Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 05-11-2021, n° 433212, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 9/10 ch.-r., 05-11-2021, n° 433212, mentionné aux tables du recueil Lebon

A85517AX

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2021:433212.20211105

Identifiant Legifrance : CETATEXT000044293879

Référence

CE 9/10 ch.-r., 05-11-2021, n° 433212, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/74174812-ce-910-chr-05112021-n-433212-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

15-05-01-03 Le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts (CGI), une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation fiscale de son Etat de résidence, en situation déficitaire. La retenue à la source prélevée sur de tels dividendes doit donc être restituée à la société bénéficiaire.......1) Afin d'assurer un traitement équivalent avec une société déficitaire établie en France, le caractère déficitaire du résultat de la société non-résidente, déterminé au regard de la législation de son Etat de résidence, est apprécié, pour l'ouverture du droit à restitution, en tenant compte des dividendes dont l'imposition fait l'objet de la demande de restitution au titre de l'exercice et, lorsque la législation de l'Etat de résidence autorise le report des déficits, des éventuels dividendes ayant ouvert droit à une restitution au titre d'exercices antérieurs.......2) Il appartient à la société non-résidente qui sollicite la restitution du prélèvement à la source effectué sur ses dividendes de source française, de justifier devant le juge de l'impôt, au titre de chacun des exercices considérés, de l'existence de résultats déficitaires déterminés conformément à ce qui a été dit au 1). Lorsque le redevable produit ces éléments, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour chaque exercice en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 433212

Séance du 18 octobre 2021

Lecture du 05 novembre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La société Filux a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qu'elle a perçus au titre des années 2011 à 2014. Par un jugement nos 1402524, 1602826 du 27 décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt nos 17VE01107, 17VE01108 du 29 mai 2019, la cour administrative d'appel de Versailles⚖️ a, sur appel de la société Filux, annulé ce jugement et prononcé la restitution sollicitée.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er août 2019 et le 3 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Filux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-575/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018 ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Jérôme Ortscheidt, avocat de la société Filux ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Filux, dont le siège social est situé au Luxembourg, a perçu au cours des années 2011 à 2014 des dividendes distribués par des sociétés françaises, lesquels ont fait l'objet d'une retenue à la source au taux de 15% par application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts🏛. Par un jugement du 27 décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution de ces impositions. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 mai 2019 par lequel la cour administrative de Versailles a, sur appel de la société Filux, annulé ce jugement et prononcé la restitution sollicitée.

2. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts🏛, dans sa rédaction applicable au litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France () ". Les dividendes figurent au nombre des produits visés aux articles 108 à 117 bis de ce code🏛🏛. En application de l'article 187 du même code🏛, le taux de la retenue à la source est fixé en principe à 30 % du montant de ces revenus. Il est réduit à 15 % par la convention fiscale conclue le 1er avril 1958 entre la France et le Luxembourg.

3. Par son arrêt du 22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA contre ministre de l'action et des comptes publics (affaire C-575/17), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que, du fait de la différence de technique d'imposition des dividendes entre les sociétés non-résidentes, qui sont imposées immédiatement et définitivement lors de leur perception par une retenue à la source, et les sociétés résidentes, qui sont imposées en fonction du résultat net bénéficiaire ou déficitaire enregistré, la législation française procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires et que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective. En l'absence de justification pertinente à cette restriction, la Cour de justice a dit pour droit que " les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un Etat membre () en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes ".

4. Il résulte de ce qui précède que le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts🏛, une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation fiscale de son Etat de résidence, en situation déficitaire. La retenue à la source prélevée sur de tels dividendes doit donc être restituée à la société bénéficiaire. Afin d'assurer un traitement équivalent avec une société déficitaire établie en France, le caractère déficitaire du résultat de la société non-résidente, déterminé au regard de la législation de son Etat de résidence, est apprécié, pour l'ouverture du droit à restitution, en tenant compte des dividendes dont l'imposition fait l'objet de la demande de restitution au titre de l'exercice et, lorsque la législation de l'Etat de résidence autorise le report des déficits, des éventuels dividendes ayant ouvert droit à une restitution au titre d'exercices antérieurs.

5. Il appartient à la société non-résidente qui sollicite la restitution du prélèvement à la source effectué sur ses dividendes de source française, de justifier devant le juge de l'impôt, au titre de chacun des exercices considérés, de l'existence de résultats déficitaires déterminés conformément à ce qui a été dit au point 4. Lorsque le redevable produit ces éléments, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour chaque exercice en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour établir l'existence d'une situation déficitaire au titre des quatre exercices en litige, la société Filux a seulement produit une attestation d'un cabinet d'expert-comptable se bornant à indiquer, " sur la base des déclarations fiscales remises aux autorités compétentes ", que la société Filux " était en situation fiscale déficitaire pour les années d'imposition 2009 à 2016 (après imputation des pertes fiscales reportables, le cas échéant) ". En prononçant la restitution des retenues à la source au vu de cette attestation, alors que, par ses seules mentions, elle ne pouvait, faute d'être étayée par d'autres pièces, permettre à la société Filux de justifier du caractère déficitaire des résultats des exercices en cause et de la prise en compte effective des dividendes de source française dans l'appréciation de ces déficits, la cour a commis une erreur de droit et méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.

7. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 29 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Filux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Filux.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la Section du contentieux, présidant ; M. J I, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A M, M. F H, Mme K C, M. L D, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. N B

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Agnoux

La secrétaire :

Signé : Mme E G433212- 5 -

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