SOC. PRUD'HOMMES IK
COUR DE CASSATION
Audience publique du 7 décembre 2011
Cassation partielle
M. GOSSELIN, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt no 2557 F-D
Pourvoi no K 10-14.286
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Eric Z, domicilié Marly-le-Roi,
contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2010 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Ufifrance patrimoine, société par actions simplifiée, dont le siège est Paris cedex 16,
défenderesse à la cassation ;
La société Ufifrance patrimoine a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 novembre 2011, où étaient présents M. Gosselin, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, M. Ballouhey, Mme Goasguen, conseillers, M. Legoux, avocat général, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Gosselin, conseiller, les observations de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de M. Z, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Ufifrance patrimoine, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Z a été engagé le 16 janvier 1998 par la société Ufifrance patrimoine en qualité de démarcheur salarié ; qu'ayant été licencié, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes portant notamment sur le remboursement de ses frais professionnels ;
Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC ;
Attendu que pour rejeter la demande de paiement d'une somme à titre de remboursement de frais professionnels pour la période postérieure au 3 mars 2003, l'arrêt retient qu'aux termes de la clause prévue au paragraphe 2.3 du contrat conclu le 3 mars 2003, "les versements au titre de la partie variable de sa rémunération, composée de commissions et gratifications, inclueront une indemnité de 10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire des frais professionnels et une indemnité au titre des congés payés" ; que dans la mesure où le contrat de travail prévoyait une indemnité égale à 10 % au titre des frais professionnels pour la partie variable de sa rémunération ainsi qu'une somme fixe forfaitaire de 230 euros en ce qui concerne la partie fixe, le remboursement des frais professionnels du salarié doit être considéré comme ayant été contractuellement prévu, avec précision à l'avance, de façon forfaitaire, dans son mode de calcul, quand bien même le montant exact n'en était pas précisé, le salarié étant ainsi mis à même de le connaître ;
Qu'en statuant ainsi, sans vérifier si le montant de la part variable de la rémunération liée au chiffre d'affaires réalisé était calculé selon les modalités prévues par le contrat de travail, indépendamment de tout remboursement de frais professionnels, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le premier moyen du pourvoi incident de l'employeur
Vu les articles 2244 et 2248 du code civil applicables au litige dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;
Attendu que la prescription peut être interrompue, d'une part, par une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés par la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui qui veut empêcher de prescrire et, d'autre part, par la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait ; qu'en l'absence de disposition particulière, la signature d'un accord d'entreprise ne constitue pas pour l'employeur la reconnaissance des droits individuels allégués par le salarié pour la période antérieure à cette signature ;
Attendu que pour faire droit à la demande du salarié de paiement d'un rappel de frais professionnels sur la période courant du 16 janvier 1998 au 3 mars 2003, l'arrêt retient qu'il résulte de la modification par l'employeur du système de remboursement des frais professionnels du salarié, à la suite de l'accord d'entreprise du 28 février 2003, appliqué au salarié par le contrat de travail conclu en conséquence avec l'intéressé le 3 mars 2003, que l'employeur a reconnu que le salarié avait effectivement droit au remboursement de ses frais professionnels, et du caractère illicite de l'intégration de ceux-ci dans sa rémunération fixe et variable ; que, dès lors, par cette reconnaissance formalisée aux termes de l'accord d'entreprise susvisé du 28 février 2003, la prescription quinquennale des salaires a été interrompue à la date du 3 mars 2003 en application des dispositions de l'article 2240 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, en se fondant sur la conclusion de l'accord du 28 février 2003 pour en déduire l'interruption de la prescription, la cour d'appel, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fait droit à la demande de remboursement de frais professionnels au titre de la période courant du 16 janvier 1998 au 3 mars 2003 et rejeté la demande de paiement d'une somme au titre d'un rappel de remboursement de frais professionnels pour la période postérieure au 3 mars 2003, l'arrêt rendu le 14 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit, au pourvoi principal, par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour M. Z
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Z de sa demande à titre de rappel de remboursement de frais pour la période postérieure au 3 mars 2003 ;
Aux motifs qu'" il ressort des éléments de la cause que les parties ont conclu un 3ème contrat du travail, le 3 mars 2003, en application des dispositions de l'accord d'entreprise conclu le 28 février 2003, dont le salarié conteste la licéité de deux clauses, prévues par les paragraphes 2.2 et 2.3 ; qu'aux termes de la clause prévue au paragraphe 2.2, relative à la partie fixe "celle-ci, appelée également traitement de base, est constituée d'un salaire de base égal au SMIC mensuel, majoré d'une indemnité brute de 10 % au titre des congés payés et de la somme brute de 230 euros correspondant au remboursement forfaitaire des frais professionnels " ; que la clause prévue au paragraphe 2.3 dudit contrat de travail, disposait que " les versements au titre de la partie variable de sa rémunération, composée de commissions et de gratifications, inclueront une indemnité de 10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire des frais professionnels et une indemnité de 10 % au titre des congés payés " ; que cependant, c'est en vain que le salarié prétend que ces deux clauses sont illicites ; qu'en effet, dans la mesure où ces deux clauses 2.2 et 2.3 susvisées, relatives à la rémunération fixe et variable de M. Z, prévoyaient une indemnité égale à 10 % au titre desdits frais professionnels pour la partie variable de sa rémunération, ainsi qu'une somme brute forfaitaire de 230 euros en ce qui concerne la partie fixe de la rémunération de l'intéressé, le remboursement des frais professionnels du salarié doit être considéré comme ayant été contractuellement prévu avec précision à l'avance, de façon forfaitaire, dans son mode de calcul, quand même le montant exact n'en était pas précisé, le salarié étant ainsi mis à même de le connaître ; qu'au vu de ses bulletins de paie, le salarié ne démontre pas qu'il percevait de ce fait une rémunération inférieure au SMIC alors qu'au surplus, il affirme lui-même que la somme de 230 euros s'ajoutait au SMIC ni que le versement forfaitaire de 230 euros était intégré dans ses commissions alors qu'il apparaît de façon distincte sur ses bulletins de paie ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé dans son préjudice en ce qu'il a dit que M. Z était en droit de réclamer le paiement des frais professionnels du 16 janvier 1998 au 3 mars 2003, date à partir de laquelle, l'accord des parties réglait de façon licite le remboursement des frais professionnels de l'intéressé, lui interdisant par là-même toute réclamation à compter de cette date " ;
Alors, d'une part, que les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur qui peut en prévoir le remboursement au moyen d'une somme forfaitaire à la condition que la rémunération proprement dite du travail ne soit pas réduite à un montant inférieur au SMIC ; qu'en l'espèce, M. Z avait établi, par ses bulletins de salaire et les décomptes versés aux débats, qu'il percevait le SMIC à la condition de ne pas comptabiliser les frais professionnels exposés au-delà du forfait de 230 euros ; que dès lors en déclarant que le salarié ne démontrait pas qu'il percevait une somme inférieure au SMIC de sorte qu'il ne pouvait prétendre à un rappel de remboursement de frais professionnels pour la partie excédant 230 euros, sans examiner les pièces produites, les viser et rechercher si les frais supplémentaires exposés et non remboursés ne ramenaient pas la rémunération proprement dite de son travail en dessous du SMIC, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du code civil ;
Alors, d'autre part, en tout état de cause, que les frais professionnels doivent être supportés par l'employeur qui doit en assurer le remboursement sans que la rémunération proprement dite du travail soit inférieure au SMIC ; que dès lors en allouant à M. Z un rappel de frais pour la période antérieure à 2003 variant de 8.000 euros à 8.600 euros, soit 750 euros mensuels d'où il résultait que les frais exposés étaient largement supérieurs au forfait de 230 euros attribué à compter de la signature de l'avenant au contrat de mars 2003 et que le salarié ne percevait pas le SMIC en contrepartie de son travail et en le déboutant néanmoins de sa demande pour la période qui lui était postérieure, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;
Alors, au surplus, que les frais que le salarié justifie avoir exposé pour les besoins de son activité et dans l'intérêt de son employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due ; qu'en l'espèce la clause 2.3 du contrat du 3 mars 2003 prévoyait que " les versements au titre de la partie variable de la rémunération, composée de commissions et de gratifications, incluront une indemnité de 10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire des frais professionnels et une indemnité de 10 % au titre des congés payés " d'où il résultait qu'une partie des frais professionnels était imputée sur la rémunération variable due ; que dès lors, en validant cette clause illicite, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Alors enfin, subsidiairement, que les frais que le salarié justifie avoir exposé pour les besoins de son activité et dans l'intérêt de son employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due ; qu'en l'espèce, dans ses écritures, M. Z ne manquait pas se soulever le caractère illicite de la clause 2.3 du contrat du 3 mars 2003 selon laquelle " les versements au titre de la partie variable de la rémunération, composée de commissions et de gratifications, incluront une indemnité de 10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire des frais professionnels et une indemnité de 10 % au titre des congés payés " d'où il résultait qu'une partie des frais professionnels était imputée sur la rémunération variable due ; que dès lors, en s'abstenant de répondre aux conclusions du salarié de ce chef, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Moyens produits, au pourvoi incident, par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Ufifrance patrimoine
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé que la prescription quinquennale des salaires a été interrompue à la date du 3 mars 2003 et en conséquence d'AVOIR condamné la société UFIFRANCE PATRIMOINE à rembourser à monsieur Z ses frais professionnels du 16 janvier 1998 au 3 mars 2003 ;
AUX MOTIFS QUE monsieur Z a saisi le conseil de prud'hommes de cette demande le 16 janvier 2006 ; que l'employeur en a conclu qu'il ne saurait réclamer le paiement de rappels desdits frais que pour la période allant du 16 janvier 2000 à son licenciement le 3 novembre 2005 ; que cependant, il résulte de la modification par l'employeur du système de remboursement des frais professionnels de monsieur Z, à la suite de l'accord d'entreprise du 28 février 2003, appliqué au salarié par le contrat de travail conclu en conséquence avec l'intéressé le 3 mars 2003, que l'employeur a reconnu que le salarié avait effectivement droit au remboursement de ses frais professionnels et du caractère illicite de l'intégration de ceux-ci dans sa rémunération fixe et variable, jusque là appliquée par l'entreprise dans ses rapports avec le salarié ; que dès lors par cette reconnaissance formalisée aux termes de l'accord d'entreprise susvisé du 28 février 2003, la prescription quinquennale des salaires a été interrompue à la date du 3 mars 2003 en application des dispositions de l'article 2240 du code civil ; que monsieur Z est en conséquence recevable à solliciter le remboursement des frais professionnels qu'il déclare avoir engagés dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail depuis son embauche, le 16 janvier 1998 jusqu'au 3 mars 2003, compte tenu de la saisine du conseil de prud'hommes faites par ses soins le 16 janvier 2006 ;
ALORS QUE ne manifeste pas la reconnaissance du droit allégué par le salarié au paiement des frais professionnels effectivement exposés en plus du salaire incluant déjà le remboursement desdits frais, l'employeur qui, à la suite d'un accord d'entreprise prévoyant le remboursement forfaitaire des frais professionnels en sus du salaire, a conclu avec le salarié un nouveau contrat de travail conforme à cet accord ; que ni l'accord d'entreprise du février 2003, ni le contrat de travail du 3 mars 2003, pris en application de cet accord, ne reconnaissent l'existence d'un droit déjà acquis des salariés au paiement des frais professionnels en sus du salaire versé, et encore moins de monsieur Z ; qu'en retenant néanmoins que l'accord d'entreprise du 28 février 2003 formalisait la reconnaissance de l'employeur à la créance alléguée, la Cour d'appel a violé l'article 2240 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'exposante à payer 6.000 euros de dommages-intérêts pour l'absence de remboursement des frais professionnels ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le manquement dès lors établi de l'employeur à ses obligations contractuelles et légales en matière de remboursement des frais professionnels exposés par monsieur Z dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, et ce depuis l'embauche du salarié jusqu'au 3 mars 2003, a causé à l'intéressé un préjudice certain que la cour estime avoir été exactement évalué par le jugement déféré à hauteur de euros ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'absence de remboursement de ces frais a généré un préjudice distinct de celui réparé par l'allocation des intérêts au taux légal dès lors que celle-ci a entraîné une dépendance financière à l'égard de son employeur sans fondement contractuel et juridique et sans mesure par rapport au salaire versé ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent allouer des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires que s'ils constatent non seulement que le créancier a subi un préjudice indépendant du retard apporté au paiement de sa créance mais également que ce préjudice a été causé par la mauvaise foi du débiteur en retard ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a alloué à monsieur Z la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts à raison de l'absence de remboursement des frais professionnels, sans caractériser la mauvaise foi de l'employeur ; que ce faisant, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153, alinéa 4 du Code civil.