N° 08MA02052
M. Hervé A
M. LAMBERT, président
M. Olivier MASSIN, rapporteur
M. BACHOFFER, rapporteur public
Lecture du 7 mai 2010
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La Cour administrative d'appel de Marseille
1ère chambre
Vu la requête, enregistrée le 16 avril 2008, présentée pour M. Hervé A et Mme Bernadette A, son épouse, élisant ensemble domicile ..., la SCI DOMAINE DE SAINT JAMME, dont le siège est à ..., M. Antoine B, élisant domicile ..., Mme Odile C, veuve B, élisant domicile ... et l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DE L'IDENTITE DES PAYSAGES ET DES TERROIRS DU MINERVOIS ET DES CORBIERES, dont le siège est Domaine du Vila à Paraza (11200), par la SCP d'avocats Regis Pech de Laclause, Pascale Goni, Cyril Cambon ; M. Hervé A ET AUTRES demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 février 2008 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande dirigée contre l'arrêté en date du 19 juillet 2001 par lequel le préfet de l'Aude a accordé à la société la Compagnie du Vent un permis de construire en vue de l'édification d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Névian ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ;
Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions, et notamment son article 2 ;
Vu l'arrêté du 27 janvier 2009 pris par le vice-président du Conseil d'Etat autorisant la cour administrative d'appel de Marseille à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 avril 2010 :
- le rapport de M. Massin, rapporteur ;
- les conclusions de M. Bachoffer, rapporteur public ;
- les observations de Me Pech de Laclause pour M. D et autres ;
- et les observations de Me Cambus pour la société la Compagnie du Vent ;
Considérant que par jugement du 14 février 2008, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. Hervé A ET AUTRES dirigée contre l'arrêté en date du 19 juillet 2001 par lequel le préfet de l'Aude a délivré à la société la Compagnie du Vent un permis de construire en vue de l'édification d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Névian ; que M. Hervé A ET AUTRES interjettent appel de ce jugement ;
Sur le bien fondé du jugement :
Considérant, en premier lieu, que pour soutenir que le permis de construire a été délivré au terme d'une procédure irrégulière, M. Hervé A ET AUTRES font encore valoir en appel que le permis de construire est illégal en ce que le service départemental d'incendie et de secours n'a pas été consulté ; qu'il y a lieu pour la cour, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter ce moyen ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'à la date du 19 juillet 2001 à laquelle le préfet de l'Aude a délivré un permis de construire à la société la Compagnie du Vent pour la création d'un parc d'aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Névian, les dispositions du décret du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1976 et relative à la protection de la nature ne mentionnaient pas expressément les ouvrages de production d'énergie éolienne au nombre des projets particuliers soumis à une étude d'impact préalable à leur autorisation ; que dès lors ces ouvrages, soumis à la délivrance d'un permis de construire, étaient à compter au nombre des catégories d'aménagements, ouvrages et travaux exemptés d'étude d'impact par les dispositions générales du B de l'article 3 de ce décret, sans considération du coût de leur réalisation tel que mentionné au C du même article ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact produite au dossier par la société la Compagnie du Vent est inopérant ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en se bornant à soutenir que le risque d'incendie est une des composantes de la sécurité publique et que la présence d'un secteur boisé à proximité du parc éolien aggrave les risques d'incendie, M. Hervé A ET AUTRES n'établissent pas l'existence d'un risque particulier qui serait dû à la présence des éoliennes et dont la méconnaissance entacherait d'illégalité le permis de construire en litige ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R.111-2 du code de l'urbanisme doit, par suite, être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. Hervé A ET AUTRES font valoir que le projet de construction d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Névian porte une atteinte visuelle à l'environnement ; que le plateau de Grande Garrigue sur lequel sont implantées les éoliennes, à l'extrémité nord des Corbières orientales, forme une crête de 100 à 250 mètres de large qui culmine à 179 mètres d'altitude ;
Considérant, toutefois, que le paysage qui est essentiellement composé d'une garrigue basse avec des chênes kermès et des ajoncs, sans arbres, et ponctuellement des pelouses et des pointements rocheux, ne présente pas un intérêt particulier ; qu'il ne fait pas l'objet de classement, ni de protection ; que, par suite, si les 21 éoliennes, de couleur blanche, d'une hauteur de près de 72 mètres, se détachent nécessairement du paysage, elles ne lui portent pas une atteinte telle que le préfet de l'Aude aurait, en autorisant leur édification, entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de l'impact du projet sur le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants, des sites et des paysages naturels ;
Considérant, en cinquième lieu, que M. Hervé A ET AUTRES font valoir que la protection de l'environnement du secteur géographique considéré est indispensable au maintien de l'appellation d'origine contrôlée dès lors qu'aux termes de l'article L.115-1 du code de la consommation : Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. ; que ce moyen est inopérant à l'appui de conclusions dirigées contre un permis de construire, eu égard à l'indépendance des législations relatives respectivement à la promotion des appellations d'origine contrôlée et aux autorisations d'urbanisme ; qu'en tout état de cause, l'appellation d'origine contrôlée d'une production viticole repose sur la qualité d'un terroir et celle du vin qui y est produit et élevé et non sur le seul aspect visuel offert par le paysage ;
Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article R.123-18 du code de l'urbanisme : I - Les documents graphiques doivent faire apparaître les zones urbaines et les zones naturelles. Ces zones, à l'intérieur desquelles s'appliquent les règles prévues à l'article R.123-21 et s'il y a lieu, les coefficients d'occupation des sols définis à l'article R.123-22 sont : (...) Ces zones naturelles comprennent en tant que de besoin : (...) Les zones de richesses naturelles, dites Zones NC , à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres ou de la richesse du sol ou du sous-sol (...) ; ; qu'il appartient aux auteurs d'un plan d'occupation des sols de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de fixer, en conséquence, le zonage et les possibilités de construction ; que leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes des dispositions du code de l'urbanisme citées ci-dessus que la valeur agricole des terres ou de la richesse du sol ou du sous-sol ne sont pas les seuls critères qui puissent être pris en compte pour le classement de parcelles dans une zone de richesses naturelles , et que d'autres critères, tels que l'exposition au vent, peuvent être retenus pour autant qu'ils reposent sur la richesse naturelle des lieux ; que, par ailleurs, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les zones NC servent d'assiette à des constructions, si celles-ci ne sont pas incompatibles avec cette richesse ; que la zone NC considérée permet d'ailleurs, dans l'ensemble de la zone, les installations classées liées à l'activité de la zone, l'aménagement et l'extension des bâtiments existants sans changement d'affectation, dans le secteur NCb les constructions à usage agricole, dans le secteur NCc les carrières et les constructions et installations nécessaires à leur exploitation, dans le secteur NCd les constructions à usage d'entrepôts commerciaux, de stationnement de véhicules, les carrières, les installations classées incompatibles avec le voisinage des zones habitées ;
Considérant, ainsi, qu'en créant au sein de la zone NC un secteur NCe à vocation d'énergie éolienne où peuvent être construits les ouvrages de production d'énergie éolienne, le règlement du plan d'occupation des sols révisé qui se borne dans une zone délimitée à permettre un type supplémentaire de construction à la liste des constructions déjà autorisées en zone NC, ne méconnaît pas les dispositions de l'article R.123-18 du code de l'urbanisme ;
Considérant, en septième lieu, qu'aux termes de l'article L.123-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : (...) A compter de la décision prescrivant la révision d'un plan d'occupation des sols, le conseil municipal peut décider de faire une application anticipée des nouvelles dispositions du plan en cours d'établissement dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, dès lors que cette application : c) N'a pas pour objet ou pour effet de supprimer une protection édictée en faveur d'un espace boisé ou de réduire de façon sensible une protection édictée en raison de la valeur agricole des terres, de risques de nuisance, de la qualité des sites, des paysages ou des milieux naturels (...). ;
Considérant qu'il découle de ce qui précède que l'application anticipée des nouvelles dispositions du plan d'occupation des sols de Névian instaurant un secteur NCe n'a pas eu pour objet ou pour effet de supprimer une protection édictée en faveur d'un espace boisé ou de réduire de façon sensible une protection édictée en raison de la valeur agricole des terres, de risques de nuisance, de la qualité des sites, des paysages ou des milieux naturels ; que, par suite, le conseil municipal a légalement pu décider d'appliquer de façon anticipée les nouvelles dispositions du plan d'occupation des sols révisé ;
Considérant, en huitième lieu, que l'objet même de la création de la zone NCe était de pouvoir délivrer, dans le respect du plan d'occupation des sols et des autres dispositions d'urbanisme applicables, le permis de construire en litige ; que la création du parc éolien qui a pour effet de contribuer à l'effort consistant à porter le niveau de production d'énergie d'origine éolienne à un niveau compris entre 250 et 500 MW à l'horizon 2005, objectif défini le 9 février 1996 par le programme Eole 2005, relève de l'intérêt général ; que, dès lors, l'adoption et la mise en application anticipée du plan d'occupation des sols révisé ne sont pas entachées de détournement de pouvoir ;
Considérant, en neuvième lieu, que les requérants soutiennent que le permis de construire a été délivré en méconnaissance de l'article NC 7 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Névian relatif à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives aux termes duquel : La distance comptée horizontalement de tout point d'une construction au point le plus bas et le plus proche de la limite séparative doit être au moins égal à la moitié de la différence d'altitude entre ces deux points sans être inférieure à 3 mètres. ; que, toutefois, en créant à l'intérieur du périmètre de la zone NC une sous zone NCe destinée à l'implantation d'ouvrages de production d'énergie d'origine éolienne, les auteurs du règlement du plan d'occupation des sols n'ont nécessairement pas entendu soumettre cette sous zone NCe à la réglementation générale de la zone NC, et notamment aux règles de hauteur et de prospect ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance, que M. Hervé A ET AUTRES ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demandent M. Hervé A ET AUTRES au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. Hervé A, Mme Bernadette A, la SCI DOMAINE DE SAINT JAMME, M. Antoine B, Mme Odile C, veuve B, et l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DE L'IDENTITE DES PAYSAGES ET DES TERROIRS DU MINERVOIS ET DES CORBIERES, une somme globale de 1 500 euros à payer à la société la Compagnie du Vent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. Hervé A ET AUTRES est rejetée.
Article 2 : M. Hervé A, Mme Bernadette A, la SCI DOMAINE DE SAINT JAMME, M. Antoine B, Mme Odile C, veuve B, et l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DE L'IDENTITE DES PAYSAGES ET DES TERROIRS DU MINERVOIS ET DES CORBIERES verseront à la société la Compagnie du Vent une somme globale de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Hervé A, à Mme Bernadette A, à la SCI DOMAINE DE SAINT JAMME, à M. Antoine B, à Mme Odile C, veuve B, à l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DE L'IDENTITE DES PAYSAGES ET DES TERROIRS DU MINERVOIS ET DES CORBIERES, à la société la Compagnie du Vent et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.