Jurisprudence : CA Caen, 07-02-2023, n° 22/00723, Infirmation partielle

CA Caen, 07-02-2023, n° 22/00723, Infirmation partielle

A73569CG

Référence

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AFFAIRE : N° RG 22/00723 -

N° Portalis DBVC-V-B7G-G6NK


ARRÊT N°


JB.


ORIGINE : Décision du Juge de l'exécution de CAEN du 08 Mars 2022 - RG n° 21/02664


COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 07 FEVRIER 2023



APPELANTE :


Madame [M] [Aa] épouAbe [I]

née le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]


représentée et assistée de Me Mathilde LAMBINET, avocat au barreau de CAEN


INTIMÉE :


S.A. INTRUM DEBT FINANCE La société INTRUM DEBT FINANCE AG (venant aux droits de la SA COFIDIS), société par actions de droit suisse, immatriculée au R.C.S. de ZUG sous le numéro CHE 100.023.266, dont le siège social est situé [Adresse 6]


représentée par Me Ivana HAGUIER, avocat au barreau de LISIEUX,

assistée de Me Jean-Pierre DEPASSE, avocat au barreau de RENNES,


DÉBATS : A l'audience publique du 08 décembre 2022, sans opposition du ou des avocats, M. GARET, Président de chambre, a entendu seul les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré


GREFFIER : Mme A



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :


M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GARET, Président de chambre,


ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛 le 07 Février 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier


* * *



FAITS ET PROCEDURE


Par acte du 28 avril 2021, se prévalant d'une ordonnance d'injonction de payer rendue le 24 juillet 1992 au profit de la société Cofidis, la société Intrum Debt Finance a fait signifier à Mme'[M] [Ab] la cession de créance correspondante ainsi qu'un commandement aux fins de saisie-vente.


La saisie-vente elle-même a été réalisée par acte du 24 juin 2021 et ce, pour avoir paiement d'une somme réclamée de 6.514,50 €.


Mme [Ab] a alors fait assigner la société Intrum Debt Finance devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Caen aux fins de nullité d'un précédent commandement de payer aux fins de saisie-vente en date du 17 novembre 2017, du commandement aux fins de saisie-vente du 28 avril 2021, enfin du procès-verbal de saisie-vente du 24 juin 2021.



Par jugement du 8 mars 2022, le magistrat a :


- déclaré recevable la demande tendant à la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 17 novembre 2017, mais débouté Mme [Ab] de sa demande en ce sens';


- débouté Mme [Ab] de sa demande de nullité du commandement aux fins de saisie-vente du 28 avril 2021 ;


- débouté Mme [Ab] de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-vente du 24 juin 2021 ;


- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


- condamné Mme [Ab] aux dépens de l'instance.



Par déclaration du 22 mars 2022, Mme [Ab] a interjeté appel de cette décision.


L'appelante a notifié ses dernières conclusions le 7 novembre 2022, l'intimée les siennes le 30 juin 2022.


La clôture a été prononcée par ordonnance du 9 novembre 2022.


MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES


Mme [Ab] demande à la cour de :


- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée ;


- infirmer la décision déférée en ce qu'elle :


* l'a déboutée de sa demande de nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 17 novembre 2017 ;


* l'a déboutée de sa demande de nullité du commandement aux fins de saisie-vente du 28 avril 2021 ;


* l'a déboutée de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-vente dressé le 24 juin 2021 ;


* a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


En conséquence,


- déclarer la signification du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 17 novembre 2017 nulle ;


- dire et juger que l'exécution de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 24 juillet 1992 ne peut plus être poursuivie ;


- déclarer nul le commandement aux fins de saisie-vente du 28 avril 2021 ;


- déclarer nul le procès-verbal de saisie-vente dressé le 24 juin 2021 ;


- ordonner la mainlevée de la saisie-vente pratiquée le 24 juin 2021 ;


- débouter la société Intrum Debt Finance de l'intégralité de ses demandes ;


- condamner la société Intrum Debt Finance au paiement d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi qu'aux entiers dépens.


Au contraire, la société Intrum Debt Finance demande à la cour de :


- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;


- débouter Mme [Ab] de toutes ses demandes, fins et prétentions, notamment celles tendant à la nullité du procès-verbal du 17 novembre 2017, du commandement de payer du 28 avril 2021 et du procès-verbal de saisie-vente du 24 juin 2021 ;


- condamner Mme [Ab] à lui payer une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.


Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile🏛.



MOTIFS DE LA DECISION


Sur la nullité du commandement de payer signifié le 17 novembre 2017 :


Aux termes de l'article 654 du code de procédure civile🏛, la signification doit être faite à personne.


Ce n'est que dans le cas où la signification à personne s'avère impossible que l'huissier de justice peut recourir à d'autres formes de signification, notamment à domicile (article 655), ou encore à dernier domicile connu, l'article 659 lui commandant alors de relater avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.


C'est ce que l'huissier, alors mandaté par la société Cofidis, est censé avoir fait lorsqu'il a tenté de signifier à Mme [Ab], le 17 novembre 2017, un commandement aux fins de saisie-vente pris pour l'exécution de l'ordonnance d'injonction de payer rendue à l'encontre de celle-ci le 24 juillet 1992, l'officier ministériel s'étant alors transporté au domicile présumé de l'intéressée, au [Adresse 4], avant de dresser finalement un procès-verbal conformément aux prévisions de l'article 659, qui mentionne expressément ce qui suit':


«'Le débiteur n'habite plus à ladite adresse, le nom de [Ab] ne figure plus sur aucune des boîtes aux lettres ni sur les interphones. Nous avons tenté de le joindre téléphoniquement, en vain. Celui-ci n'a laissé aucune adresse où le contacter et il n'a ni résidence ni lieu de travail connus. Les recherches effectuées sur les pages jaunes et les pages blanches sont restées vaines, tout comme l'enquête de voisinage.'»


Or, à hauteur d'appel, Mme [Ab] verse aux débats, en original, les annuaires téléphoniques (pages blanches) des années 2015/2016 et 2017/2018, documents qui, tous deux, mentionnent l'adresse qui était alors celle de l'intéressée, soit le [Adresse 1], à quelques centaines de mètres seulement de son ancien domicile.


Ainsi et contrairement aux indications qui figurent sur le procès-verbal établi par l'huissier, il est démontré que celui-ci n'a pas accompli les diligences nécessaires à la recherche de la nouvelle adresse de la signifiée.


En effet, s'il avait réellement consulté l'annuaire téléphonique, du moins s'il l'avait fait correctement, il n'aurait pas manqué de découvrir la nouvelle adresse de Mme [Ab], ce qui lui aurait permis de signifier son acte à la personne de l'intéressée.


Il s'en suit que l'acte portant signification du commandement est nul, étant ici rappelé':


- d'une part, que les diligences de l'article 659 sont prescrites à peine de nullité de l'acte puisqu'elles en conditionnent la validité';


- d'autre part, que le non-respect de ces diligences a nécessairement fait grief à la signifiée qui, en effet, faute d'avoir reçu l'acte alors qu'elle aurait pu le recevoir s'il avait été signifié à la bonne adresse, n'a pas pu en prendre connaissance pour le contester, alors par ailleurs que l'acte, s'il avait été valablement signifié, aurait interrompu la prescription de l'exécution de l'ordonnance d'injonction de payer.


En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [Ab] de sa demande tendant à l'annulation du commandement de saisie-vente signifié le 17 novembre 2017.


Sur la prescription de l'exécution de l'ordonnance du 24 juillet 1992':


Il est constant qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'exécution des décisions de justice pouvait être poursuivie pendant trente ans, alors par ailleurs que cette prescription pouvait être interrompue par tout acte d'exécution ainsi que par un commandement aux fins de saisie-vente qui, sans être un acte d'exécution forcée, engage néanmoins la mesure d'exécution forcée et, par là même, interrompt la prescription de la créance qu'il tend à recouvrer.


La société'Intrum Debt Finance reconnaît elle-même que cette prescription est désormais raccourcie à dix ans et ce, par application de l'article 23 de la loi du 17 juin 2008🏛 (devenu l'article L 111-4 du code des procédures civiles d'exécution🏛).


La société reconnaît aussi qu'en application de l'article 26.II de cette loi, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, ce dont il résulte que la prescription de l'exécution de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 décembre 1992 était présumée acquise dix ans après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 19 juin 2018, sauf interruption valablement intervenue antérieurement.


Or, il n'est pas justifié d'un autre acte d'exécution, postérieur à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle et antérieur au 19 juin 2018, que le commandement de saisie-vente du 17 novembre 2017 dont la nullité vient d'être constatée.


Il en résulte que le recouvrement de la créance en cause ne peut plus être poursuivi, la prescription de l'exécution de l'ordonnance qui la constate étant définitivement acquise.


Par suite, tous les actes d'exécution ou tentatives d'exécution pratiqués depuis lors sont nuls et de nul effet, non seulement le commandement de saisie-vente du 28 avril 2021 mais également le procès-verbal de saisie-vente du 24 juin 2021, peu important à cet égard que Mme [Ab] ait acquiescé à de nouvelles voies d'exécution pratiquées encore plus récentes, notamment une saisie-attribution en date du 8 avril 2022.


En conséquence et en tant que de besoin, il convient d'ordonner la mainlevée de la saisie-vente pratiquée le 24 juin 2021, le jugement devant être infirmé en ce sens.


Enfin,'il convient de rappeler que la société Intrum Debt Finance n'est plus en mesure d'exécuter ou de tenter d'exécuter un titre aussi ancien que l'ordonnance d'injonction de payer du 7 décembre 1992, peu important que Mme [Ab] justifie ou non avoir réglé l'intégralité de sa dette.


Sur les autres demandes :


Les deux parties seront déboutées de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles.


Enfin, partie perdante, la société Intrum Debt Finance supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris l'intégralité des frais afférents aux actes annulés.



PAR CES MOTIFS,


La cour,


Statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement et en dernier ressort':


- confirme le jugement en ce qu'il a déclaré Mme [M] [Ab] recevable en sa demande tendant à la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente en date du du 17 novembre 2017';


- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant':


* déclare nul le commandement aux fins de saisie-vente du 17 novembre 2017';


* déclare nul le commandement aux fins de saisie-vente du 28 avril 2021 ;


* déclare nul l'acte de saisie-vente du 24 juin 2021 ;


* ordonne la mainlevée de ladite saisie ;


* juge que l'exécution de l'ordonnance d'injonction de payer du 24 juillet 1992 est aujourd'hui prescrite, de sorte qu'elle ne peut plus être poursuivie ;


* déboute les parties du surplus de leurs demandes, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛';


* condamne la société Intrum Debt Finance aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris l'intégralité des frais afférents aux actes annulés.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


M. COLLET G. GUIGUESSON

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