CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°s
322876, 322931
MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
c/ M. Bidal
M. Benoit Bohnert, Rapporteur
M. Pierre Collin, Rapporteur public
Séance du 20 octobre 2011
Lecture du
16 novembre 2011
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème sous-section)
Vu 1°), sous le n° 322876, l'ordonnance n° 08LY02298 du 20 novembre 2008 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le recours par lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE demande l'annulation du jugement n° 0604227 du 7 août 2008 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, sur renvoi d'une question préjudicielle faisant suite à l'ordonnance du 20 juin 2005 du tribunal de grande instance d'Annecy et à l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 27 juin 2006, a déchargé M. Bernard Bidal de l'obligation de payer les impositions visées par les avis à tiers détenteur émis le 28 décembre 2004 et le 19 janvier 2005 pour avoir paiement de cotisations d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de cotisations de taxe professionnelle, de taxe d'habitation et de taxe foncière établies au titre des années 1995 à 2003 ;
Vu 2°), sous le n° 322931, l'ordonnance n° 08LY02299 du 20 novembre 2008 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le recours par lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE demande que soit ordonné le sursis à l'exécution du jugement n° 0604227 du 7 août 2008 du tribunal administratif de Grenoble ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;
Considérant qu'il y a lieu de joindre les requêtes visées ci-dessus pour statuer par une seule décision ;
Considérant que, pour avoir paiement de cotisations d'impôt sur le revenu, de cotisations sociales, de taxe professionnelles, de taxe d'habitation et de taxes foncières établies au nom de M. Bidal au titre des années 1995 à 2003, le comptable du Trésor d'Annecy-le-Vieux a émis huit avis à tiers détenteur le 21 et le 23 septembre 2004 ; que M. Bidal a formé opposition à ces actes de poursuites le 13 octobre 2004 auprès du trésorier-payeur général de la Haute-Savoie en invoquant la prescription de l'action en recouvrement et l'inexigibilité desdites impositions ; qu'à la suite du rejet de sa réclamation par décision du trésorier-payeur général du 2 décembre 2004, M. Bidal a saisi de sa contestation le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Annecy, qui l'a rejetée par jugement du 20 juin 2005 dont il a relevé appel devant la Cour d'appel de Chambéry ; que ladite cour a ordonné par un arrêt du 27 juin 2006 le sursis à exécution dans l'attente de l'intervention d'une décision du juge administratif sur la question préjudicielle invoquée par le débiteur devant la juridiction judiciaire, tirée de l'absence de caractère exigible des impositions ; que, par une demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 11 septembre 2006, M. Bidal a saisi la juridiction administrative de cette question préjudicielle ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE relève appel du jugement du 7 août 2008 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a déchargé M. Bidal de l'obligation de payer les impositions visées par les avis à tiers détenteur émis le 28 décembre 2004 et le 19 janvier 2005 et demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ; que, par ordonnances en date du 20 novembre 2008, le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis ces recours au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 321-1 du code de justice administrative ;
Sur la recevabilité du recours du ministre :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des termes de l'arrêté du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE du 23 avril 2008 publié au Journal officiel du 30 avril 2008 que le signataire du recours et du mémoire présentés par le ministre devant la cour, M. Valès, avait reçu à cette fin délégation de signature du ministre chargé du budget ; que, par suite, le moyen soulevé par M. Bidal et relatif à l'incompétence du signataire du recours doit être rejeté ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que le jugement susvisé a été notifié au trésorier-payeur général de la Haute-Savoie le 19 août 2008 et que le recours du ministre a été enregistré au greffe de la cour le 20 octobre 2008, soit dans le délai d'appel prévu à l'article R. 811-2 du code de justice administrative ; que, par suite, M. Bidal n'est pas fondé à soutenir que l'appel interjeté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE serait tardif ;
Sur la régularité du jugement de première instance :
Considérant que le tribunal administratif a, par le jugement dont le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE demande l'annulation, accordé à M. Bidal la décharge des impositions visées par les avis à tiers détenteur émis le 28 décembre 2004 et le 19 janvier 2005 en accueillant le moyen tiré par l'intéressé de ce que le comptable du Trésor l'aurait irrégulièrement recherché en paiement desdites impositions sans que l'administration fiscale lui ait, au préalable, adressé des avis d'imposition correspondant à ces cotisations ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les conclusions de la demande introduite par M. Bidal devant le tribunal administratif de Grenoble se bornaient à saisir les premiers juges, sur renvoi du juge judiciaire, d'une question préjudicielle relative à l'exigibilité de la créance fiscale réclamée par le comptable du Trésor d'Annecy-le-Vieux ; qu'il suit de là qu'en statuant ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le tribunal administratif de Grenoble a méconnu l'étendue de son office ; que, pour ce motif d'ordre public, qu'il y a lieu de relever d'office, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du recours, le jugement du tribunal administratif de Grenoble doit être annulé ; que, par suite de cette annulation, il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution de ce jugement formée par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE sous le n° 322931 ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. Bidal devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'administration :
Considérant que la saisine du juge administratif d'une question préjudicielle relative à l'exigibilité d'une créance fiscale sur renvoi de l'autorité judiciaire n'est soumise à aucune condition de délai ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le trésorier-payeur général de la Haute-Savoie et tirée de ce que la demande de M. Bidal aurait été présentée en méconnaissance des dispositions des articles L. 281 et R. 281-4 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écartée ;
Sur l'exigibilité de la créance fiscale réclamée à M. Bidal :
Considérant qu'aux termes de l'article 1663 du code général des impôts : "Les impôts directs, produits et taxes assimilés, visés par le présent code, sont exigibles le dernier jour du mois suivant celui de la mise en recouvrement du rôle." ; que ces dispositions ne sont applicables que si le contribuable a été, avant la date d'exigibilité ainsi déterminée, avisé de la mise en recouvrement du rôle contenant l'imposition à laquelle il a été assujetti ; que dans le cas où il est établi que l'administration a omis d'adresser l'avertissement prévu par les dispositions de l'article 1661 du code, reprises à l'article L. 253 du livre des procédures fiscales, ou l'a notifié avec retard, l'impôt n'est exigible qu'à compter de la date où le contribuable a été informé de la mise en recouvrement du rôle ; que M. Bidal soutient, pour contester l'exigibilité des impositions correspondant aux sommes visées par les avis à tiers détenteur émis à son encontre par le comptable du Trésor d'Annecy-le-Vieux, que ces impositions n'avaient pas été comprises dans un rôle régulièrement mis en recouvrement ; qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas produit les extraits de rôle correspondant ; qu'il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de sa requête, M. Bidal est fondé à soutenir qu'à la date à laquelle les avis à tiers détenteur émis le 28 décembre 2004 et le 19 janvier 2005 lui ont été notifiés, les impositions visées par ces actes de poursuites n'étaient pas exigibles ;
Sur les conclusions de M. Bidal présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. Bidal au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Il est déclaré que les impositions visées par les avis à tiers détenteur émis à l'encontre de M. Bidal les 28 décembre 2004 et 19 janvier 2005 n'étaient pas exigibles.
Article 2 : L'Etat versera à M. Bidal une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à M. Bernard Bidal.
Délibéré dans la séance du 20 octobre 2011 où siégeaient : M. Jean-Pierre Jouguelet, Président de sous-section, Président ; Mme Pascale Fombeur, Conseiller d'Etat et M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes-rapporteur.