CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
337137
SOCIETE FRESENIUS MEDICAL CARE GROUPE FRANCE et SOCIETE FRESENIUS MEDICAL CARE FRANCE
M. Jean-Claude Hassan, Rapporteur
Mme Delphine Hedary, Rapporteur public
Séance du 17 mai 2013
Lecture du
10 juin 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er mars et 1er juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour les sociétés Fresenius Medical Care Groupe France et Fresenius Medical Care France, dont les sièges sont 47, avenue des Pépinières à Fresnes (94260) ; les sociétés Fresenius Medical Care Groupe France et Fresenius Medical Care France demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA03913 du 18 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n°s 0115357/1, 0303622/1 du 4 juillet 2007 du tribunal administratif de Paris en tant qu'après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 108 euros, il a rejeté le surplus de leurs demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle de 10 % à cet impôt auxquelles la société Fresenius Medical Care Groupe France a été assujettie au titre de l'année 1995, ainsi que des pénalités dont elles ont été assorties et, d'autre part, à la décharge des impositions supplémentaires en litige ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la Société Fresenius Médical Care Groupe France et de la Société Fresenius Médical Care France ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Fresenius Medical Care France (FMCF), qui exerçait des activités de laboratoire pharmaceutique dans le cadre d'un groupe fiscalement intégré dont la société mère était la société Fresenius Medical Care Groupe France, a conclu le 30 juin 1995 un accord avec la société Smad, qui appartenait au même groupe ; qu'aux termes de cet accord, la société Smad transmettait à la société FMCF, par apport partiel d'actifs, sa branche complète et autonome d'activité de vente, entreposage et distribution de produits de dialyse, ainsi que la clientèle attachée aux produits de dialyse ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société FMCF pour les exercices clos de 1995 à 1997, l'administration fiscale a estimé que si les dettes de la société apporteuse à l'égard de deux de ses distributeurs avaient été apportées, il n'en avait pas été de même des créances qu'elle détenait sur eux et qu'en s'abstenant de recevoir ces créances, la société vérifiée avait réalisé un acte anormal de gestion ; que l'administration fiscale a de ce fait réintégré aux résultats imposables de la société FMCF, au titre de l'exercice clos en 1995, une partie du montant de ces créances ; qu'en outre, l'administration a réintégré aussi aux résultats imposables du même exercice le montant d'une dette de la société apporteuse envers un intermédiaire, incluse dans l'apport partiel d'actif, en l'absence de preuve de l'existence d'une contrepartie à cette dette ;
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir opposée à la société Fresenius Medical Care France :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Une société, dont le capital n'est pas détenu à.95 p 100 au moins directement ou indirectement, par une autre personne morale passible de l'impôt sur les sociétés, peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 p. 100 au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe. (.) / Chaque société du groupe est tenue solidairement au paiement de l'impôt sur les sociétés, de l'imposition forfaitaire annuelle et du précompte et, le cas échéant, des intérêts de retard, majorations et amendes fiscales correspondantes, dont la société mère est redevable, à hauteur de l'impôt et des pénalités qui seraient dus par la société si celle-ci n'était pas membre du groupe " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsqu'une imposition supplémentaire a été acquittée par la société mère d'un groupe fiscalement intégré, la société filiale n'est plus susceptible de se voir réclamer le paiement de cette imposition en sa qualité de débiteur solidaire et qu'à défaut d'un mandat que lui aurait régulièrement confié la société mère, elle n'est par suite pas recevable à contester l'imposition dont il s'agit ; qu'en l'espèce, la FMCF n'oppose à la fin de recevoir soulevée par le ministre chargé des impôts ni la circonstance que cette imposition n'aurait pas été acquittée par la société mère, ou pas acquittée complètement, ni celle qu'elle serait détentrice d'un mandat ; que, par suite, le pourvoi est irrecevable en tant qu'il émane de la société Fresenius Medical Care France ;
En ce qui concerne la réintégration de la dette de la société Smad à l'égard d'un intermédiaire :
3. Considérant que, s'agissant d'impôts directs recouvrés, ainsi que l'a relevé la cour, par voie de rôle, la circonstance que la date de réception de l'avis d'imposition par le contribuable est postérieure à l'expiration du délai de reprise, est sans incidence sur la prescription, dès lors que la date de mise en recouvrement, qui est celle de l'homologation du rôle dont atteste l'avis d'imposition, lui est antérieure ; que, dès lors, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour administrative d'appel de Paris a écarté le moyen tiré de ce que la société contribuable n'aurait reçu les avis d'imposition qu'après le 31 décembre 2001, après avoir constaté, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, que les impositions contestées ont été mises en recouvrement le 31 décembre 2001, soit avant le terme, non contesté, du délai de reprise ouvert à l'administration par l'envoi d'une première notification de redressements ;
En ce qui concerne la réintégration partielle des créances initialement détenues par la société Smad sur deux de ses distributeurs :
4. Considérant qu'en jugeant, au seul motif que ces créances n'auraient pas été apportées à la société Fresenius Medical Care France, que l'opération d'apport n'avait pu consister en celui de la branche complète et autonome d'activité de vente, entreposage et distribution de produits de dialyse, ainsi que de la clientèle attachée aux produits de dialyse, précédemment détenue par la société Smad, sans rechercher si ces créances étaient indispensables à l'exploitation autonome de cette activité chez la société apporteuse comme chez la société bénéficiaire de l'apport, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, pour ce motif et dans cette mesure, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi sur ce point, être annulé ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Fresenius Medical Care Groupe France d'une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 18 décembre 2009 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il est relatif à la réintégration dans les résultats imposables de la société Fresenius Medical Care France pour l'exercice clos en 1995 d'une partie du montant des créances que la société apporteuse Smad détenait sur deux de ses distributeurs.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans la limité de la cassation opérée par l'article 1er à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Fresenius Medical Care Groupe France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Fresenius Medical Care Groupe France, à la société Fresenius Medical Care France et au ministre de l'économie et des finances.