CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
386123
SYNDICAT CGT SKF MONTIGNY et autres
Mme Pauline Pannier, Rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, Rapporteur public
Séance du 7 octobre 2015
Lecture du
21 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
Le syndicat CGT SKF Montigny, l'union locale CGT de Trappes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny, M. D. A. et M. C. B. ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 février 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a validé l'accord collectif déterminant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, conclu le 11 février 2014 entre la société SKF France et les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC et FO. Par un jugement n° 1402915 du 4 juillet 2014, le tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 14VE02100 du 30 septembre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel du syndicat CGT SKF Montigny et autres dirigé contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er décembre 2014 et les 12 janvier et 10 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat CGT SKF Montigny et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société SKF France la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Pannier, auditeur,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du syndicat CGT SKF Montigny et autres et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société SKF France ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 octobre 2015, présentée par la société SKF France ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SKF France a engagé en 2013 une opération de réorganisation de ses deux établissements de Montigny-le-Bretonneux et de Saint-Cyr-sur-Loire qui comportait un projet de licenciement collectif pour motif économique ; que, par une décision du 25 février 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire du 11 février 2014 fixant le plan de sauvegarde de l'emploi correspondant à ce projet ; que le syndicat CGT SKF Montigny, l'union locale CGT de Trappes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du site SKF de Montigny et deux salariés de l'entreprise se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 30 septembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 4 juillet 2014 du tribunal administratif de Versailles rejetant leur demande d'annulation de cette décision ;
Sur l'arrêt attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en uvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. (.) " ; que l'article L. 1233-24-1 du même code prévoit que le contenu de ce plan de sauvegarde de l'emploi peut être déterminé par un accord collectif d'entreprise et que son article L. 1233-57-2 dispose, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision litigieuse : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : (.) 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 " ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 4612-8 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produits ou de l'organisation du travail (.) " ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande de validation d'un accord collectif fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi pour une opération qui, parce qu'elle modifie de manière importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'entreprise, requiert la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés, elle ne peut légalement accorder la validation demandée que si cette consultation a été régulière ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4616-1 du code du travail : " Lorsque les consultations (.) portent sur un projet commun à plusieurs établissements, l'employeur peut mettre en place une instance temporaire de coordination de leurs comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui a pour mission d'organiser le recours à une expertise unique (.) et qui peut rendre un avis (.) " ; qu'aux termes de l'article L. 4616-3 du même code : " L'expert mentionné à l'article L. 4616-1 est désigné lors de la première réunion de l'instance de coordination. / Il remet son rapport et l'instance de coordination se prononce, le cas échéant, dans les délais prévus par un décret en Conseil d'Etat. (.)/ Le rapport de l'expert et, le cas échéant, l'avis de l'instance de coordination sont transmis par l'employeur aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés par le projet ayant justifié la mise en place de l'instance de coordination, qui rendent leurs avis " ; qu'il résulte de ces dispositions, dans leur rédaction alors applicable, que, lorsque l'employeur est tenu de consulter, sur un projet commun à plusieurs établissements de l'entreprise, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de ces différents établissements, la faculté que lui offre l'article L. 4616-1 de mettre en place une instance temporaire de coordination de ces mêmes comités ne le dispense pas de procéder à la consultation de chacun d'eux, y compris lorsque l'instance temporaire de coordination rend elle-même un avis ;
4. Considérant, par suite, qu'en jugeant que les appelants ne pouvaient utilement faire valoir que chacun des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Saint-Cyr-sur-Loire aurait dû être consulté, au motif qu'une instance temporaire de coordination avait été mise en place, pour l'ensemble des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société SKF sur le fondement des dispositions de l'article L. 4616-1 du code du travail et que cette instance temporaire de coordination avait été consultée sur l'opération projetée, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
5. Considérant que, le délai de trois mois imparti à la cour administrative d'appel pour statuer par les dispositions de l'article L. 1235-7-1 du code du travail étant expiré, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application des mêmes dispositions, de statuer immédiatement sur l'appel formé par le syndicat CGT SKF Montigny et autres dirigé contre le jugement du 4 juillet 2014 du tribunal administratif de Versailles ;
Sur l'appel en tant qu'il émane du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny-le-Bretonneux :
6. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 1235-7-1 du code du travail, relatif aux délais de contestation et aux voies de recours contre les décisions administratives de validation ou d'homologation d'un accord collectif ou d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi : " Le recours est présenté dans un délai de deux mois par l'employeur à compter de la notification de la décision de validation ou d'homologation, et par les organisations syndicales et les salariés à compter de la date à laquelle cette décision a été portée à leur connaissance conformément à l'article L. 1233-57-4 " ; qu'il résulte de ces dispositions que les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, pour lesquels l'article L. 1233-57-4 du même code ne prévoit pas que soient portées à leur connaissance les décisions de validation ou d'homologation, n'ont pas qualité pour agir contre ces décisions ; que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre fin de non-recevoir tirée de l'irrégularité du mandat des représentants du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Montigny-le-Bretonneux, la société SKF France est fondée à soutenir que la demande de première instance n'était pas recevable en tant qu'elle émanait de ce comité ; que dès lors, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Montigny-le-Bretonneux n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;
Sur la requête des autres appelants :
7. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet d'accord collectif portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi de la société SKF France, qui prévoit notamment l'arrêt d'une des activités du site de Saint-Cyr-sur-Loire représentant 93 postes de travail sur les 1250 de ce site, le transfert sur ce site de 47 salariés de l'établissement de Montigny-le-Bretonneux et de 51 salariés d'une société-sur de la société SKF France, ainsi qu'un projet d'ensemble visant à faire de cet établissement l'unique pôle industriel du groupe SKF en France était, eu égard à ses conséquences sur les conditions de travail des salariés de l'établissement de Saint-Cyr-sur-Loire, au nombre des décisions pour lesquelles la consultation des trois comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de cet établissement était requise en application des dispositions de l'article L. 4612-8 du code du travail ;
8. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que, pour ce qui concerne l'établissement de Saint-Cyr-sur-Loire, seule une structure dite " de coordination ", composée de membres issus des trois comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement, ainsi que l'instance temporaire de coordination mise en place en application de l'article L. 4616-1 du code du travail, ont rendu des avis sur l'opération projetée ; que, de telles consultations n'étant pas de nature à tenir lieu de consultation des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de Saint-Cyr-sur-Loire, la consultation prévue par l'article L. 4612-8 du code du travail n'a pas été régulièrement effectuée ;
9. Considérant que, eu égard à ce qui a été dit au point 2 ci-dessus, cette irrégularité faisait obstacle à ce que, par sa décision du 25 février 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France valide l'accord collectif majoritaire du 11 février 2014 ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, le syndicat CGT SKF Montigny et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 25 février 2014 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France ;
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 400 euros à verser respectivement au syndicat CGT SKF Montigny, à l'union locale CGT de Trappes, à M. A. et à M. B. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a également lieu de mettre à la charge de la société SKF France une somme de 400 euros à verser à chacune des personnes mentionnées ci-dessus au même titre ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny-le-Bretonneux ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du syndicat CGT SKF Montigny, de l'union locale CGT de Trappes, de M. A. et de M. B., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu'enfin, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny-le-Bretonneux le versement d'une somme au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 30 septembre 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Le jugement du 4 juillet 2014 du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les demandes du syndicat CGT SKF Montigny, de l'union locale CGT de Trappes, de M. A. et de M. B.
Article 3 : La décision du 25 février 2014 du DIRECCTE d'Ile-de-France est annulée.
Article 4 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Versailles par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny-le-Bretonneux est rejetée.
Article 5 : L'Etat versera au syndicat CGT SKF Montigny, à l'union locale CGT de Trappes, à M. A. et à M. B. une somme de 400 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La société SKF France versera au syndicat CGT SKF Montigny, à l'union locale CGT de Trappes, à M. A. et à M. B. une somme de 400 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les conclusions présentées par la société SKF France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : La présente décision sera notifiée au syndicat CGT SKF Montigny, à l'union locale CGT de Trappes, à M. D. A., à M. C. B., au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site SKF de Montigny-le-Bretonneux, à la société SKF France et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Copie en sera adressée à la CFDT, à la CFE-CGC et à FO.