de première instance de M. B doit être rejetée. Les conclusions de M. B présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
Article 1er : Le jugement du 26 octobre 2021 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée en première instance par M. B et ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C B.
Délibéré après l'audience publique du 7 mars 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. E
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
Loi, 83-634, 13-07-1983 Loi, 84-16, 11-01-1984 Décret, 2005-850, 27-07-2005 Article, R811-2, CJA Décret, 95-654, 09-05-1995 Décret, 2004-1439, 23-12-2004 Article, R434-12, C. sécur. int. Article, R434-27, C. sécur. int. Article, R625-8-1, C. pén. Article, R434-14, C. sécur. int. Arrêté, 31-12-2021 Article, R434-1, C. sécur. int. Gardien Assistance judiciaire Tardiveté de la requête Texte contraire Expiration du délai Exclusion temporaire Prise d'une nouvelle décision Fautes commises Dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'etat Tableau d'avancement Déplacement d'office Rétrogradation Mise à la retraite d'office Communications électroniques Déontologie Dispositions communes aux fonctionnaires Ordre public Justification d'une sanction disciplinaire Paiement des amendes Manquement caractérisé État des services Effet dévolutif de l'appel Directeur d'administration centrale Service national Personne physique Insuffisance de motivation Autorité d'une chose jugée Supports nécessaires Inexactitude matérielle Appréciation d'un comportement