CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
346334
CENTRE HOSPITALIER D'ELBEUF
Mme Domitille Duval-Arnould, Rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, Rapporteur public
Séance du 25 mars 2013
Lecture du
17 avril 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 février et 2 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le centre hospitalier d'Elbeuf dont le siège est rue du Docteur Villers BP 310 à Elbeuf cedex (76503) ; le centre hospitalier d'Elbeuf demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 09DA01454-09DA01455 du 30 novembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, réformant le jugement n° 0701740 du 3 août 2009 du tribunal administratif de Rouen, a fixé les indemnités mises à sa charge au titre des conséquences de la prise en charge de Mme Colin, en tant qu'il accorde à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure une somme de 28 378, 76 euros correspondant au tiers du montant capitalisé de la pension d'invalidité servie à son assurée et à Mme Colin une somme de 54 000 euros au titre de l'incidence professionnelle du dommage ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Elbeuf, de la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de Mme Nicole Di Carlo née Colin et de la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Elbeuf, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de Mme Nicole Di Carlo née Colin et à la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 3 août 2009, le tribunal administratif de Rouen a retenu que la lésion des nerfs sciatiques poplités présentée par Mme Colin, à l'issue de sa prise en charge au centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf, était imputable à des fautes de cet établissement et a fixé les indemnités dues à l'intéressée en réparation de ses préjudices personnels et patrimoniaux et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure au titre de ses débours ; que le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 novembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a réformé ce jugement, en demandant qu'il soit annulé en tant qu'il met à sa charge le remboursement à la caisse d'une somme de 28 378, 76 euros correspondant au tiers du montant capitalisé de la pension d'invalidité servie à son assurée et le versement à Mme Colin d'une somme de 54 000 euros au titre de l'incidence professionnelle du dommage ; que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure forme un pourvoi incident contestant la limitation de la part de la pension d'invalidité servie à Mme Colin que le centre hospitalier est condamné à lui verser à un tiers de son montant ; que Mme Colin forme un pourvoi incident tendant à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il lui refuse l'indemnisation de pertes de revenus résultant de son incapacité permanente de travail et au titre de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne et limite, par suite, à 81 600 euros la somme qui lui est due par le centre hospitalier ;
Sur les conclusions du pourvoi principal et des deux pourvois incidents relatives aux pertes de revenus résultant de l'incapacité permanente de Mme Colin et à l'incidence professionnelle de cette incapacité :
2. Considérant, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " ; qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
4. Considérant que, pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il appartenait aux juges du fond de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par Mme Colin en raison des fautes commises par le centre hospitalier d'Elbeuf entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité ; que, pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y avait lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension ; que, dès lors qu'il avait été définitivement jugé que les fautes commises par le centre hospitalier engageaient son entière responsabilité, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle devait être mis à sa charge ; que la victime devait se voir allouer, le cas échéant, une somme correspondant à la part de ces postes de préjudice non réparée par la pension, évaluée ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le solde étant versé à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ;
5. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour a retenu qu'un tiers de la pension d'invalidité servie à Mme Colin, soit 28 378, 76 euros, était " imputable à la faute du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf ", et que Mme Colin subissait par ailleurs une incidence professionnelle évaluée à 54 000 euros ; qu'elle a ensuite accordé à la caisse de sécurité sociale le remboursement de la somme de 28 378, 36 euros et à la victime une indemnité de 54 000 euros ; qu'en procédant de la sorte, la cour n'a pas mis en œuvre la méthode rappelée ci-dessus ; que son arrêt est par suite entaché, sur ce point, d'erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens du pourvoi principal du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf et du pourvoi incident de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, ni les moyens du pourvoi incident de Mme Colin relatifs à l'évaluation de ses pertes de revenus, que l'arrêt doit être annulé en tant qu'il statue sur les pertes de revenus résultant de l'incapacité permanente et sur l'incidence professionnelle de cette incapacité, en accordant 28 378, 36 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et 54 000 euros à Mme Colin ;
Sur les conclusions du pourvoi incident de Mme Colin tendant à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il se prononce sur le préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne :
7. Considérant que, pour rejeter la demande de Mme Colin au titre de l'assistance d'une tierce personne, la cour a relevé qu'elle n'établissait pas avoir exposé, pendant la période d'incapacité temporaire totale, des frais quelconques pour l'assistance d'une tierce personne ; qu'en subordonnant ainsi l'indemnisation de ce poste de préjudice à l'engagement d'une dépense et en ne recherchant pas si son état de santé avait justifié l'assistance d'une tierce personne, la cour a commis une erreur de droit ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt doit également être annulé en tant qu'il a statué sur le préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 30 novembre 2010 est annulé en tant qu'il statue sur la réparation, d'une part, des pertes de revenus résultant de l'incapacité permanente de Mme Colin et de l'incidence professionnelle de cette incapacité et, d'autre part, de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans la mesure de la cassation prononcée.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et Mme Colin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf, à Mme Nicole Colin et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure.
Délibéré dans la séance du 25 mars 2013 où siégeaient : M. Alain Ménéménis, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Didier Chauvaux, Président de sous-section ; M. Jean Musitelli, M. Olivier Rousselle, M. Terry Olson, M. Denis Rapone, M. Fabien Raynaud, M. Jean-Philippe Thiellay, Conseillers d'Etat et Mme Domitille Duval-Arnould, Maître des Requêtes en service extraordinaire-rapporteur.