CIV.3 CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 3 juillet 2013
Cassation partielle
M. TERRIER, président
Arrêt no 811 FS-P+B
Pourvoi no F 12-19.442
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ M. Julien Z,
2o/ Mme Magali ZY épouse ZY,
domiciliés Cluses,
contre deux arrêts rendus les 13 septembre 2011 et 7 février 2012 et par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans les litiges les opposant
1o/ à Mme Christiane X, veuve X, domiciliée Ouches,
2o/ à Mme Sandrine X, épouse X, domiciliée Montagnac-d'Auberoche,
3o/ à Mme Pascale X, épouse X, domiciliée Saint-Paul-lès-Romans,
4o/ à Mme Sylvie X, épouse X, domiciliée Saint-Paul-sur-Yenne,
5o/ à M. Franck X, domicilié Cluses,
6o/ à M. Hervé X, domicilié Ouches,
7o/ à Mme Marie-Claude W, domiciliée Marnaz,
8o/ à la société BR immo, société à responsabilité limitée, dont le siège est Cluses,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 mai 2013, où étaient présents M. Terrier, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, Mmes Fossaert, Feydeau, Masson-Daum, MM. Echappé, Parneix, Mme Salvat, conseillers, Mmes Proust, Pic, M. Crevel, Mmes Meano, Collomp, conseillers référendaires, M. Laurent-Atthalin, avocat général, Mme Bordeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. et Mme Z, ... ... SCP Boutet, avocat des consorts X, ... ... SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société BR immo, l'avis de M. Laurent-Atthalin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Chambéry, 13 septembre 2011 et 7 février 2012) rendus sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 19 mai 2010, pourvoi no 09-13.474) que M. et Mme X propriétaires d'un appartement donné à bail à M. et Mme Z, ont notifié par lettre du 29 juillet 2004, envoyée par la société BR immo, un congé au 30 juin 2005 avec offre d'acquérir le logement à un prix incluant la commission d'agence ; qu'ils ont ensuite vendu l'appartement à Mme W selon acte du 8 octobre 2004 ; que les locataires, qui avaient accepté l'offre les 3 et 4 janvier 2005, ont assigné Mme W, M. et Mme X et leur mandataire pour se voir déclarer acquéreurs de l'appartement et obtenir le remboursement de sommes et la réparation de divers préjudices ;
Sur le premier moyen
Vu l'article 15 II de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 dans sa rédaction applicable ;
Attendu que lorsqu'il est fondé sur la décision de vendre le logement, le congé doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée ; que le congé vaut offre de vente au profit du locataire ;
Attendu que pour dire le prix pour lequel M. et Mme Z
étaient substitués comme acquéreurs à Mme W, l'arrêt du
13 septembre 2011 retient que la notification du 29 juillet 2004 contenait l'offre de vente pour un " prix commission d'agence compris ", que la commission d'agence est un élément du prix compris dans l'offre et qu'il n'y a pas de raison d'en dispenser le locataire acquéreur alors que l'intervention de l'agence était bien nécessaire pour la recherche d'un acquéreur et la fixation d'un accord sur le prix permettant de notifier au locataire les conditions de la vente projetée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le locataire titulaire d'un droit de préemption acceptant l'offre de vente du bien qu'il habite qui n'a pas à être présenté par l'agent immobilier, mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter M. et Mme Z de leur demande de dommages-intérêts dirigée contre les bailleurs, l'acquéreur, l'agent immobilier et le notaire, l'arrêt du 7 février 2012 retient que s'il est incontestable que leur droit de préemption a été maltraité, c'est de toute évidence par le fait d'ignorance de l'agent immobilier d'abord et du notaire ensuite, qu'il n'est pas démontré qu'il y ait eu une quelconque volonté du propriétaire de faire échec à leur droit, que leur préjudice apparaît uniquement constitué par la nécessité d'introduire la présence action et les frais engendrés, en sorte que ce préjudice sera indemnisé par l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Qu'en statuant ainsi alors que la méconnaissance du droit de préemption du locataire est constitutive d'une faute ouvrant droit à réparation du préjudice qui en résulte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le prix auquel la substitution d'acquéreurs aura lieu est de 130 500 euros, l'arrêt rendu le 11 septembre 2011, entre les parties, et en ce qu'il déboute M. et Mme Z de leur demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 7 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Br immo et les consorts X aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Br immo et des consorts X ; les condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme Z ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Z
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à aux arrêts attaqués D'AVOIR condamné les locataires à payer la commission d'agence,
AUX MOTIFS QUE " Attendu que la notification du 29 juillet 2004 contenait l'offre de vente pour un "prix de 140.500 euros commission d'agence compris" ; Que la commission d'agence était un élément du prix compris dans l'offre ; Qu'il n'y a pas de raison d'en dispenser le locataire acquéreur alors que l'intervention de l'agence était bien nécessaire pour la recherche d'un acquéreur et la fixation d'un accord sur le prix permettant de notifier au locataire les conditions de la vente projetée " (arrêt rendu le 13 septembre 2011, p. 4, sixième à huitième alinéas),
ALORS QUE l'offre de vente acceptée par le locataire, exerçant ainsi son droit de préemption, ne peut être assimilée à la présentation d'un acquéreur qui seule ouvre à l'agent immobilier le droit au paiement d'une commission, de sorte que le locataire n'a pas à payer cette commission ; que cette règle selon laquelle le locataire n'a pas à payer de commission d'agence s'applique même lorsque ce dernier vient se substituer à l'acquéreur à la suite de l'annulation de la vente consentie à un prix plus avantageux ;
Qu'en retenant cependant que les époux Z, venant se substituer à mademoiselle W à la suite de l'annulation de la vente, n'étaient pas dispensés de payer la commission d'agence qui aurait été un élément du prix de vente compris dans l'offre, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 15, II, de la loi du 6 juillet 1989.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à aux arrêts attaqués D'AVOIR débouté les locataires de leur demande de condamnation des consorts X, de mademoiselle W et de l'agent immobilier à leur réparer leur préjudice consistant dans les paiements des loyers indument effectués à mademoiselle W,
AUX MOTIFS QUE " les époux Z fondent leur demande de dommages et intérêts sur la volonté commune de faire échec à leur droit de préemption ; Que s'il est incontestable que leur droit de préemption a été maltraité, c'est de toute évidence par le fait d'ignorance de l'agent immobilier d'abord et du notaire ensuite, et qu'il n'est pas démontré qu'il y ait eu une quelconque volonté du propriétaire de faire échec à leur droit ; Que leur préjudice apparaît uniquement constitué par la nécessité d'introduire la présente action et les frais engendrés, encore que leur absence à la réunion de mai 2005 provoquée par leur notaire, qui était de nature à permettre une solution amiable du litige avant toute procédure, n'est pas l'expression d'un empressement à concrétiser la vente, en sorte que ce préjudice sera indemnisé par l'application de l'article 700 du code de procédure civile " (arrêt rendu le 7 février 2012, p. 4, sixième à huitième alinéas) ;
ALORS QUE lorsque l'exercice du droit de préemption est entravé par le propriétaire et l'agent immobilier et qu'en outre, le tiers, qui a acquis le bien en méconnaissance dudit droit de préemption, résiste à la réalisation forcée de la vente au profit du locataire lésé, ce dernier a droit à la réparation de son préjudice consistant dans le paiement à fonds perdus des loyers jusqu'à la reconnaissance judiciaire de ces droits ;
Qu'en décidant, au contraire, que le préjudice subi par les époux Z était uniquement constitué par la nécessité d'introduire une action en nullité de la vente conclue en fraude de leur droit de préemption, préjudice suffisamment indemnisé par l'application de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et 15, II, de la loi du 6 juillet 1989.