CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
357575
Mme Annie COUTRE
M. Maxime Boutron, Rapporteur
M. Benoît Bohnert, Rapporteur public
Séance du 25 mars 2013
Lecture du
29 avril 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 13 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Annie Coutre, demeurant 7 Chemin des Rochettes à Mont-sur-Rolle (1185), Suisse ; elle demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt n° 10PA01518 du 1er février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0602486 du 21 janvier 2010 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2002, a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mars 2013, présentée pour Mme Coutre ;
Vu la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;
Vu la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 9 septembre 1966 ;
Vu l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 ;
Vu la décision du 17 juillet 2012 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Mme Coutre ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Maxime Boutron, Auditeur,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Defrenois, Levis, avocat de Mme Coutre ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Coutre a transféré son domicile en Suisse le 7 juin 2002 et est devenue résidente de cet Etat ; qu'elle a souscrit, avant son départ de France, une déclaration en vue de déterminer la plus-value latente correspondant aux participations supérieures à 25 % qu'elle détenait et a, en application de l'article 167 bis du code général des impôts, obtenu un sursis de paiement des impositions auxquelles elle a été assujettie avant d'en demander en 2004 le dégrèvement ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 1er février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du 21 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions ;
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 167 bis du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur à la date des impositions en litige : " I. 1. Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années sont imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux mentionnés à l'article 150-0 A et détenus dans les conditions du f de l'article 164 B (.) / II. 1. Le paiement de l'impôt afférent à la plus-value constatée peut être différé jusqu'au moment où s'opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l'annulation des droits sociaux concernés. (.)/ 3 (.) L'impôt acquitté localement par le contribuable et afférent à la plus-value effectivement réalisée hors de France est imputable sur l'impôt sur le revenu établi en France à condition d'être comparable à cet impôt (.) / III. A l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la date du départ ou à la date à laquelle le contribuable transfère de nouveau son domicile en France si cet événement est antérieur, l'impôt établi en application du I est dégrevé d'office en tant qu'il se rapporte à des plus-values afférentes aux droits sociaux qui, à cette date, demeurent dans le patrimoine du contribuable (.) " ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (.), les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'accord du 21 juin 1999 sur la libre circulation des personnes conclu entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 : " L'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est:/ a) d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (.) " ; que l'article 4 du même accord stipule que : " Le droit de séjour et d'accès à une activité économique est garanti sous réserve des dispositions de l'article 10 et conformément aux dispositions de l'annexe I " ; qu'aux termes de l'article 6 de ce même accord : " Le droit de séjour sur le territoire d'une partie contractante est garanti aux personnes n'exerçant pas d'activité économique selon les dispositions de l'annexe I relatives aux non actifs " ; qu'enfin, son article 16, intitulé " référence au droit communautaire ", stipule que : " 1. Pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations. / 2. Dans la mesure où l'application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d'assurer le bon fonctionnement de l'accord, à la demande d'une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence " ;
5. Considérant, en premier lieu, que les stipulations de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, qui s'opposent à l'institution, par un Etat membre de l'Union européenne, de règles qui auraient pour effet d'entraver la liberté d'établissement de certains de ses ressortissants sur le territoire d'un autre Etat membre, ne peuvent être utilement invoquées par un contribuable ayant établi son domicile fiscal en dehors de l'Union européenne ; que la Confédération suisse n'ayant pas adhéré au marché intérieur de l'Union, l'interprétation du droit de l'Union concernant la liberté d'établissement ne peut être automatiquement transposée, en l'absence de stipulation expresse de l'accord sur la circulation des personnes du 21 juin 1999, dans les relations entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part ; que les articles 1er, 4 et 6 précités de l'accord et l'annexe I auxquels ils renvoient ont pour objet de définir les conditions du droit d'entrée et de séjour sur le territoire des parties contractantes ; que ces stipulations précisent également le droit de bénéficier dans le pays d'accueil d'un traitement équivalent à celui accordé par ce dernier à ses propres ressortissants en ce qui concerne l'exercice d'une activité ou les conditions de séjour en tant qu'inactif ; que le paragraphe 1 de l'article 16 de cet accord n'a pas pour effet de rendre applicables toutes les dispositions du droit de l'Union mais est limité aux droits et obligations qui découlent des actes du droit dérivé de l'Union mentionnés à l'annexe de ce même accord ; que le paragraphe 2 de l'article 16 ne permet d'invoquer la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature de l'accord que lorsque son application " implique des notions du droit communautaire " ; qu'eu égard à l'argumentation qui lui a été soumise, et alors que la requérante ne précisait pas si elle entendait exercer une activité économique en application de l'article 4 de l'accord et de son annexe I, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que l'article 167 bis du code général des impôts, soumettant un contribuable résident de France transférant son domicile fiscal en Suisse à l'imposition des plus-values latentes constatées lors de ce transfert, méconnaitrait les articles 1er, 4, 6 et 16 de cet accord en ce que, comme le soutient la requérante, ces stipulations garantiraient le principe de la liberté d'établissement ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 2-2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien " ;
7. Considérant que l'article 167 bis du code général des impôts prévoyait l'imposition immédiate, en cas de transfert du domicile fiscal du contribuable hors de France, des plus-values constatées sur les valeurs mobilières qu'il détenait lorsque l'ensemble des droits détenus par sa famille et lui-même dans les bénéfices d'une société avait dépassé 25 % des bénéfices au cours des cinq années précédentes ; que cet article n'avait ni pour objet ni pour effet de soumettre à de quelconques restrictions ou conditions l'exercice effectif, par les personnes qu'elles visent, de la liberté d'aller et venir, et notamment de quitter le territoire pour s'installer dans un autre Etat ; que, par suite, en jugeant que l'article 167 bis ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 2-2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du 4 de l'article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse en date du 9 septembre 1966 : " Lorsqu'une personne physique a transféré définitivement son domicile d'un Etat contractant dans l'autre, elle cesse d'être assujettie dans le premier Etat aux impôts pour lesquels le domicile fait règle dès l'expiration du jour où s'est accompli le transfert du domicile. L'assujettissement aux impôts pour lesquels le domicile fait règle commence dans l'autre Etat à compter de la même date " ; qu'aux termes du 5 de l'article 15 de cette même convention : " Les gains provenant de l'aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 1, 2 et 3 ne sont imposables que dans l'Etat dont le cédant est un résident " ;
9. Considérant que les stipulations du 5 de l'article 15 de cette convention, qui réservent à l'Etat de résidence l'imposition des plus-values réalisées lors de la cession de valeurs mobilières, qui ne relèvent pas du 2 ou du 3 de cet article, ne font pas obstacle à ce qu'une personne ayant son domicile fiscal en France soit imposée sur les plus-values constatées lorsqu'elle transfère son domicile fiscal hors de France ; que, par suite, Mme Coutre qui, en application du 4 de l'article 4 de cette convention, conservait la qualité de résident de France jusqu'à l'expiration du jour où s'est accompli le transfert de son domicile en Suisse, n'est pas fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l'article 15 de la convention ne faisait pas obstacle à l'imposition de ses plus-values latentes ; qu'en statuant ainsi, et alors qu'elle avait relevé qu'en application du III de l'article 167 bis du code général des impôts, l'impôt établi sur le fondement du I du même article est dégrevé d'office dans la mesure où les titres n'étaient pas cédés dans les cinq années consécutives au départ, la cour n'a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs ;
En ce qui concerne les contributions sociales :
10. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu du e) des articles L. 136-6 du code de la sécurité sociale et 1600-0 C du code général des impôts, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu des plus-values soumis à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel ; qu'en vertu de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du même code sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes visés à l'article 1600-0 C ; qu'aux termes de l'article 1600-0 G du code général des impôts, les personnes physiques désignées à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale sont assujetties à une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 de ce code ; que l'ensemble de ces dispositions, qui n'établissent aucune distinction entre les plus-values constatées et les plus-values effectivement réalisées, s'applique en conséquence aux plus-values mentionnées à l'article 167 bis du code général des impôts ;
11. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit au point 9, Mme Coutre conservait la qualité de résident de France jusqu'à l'expiration du jour où s'est accompli le transfert de son domicile en Suisse ; qu'au moment de l'imposition, lors du transfert de son domicile en Suisse, de la plus-value latente réalisée sur le territoire français en application des dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts, elle était fiscalement domiciliée en France ; que, les dispositions relatives aux contributions sociales étant applicables aux plus-values latentes, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en ne déchargeant pas Mme Coutre de ces impositions ;
12. Considérant, enfin, que les moyens tirés de ce que les dispositions relatives aux contributions sociales méconnaîtraient l'article 2-2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes ainsi que la liberté d'établissement alors garantie par l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne repris à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui n'ont pas été soulevés devant la cour et ne sont pas d'ordre public, sont nouveaux en cassation et par suite sans influence sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme Coutre n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de Mme Coutre est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Annie Coutre et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré dans la séance du 25 mars 2013 où siégeaient : M. Edmond Honorat, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Jean Courtial, Président de sous-section ; M. Patrick Stefanini, M. Jean-Claude Hassan, Mme Marie-Hélène Mitjavile, Mme Caroline Martin, Mme Eliane Chemla, M. Stéphane Gervasoni, Conseillers d'Etat et M. Maxime Boutron, Auditeur-rapporteur.