CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
340489
MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT
c/ Société Généfim
M. Jean-Marc Vié, Rapporteur
Mme Nathalie Escaut, Rapporteur public
Séance du 7 septembre 2012
Lecture du
26 septembre 2012
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi, enregistré le 11 juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ; il demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er à 4 du jugement n° 0802410-0807589-0906720 du 15 avril 2010 par lesquels le tribunal administratif de Versailles, statuant sur les demandes de la société anonyme Généfim tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005, 2006, 2007 et 2008 à raison de l'hôtel Sofitel Grande Arche situé 11 avenue de l'Arche à Courbevoie ainsi qu'à la restitution des sommes correspondantes, d'une part, a fixé le tarif unitaire à prendre en compte pour la détermination de la valeur locative de cet hôtel au titre de 2005 et 2006 à 10, 82 euros le mètre carré et a déchargé la société de la différence entre les impositions mises à sa charge au titre de ces deux années et celles résultant de ce tarif et, d'autre part, a déchargé la société des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait été assujettie au titre des années 2007 et 2008 à raison de cet hôtel ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de la société Généfim ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Vié, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SA Généfim,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SA Généfim ;
Sur la régularité du jugement :
1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction (.) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser ; que s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte - après l'avoir visé et, cette fois, analysé -, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si, par un mémoire en réplique présenté le 19 mars 2010 après la clôture de l'instruction, l'administration a développé des arguments nouveaux fondés sur l'absence d'analogie sur le plan économique entre les communes de Courbevoie sur le territoire de laquelle se trouve l'immeuble à évaluer et la commune de Paris où est implanté le local-type retenu par le tribunal administratif de Versailles comme terme de comparaison, ce mémoire ne comportait l'énoncé d'aucune circonstance de fait dont l'administration n'aurait pas été en mesure de faire état devant le tribunal avant la clôture de l'instruction ; que, dès lors, le tribunal qui a visé ce mémoire, contrairement à ce que soutient le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, a fait une exacte application des règles prévues par l'article R. 613-3 du code de justice administrative en se bornant à le viser sans l'analyser et n'a pas insuffisamment motivé son jugement ;
Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne les impositions relatives aux années 2005 et 2006 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1498 du code général des impôts, la valeur locative des immeubles commerciaux " est déterminée au moyen de l'une des méthodes indiquées ci-après : / . 2° a) Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel ; / b) La valeur locative des termes de comparaison est arrêtée / : . par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales ; " qu'il résulte du 2° de cet article que, lorsqu'il est impossible de trouver un local-type pertinent dans la commune de l'immeuble à évaluer, peut être retenu comme terme de comparaison un local-type situé hors de la commune et qui a, lui-même, fait l'objet d'une évaluation par voie de comparaison avec des immeubles similaires, loués à des conditions de prix normales à la date de la révision, quelle que soit sa commune d'implantation, pourvu que, du point de vue économique, cette dernière commune présente une analogie suffisante avec la commune de l'immeuble à évaluer ;
4. Considérant, d'une part, qu'en prenant en compte, pour apprécier l'analogie de la situation économique des communes de Courbevoie et de Paris, les données pertinentes spécifiques au type d'activité exercé dans le local devant être évalué, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ;
5. Considérant, d'autre part, que l'appréciation de l'analogie des situations économiques des communes relève du pouvoir souverain des juges du fond ; qu'elle est insusceptible, sauf dénaturation, d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour déterminer la valeur locative de l'hôtel appartenant à la société Généfim et exploité sous l'enseigne Sofitel Grande Arche dans le quartier de La Défense, à Courbevoie (Hauts-de-Seine), le tribunal, après avoir écarté le local-type initialement retenu par l'administration au motif qu'il n'avait pas été régulièrement évalué, ainsi que celle-ci en convenait, a recherché un autre terme de comparaison et, en l'absence de local-type approprié dans cette commune, a retenu le Grand Hôtel Intercontinental, situé dans le 9ème arrondissement de Paris et inscrit comme local-type au procès-verbal ME (Maisons Exceptionnelles) de cet arrondissement ; qu'en estimant qu'au regard du secteur d'activité des hôtels très confortables ou de luxe comportant de nombreuses chambres, du caractère limitrophe des communes de Paris et de Courbevoie, laquelle est en partie constituée du quartier de La Défense où est implanté le local à évaluer, ces deux communes devaient être regardées comme présentant une situation économique analogue, le tribunal s'est livré à une appréciation souveraine des faits que la société ne peut, en l'absence de toute dénaturation alléguée, discuter devant le juge de cassation ;
6. Considérant, enfin, qu'en estimant que la souscription d'une nouvelle déclaration en 2004 par le propriétaire du Grand Hôtel Intercontinental ne suffisait pas, en l'espèce, à établir que cet immeuble aurait fait l'objet de modifications telles qu'il ne pourrait plus être retenu comme local-type et en écartant, par suite, la demande de l'administration selon laquelle cet immeuble ne pouvait plus servir de terme de comparaison au motif qu'il avait été entièrement restructuré en 2003, le tribunal n'a pas dénaturé les pièces du dossier qu'il a souverainement appréciées ;
7. Considérant que, par suite, le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement qu'il attaque en tant que, par ces articles, le tribunal a partiellement fait droit aux demandes de la société Généfim dirigées contre les impositions établies au titre des années 2005 et 2006 ;
Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne les impositions relatives aux années 2007 et 2008 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 1494 du code général des impôts : " La valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties (.) est déterminée conformément aux règles définies par les articles 1495 à 1508, pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destiné à une utilisation distincte (.) " ; qu'aux termes de l'article 1505 du même code : " Le représentant de l'administration et la commission communale des impôts directs procèdent à l'évaluation des propriétés bâties. / Après harmonisation avec les autres communes du département, les évaluations sont arrêtées par le service des impôts. Il en est de même en cas de désaccord entre le représentant de l'administration et la commission ou lorsque celle-ci refuse de prêter son concours.(.)" ; qu'en vertu des dispositions de l'article 1650 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, la commission comprend le maire de la commune et, selon la taille de celle-ci, six à huit commissaires désignés par le directeur des services fiscaux sur une liste de contribuables ; que cet organisme est présidé par le maire ; qu'en application des dispositions de l'article 345 de l'annexe III au code général des impôts, la commission se réunit à la demande du directeur des services fiscaux ;
9. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1505 du code général des impôts que la commission communale des impôts directs doit être saisie lors de chaque modification par l'administration de l'évaluation des propriétés bâties relevant de l'article 1498 de ce code, en dehors du cas où cette modification résulte exclusivement de l'actualisation de la valeur locative par application des coefficients annuels de majoration prévus à l'article 1518 bis de ce code ; que le ministre n'est pas fondé à soutenir que cette saisine ne serait requise que dans les cas énumérés par le 1 du I de l'article 1517 du même code, limités aux constructions nouvelles, aux changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et aux changements de caractéristiques physiques ou d'environnement lorsqu'ils entraînent une modification de plus d'un dixième de la valeur locative ;
10. Considérant que l'omission par l'administration de la saisine préalable obligatoire de cette commission, qui a pour effet de priver les contribuables d'une garantie, constitue une irrégularité devant conduire le juge de l'impôt à écarter définitivement la valeur locative retenue par l'administration ;
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1. Considérant, toutefois, que la méconnaissance de cette procédure ne saurait avoir pour effet, en raison de la nature d'impôt réel de cette taxe, de libérer le bien de toute imposition ; que, lorsque le juge de l'impôt constate que la commission n'a pas été consultée en violation des dispositions de l'article 1505 du code, il doit fixer, au vu de l'instruction, une nouvelle valeur locative ;
12. Considérant, d'une part, qu'il lui appartient à ce titre de retenir, si elle n'est pas contestée, la valeur locative ayant servi au calcul de l'imposition de l'année précédente, que cette valeur résulte de cette imposition ou d'une décision juridictionnelle ayant statué sur la contestation de cette imposition ; qu'il doit alors, en raison de l'irrégularité de procédure ainsi constatée, prononcer la réduction de l'imposition mise à la charge du contribuable dans la mesure où elle excède le montant résultant de la prise en compte de cette valeur locative, déterminée après application à l'année d'imposition en litige du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du code général des impôts ;
13. Considérant, d'autre part, que, dans le cas où la valeur locative ayant servi au calcul de l'imposition de l'année précédente est contestée, le juge de l'impôt doit statuer sur cette contestation et, s'il y fait droit, déterminer, au vu de l'instruction, la valeur locative du bien au titre de l'année d'imposition en litige ; que si cette valeur est inférieure à celle qui a été fixée pour établir l'imposition de l'année précédente, il doit la retenir et prononcer la réduction de l'imposition mise à la charge du contribuable, dans les limites des conclusions de la requête ; que si cette valeur est supérieure, il lui appartient, en raison de l'irrégularité ainsi commise, de prononcer la réduction de l'imposition dans la même mesure que celle mentionnée au considérant 12 ;
14. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'estimant que le local-type qui avait les années précédentes été retenu pour servir de base à l'imposition de l'hôtel exploité sous l'enseigne Sofitel était inapproprié, l'administration a pris comme terme de comparaison le local-type n° 275 du procès-verbal des locaux commerciaux du 8ème arrondissement de Paris, qui correspondait à l'hôtel Mayflower, et a calculé à partir de la valeur locative de cet immeuble les impositions dues par la société Généfim au titre des années 2007 et 2008 ; que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal a déchargé la société des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de ces années au motif qu'elles avaient été établies au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'administration avait retenu un nouveau local-type et une nouvelle valeur locative pour l'immeuble à évaluer en omettant de saisir la commission communale des impôts directs ; qu'en statuant ainsi, sans déterminer la valeur locative qui devait être retenue, le tribunal a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'article 3 du jugement attaqué ainsi que de son article 4 qui met à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Généfim sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 3 et 4 du jugement en date du 15 avril 2010 du tribunal administratif de Versailles sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure précisée à l'article 1er, au tribunal administratif de Versailles.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la société Généfim présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société Généfim.
Délibéré dans la séance du 7 septembre 2012 où siégeaient : M. Gilles Bachelier, Président de sous-section, présidant ; Mme Marie-Hélène Mitjavile, Mme Caroline Martin, M. Jean Courtial, M. Stéphane Gervasoni, M. Philippe Josse, Conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Vié, Maître des Requêtes-rapporteur.