Jurisprudence : CE 2/7 SSR., 10-07-2013, n° 360901



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

360901, 361242

M. A.

Mme Natacha Chicot, Rapporteur
M. Gilles Pellissier, Rapporteur public

Séance du 12 juin 2013

Lecture du 10 juillet 2013

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux


Vu 1°, sous le n° 360901, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 9 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B. A., demeurant. ; M. A.demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10BX01160 du 15 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, à la demande du ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche, d'une part, annulé les articles 2 et 3 du jugement n° 0500685 du 5 février 2010 du tribunal administratif de Toulouse condamnant l'Etat à lui verser la somme de 45 046, 15 euros en réparation des désordres affectant les travaux d'enrochement de la rive du Ger et mettant à sa charge les frais d'expertise à concurrence de 2 038, 40 euros et, d'autre part, rejeté ses conclusions d'appel incident relatives aux préjudices liés à l'absence de remise en état du système de vannes et du canal desservant son moulin ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre et de faire droit aux conclusions de son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 361242, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juillet et 12 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 10BX01160 du 15 mai 2012 en tant que la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir fait partiellement droit à ses conclusions tendant à l'annulation des articles 2 à 4 du jugement du 5 février 2010 du tribunal administratif de Toulouse condamnant l'Etat à verser à M. A. la somme de 45 046, 15 euros en réparation des désordres affectant les travaux d'enrochement de la rive du Ger et mettant à sa charge les frais d'expertise à concurrence de 2 038, 40 euros, a rejeté les conclusions d'appel incident présentées par M. A.tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices liés à l'absence de remise en état du système de vannes et du canal desservant son moulin comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Natacha Chicot, Auditeur,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A.;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de plusieurs épisodes de crues de la rivière Ger, cours d'eau non domanial situé dans le département de la Haute-Garonne, au cours des années 1992, 1993 et 1994, des travaux de curage et de confortement des berges par enrochement, reconnus d'intérêt général, ont été réalisés, en 1995, par le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) de Saint-Gaudens-Montréjeau-Aspet en qualité de maître d'ouvrage, et par la direction départementale de l'agriculture et de la forêt de la Haute-Garonne, en qualité de maître d'œuvre ; que des travaux d'enrochement de la berge du Ger étaient notamment prévus sur la propriété de M. A.qui, en sa qualité de propriétaire riverain, a contribué à leur financement ; qu'à la suite de l'effondrement partiel de l'enrochement mis en place sur sa propriété, M. A.a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la réparation, par l'Etat et le SIVOM de Saint-Gaudens-Montréjeau-Aspet, des conséquences dommageables des vices d'exécution des travaux d'enrochement réalisés en 1995 ; qu'à la suite de la signature d'un protocole d'accord avec le SIVOM, M. A.s'est désisté de ses conclusions dirigées contre ce dernier, mais a maintenu sa demande dirigée contre l'Etat ; qu'il a par ailleurs poursuivi la responsabilité de ce dernier pour s'être opposé à la réalisation sur financement public de travaux prévus pour la reconstruction des vannes et du canal alimentant son moulin ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse en ce qu'il avait déclaré l'Etat responsable de la moitié du préjudice subi du fait des désordres affectant les travaux d'enrochement de la rive du Ger réalisés sur la propriété du requérant et l'avait condamné à indemniser ce dernier en conséquence et, d'autre part, rejeté les conclusions de M. A.relatives au préjudice lié à l'inexécution des travaux de remise en état du système de vannes et du canal alimentant son moulin, au motif qu'une voie de fait avait été commise et que la demande d'indemnisation relevait, par suite, de la compétence du juge judiciaire ;

Sur l'arrêt en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice résultant de l'effondrement partiel de l'enrochement :

2. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de son arrêt que, pour juger que la responsabilité de l'Etat, en tant que maître d'œuvre, ne pouvait être engagée sur le fondement des principes dont s'inspire l'article 1792 du code civil, la cour administrative d'appel a jugé que les travaux litigieux avaient le caractère de travaux publics, dont M. A.avait bénéficié en sa qualité de propriétaire riverain, et que celui-ci devait être regardé non comme maître d'ouvrage mais comme usager ; qu'en jugeant ainsi, sans rechercher si, comme il le soutenait devant elle, M. A.pouvait se prévaloir de ce qu'il était devenu propriétaire de l'enrochement et de ce qu'il était par suite susceptible de rechercher la responsabilité décennale des constructeurs, la cour a commis un erreur de droit ;

Sur l'arrêt en tant qu'il rejette les conclusions aux fins d'indemnisation du préjudice relatif à l'inexécution des travaux sur les vannes et le canal d'alimentation du moulin :

3. Considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration ;

4. Considérant que, ainsi que le soutiennent M. A.et le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que le préjudice dont M. A.demandait, ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, l'indemnisation, trouvait son origine dans un acte de l'Etat insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont il dispose ;

5. Considérant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel doit être annulé ;

Sur les conclusions de M. A.présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A.au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 15 mai 2012 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A.au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B. A.et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.


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