COMM. CH.B
COUR DE CASSATION
Audience publique du 26 mars 2013
Cassation
M. ESPEL, président
Arrêt no 329 F-D
Pourvoi no W 12-13.016
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ Mme Nicole Z, divorcée Z, venant aux droits de sa mère Mme Elise ZY, veuve ZY, domiciliée Marseille,
2o/ Mme Claude Z, veuve Z, venant aux droits de sa mère Mme Elise ZY, veuve ZY, domiciliée Hyères-les-Palmiers,
contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2011 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (8e chambre C), dans le litige les opposant à la banque Crédit Lyonnais, société anonyme, dont le siège est Paris,
défenderesse à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 février 2013, où étaient présents M. Espel, président, Mme Robert-Nicoud, conseiller référendaire rapporteur, M. Gérard, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Robert-Nicoud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme Z, divorcée Z et de Mme Z, veuve Z, de la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat de la banque Crédit Lyonnais, l'avis de M. Le Mesle, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à Mme Claude Z du désistement de son pourvoi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu les articles 1147, 1382 et 1383 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme ... a été condamnée pour faux, usage de faux, abus de faiblesse, vol aggravé et falsification de chèques au préjudice d'Elise ZY, qui, en 1999, alors qu'elle était âgée de 90 ans, l'avait employée à son service ; que reprochant à la banque d'Elise ZY un manquement à ses obligations de dépositaire et mandataire de fin 1999 à 2002, Mmes ... et Z Z, en leur qualité d'héritières, ont assigné le Crédit Lyonnais (la banque) en responsabilité ;
Attendu que pour rejeter la demande en remboursement de la somme principale de 112 209,18 euros, montant des faux chèques, l'arrêt retient que les relevés de compte ont tous été adressés à Elise ZY pendant cette période, que celle-ci n'a jamais contesté la moindre opération et n'a pas réagi avec rapidité lors de la réception de relevés de compte sur lesquels figuraient, pendant plusieurs années, de nombreux débits de chèques qu'elle n'avait pas créés, de sorte qu'elle a commis une faute en négligeant de s'inquiéter régulièrement et sur une longue durée du fonctionnement de ses comptes, ladite faute étant exonératoire de la responsabilité du banquier qui n'a pas commis de faute ou de négligence ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la vigilance d'Elise ZY n'avait pas été trompée par les manoeuvres de Mme ..., en particulier par la falsification des relevés de compte bancaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la banque Crédit Lyonnais aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme Nicole Z la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme Nicole Z, divorcée Z.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Mme ... de sa demande en paiement de la somme principale de 112.209,18 euros, montant de faux chèques ;
AUX MOTIFS QUE si l'établissement d'un faux ordre de paiement a été rendu possible par la faute du titulaire du compte, le banquier n'est tenu que s'il a lui-même commis une faute ou négligence en ne décelant pas une signature apparemment différente de celle du titulaire du compte et seulement pour la part de responsabilité en découlant ; que Mme Z, à partir du mois d'août 1999, a embauché directement Mme ..., sans la déclarer, comme gouvernante et lui a confié la gestion de ses comptes, lui délivrant des procurations ponctuelles ; qu'aucun élément du dossier ne permet de constater que Mme Z ne disposait plus de toutes ses facultés mentales ; qu'au contraire, dans sa première déposition de partie civile, Mme Nicole Z a indiqué que sa mère avait conservé ses facultés intellectuelles intactes jusqu'au mois de janvier 2002 ; qu'il est établi que les relevés de compte ont tous été adressés à Mme Z pendant cette période et que celle-ci n'a jamais contesté la moindre opération et n'a pas réagi avec rapidité lors de la réception des relevés de compte sur lesquels figuraient depuis plusieurs années de nombreux débits de chèques qu'elle n'avait pas créés ; qu'il convient de constater qu'en dépit de son grand âge, Mme Z a commis une faute en négligeant de s'inquiéter régulièrement et sur une longue durée du fonctionnement de ses comptes ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le banquier qui s'est dessaisi sur présentation d'un faux ordre de paiement n'ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque n'est pas libéré envers son client de son obligation de restitution, même sans faute de sa part ; que, si une faute du déposant à l'origine de l'établissement du faux ordre de paiement peut dégager le banquier de son obligation de restitution, la faute du déposant doit cependant être écartée lorsque l'établissement des faux ordres de paiement lui a été soigneusement dissimulé et, dans ce cas, le banquier n'est pas libéré de son obligation de restitution, même sans faute de sa part ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel qui s'est bornée à relever que " les relevés de compte ont tous été adressés à Mme Z pendant cette période et que celle-ci n'a jamais contesté la moindre opération et n'a pas réagi avec rapidité lors de la réception des relevés de compte sur lesquels figuraient depuis plusieurs années de nombreux débits de chèques qu'elle n'avait pas créés ", sans rechercher, ainsi que l'y invitait Mme ... dans ses conclusions d'appel, si la vigilance de sa mère n'avait pas été trompée par les manoeuvres de Mme ..., en particulier, par la falsification des relevés de compte bancaires, et qui versait aux débats, à l'appui de ses écritures, un jugement correctionnel du 24 mai 2007 ayant condamné Mme ... notamment pour " abus de faiblesse " et "falsification de relevés de compte et usage desdits faux ", la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions combinées des articles 1147, 1382 et 1383 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la sentence pénale a autorité au civil ; qu'il ressort de la décision pénale du 24 mai 2007 que Mme ... a été condamnée, outre les infractions d'" abus de faiblesse ", " vol facilité par l'état d'une personne d'une particulière fragilité" notamment de chéquiers, "contrefaçon de chèques " et " usage " de faux chèques, pour "falsification de relevés de compte et usage desdits faux ", faits prévus et réprimés par les articles 441-1, 441-9, 441-10 et 441-11 du code pénal ; que la Cour d'appel ne pouvait donc nullement imputer à faute à Mme Z un manque de vigilance, au vu des relevés bancaires qui lui étaient adressés, sans rechercher s'il ne résultait pas de la décision pénale, une appréciation incompatible avec une telle faute, Mme Z ayant pu être trompée durant toute la période litigieuse par la falsification des relevés de comptes bancaires ; qu'en l'absence d'une telle recherche, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351 du code civil.