SOC. CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 30 septembre 2015
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller le plus ancien faisant fonction de
président
Arrêt no 1510 F-D
Pourvoi no G 13-11.858
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par Caisse interfédérale du crédit mutuel de Bretagne-Arkea, société anonyme, dont le siège est Le Relecq-Kerhuon,
contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2012 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. Y Y, domicilié Plérin,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 juillet 2015, où étaient présents M. Huglo, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Depelley, conseiller référendaire rapporteur, Mme Reygner, conseiller, M. Petitprez, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Depelley, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la Caisse interfédérale du crédit mutuel de Bretagne-Arkea, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Y, l'avis de M. Petitprez, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu les articles L. 1231-1 et L. 1237-9 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y a été engagé le 1er août 1972 par la Caisse interfédérale du crédit mutuel de Bretagne-Arkea et exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable clientèle ; que le 7 août 2009, il a adhéré au dispositif Cap Avenir résultant d'un accord sur l'aménagement de la durée des carrières permettant aux salariés qui le souhaitent d'anticiper avec l'aide de l'entreprise la cessation de leur activité professionnelle ; qu'à l'issue d'un arrêt de travail, M. Y a fait l'objet le 18 novembre 2009 d'une déclaration d'inaptitude à tous postes de l'entreprise, puis a refusé une offre de reclassement à la direction départementale ; que par lettre du 3 mars 2010, il a fait part à son employeur de sa renonciation au dispositif de départ à la retraite ; que le 29 mars 2010, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ; que le 17 mars 2011, il s'est vu notifier, par son employeur, sa radiation du système de complémentaire santé au motif que son contrat de travail était rompu à compter du 1er avril 2011 à la suite de son départ en retraite ; que celui-ci a alors demandé la requalification de ce qu'il a estimé être une mise à la retraite en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que pour analyser la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et faire droit aux demandes d'indemnités de rupture du salarié, l'arrêt retient que M. Y a adhéré le 7 août 2009 au dispositif Cap Avenir résultant d'un accord sur l'aménagement de la durée des carrières permettant aux salariés qui le souhaitent d'anticiper, avec l'aide de l'entreprise, la cessation de leur activité professionnelle ; que sur le formulaire d'adhésion, il a inscrit " dès que possible départ prévu 11 juin 2010 " ; qu'il est également établi qu'il a approuvé par sa signature, le 12 décembre 2009, la lettre du Crédit mutuel du 10 décembre l'informant que son relevé de carrière permettait de fixer la date d'acquisition de ses droits à la retraite à taux plein au 1er avril 2011, et qu'en raison des congés acquis, il serait en congé de fin de carrière à compter du 11 août 2010, son contrat se poursuivant jusqu'à la date de la liquidation de ses droits à la retraite ; mais outre que ce dernier document ne mentionne pas les conditions exactes de l'accès à la retraite (départ volontaire ou mise à la retraite à l'initiative de l'employeur), et que par lettre du 16 août 2010, M. Y faisait connaître sa décision de ne pas faire valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2011, les nombreux messages du salarié invoqués par l'employeur ne peuvent être considérés comme l'expression par ce dernier d'une volonté claire et non équivoque de partir à la retraite de son initiative, qu'en effet, par ces différents messages, l'intéressé exprimait clairement qu' il envisageait son départ à la retraite en raison des nombreux refus de promotion qui lui ont été opposés et de l'entrave à ce qu'il estimait qu'aurait dû être le déroulement de sa carrière, que dans un tel contexte, il apparaît que les différents messages concomitants dans lesquels M. Y évoquait son départ à la retraite ne peuvent caractériser sa volonté claire et non équivoque d'un départ en retraite ;
Attendu cependant que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'un départ volontaire à la retraite ;
Qu'en statuant comme elle a fait, après avoir retenu que la décision de départ du salarié à la retraite était équivoque en raison des manquements qu'il imputait à son employeur, ce dont elle aurait dû déduire que ce départ à la retraite devait s'analyser en une prise d'acte, et après avoir constaté que les faits avancés par le salarié de refus de promotion et d'entraves dans le déroulement de sa carrière n'étaient pas établis, en sorte que la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un départ volontaire à la retraite, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres branches du moyen
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts fondées sur un harcèlement moral et sur une exécution de mauvaise foi du contrat de travail, l'arrêt rendu le 12 décembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la Caisse interfédérale du crédit mutuel de Bretagne-Arkea
Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR condamné la SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA à verser à Monsieur Y les sommes de 11 924 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1190 euros à titre d'indemnité de congés payés y afférent, 84 454 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 26 523,36 euros au titre des congés payés compte épargne temps, 24 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 800 euros d'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE " La SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA soutient que par plusieurs écrits Monsieur Y a exprimé une demande de départ volontaire à la retraite, alors que ce dernier soutient que cette demande était la résultante du délaissement dont il était victime quant à l'évolution de sa carrière, et qu'en tout état de cause il avait expressément rétracté toute demande pouvant être prise en ce sens. Monsieur Y a adhéré le 7 août 2009 au dispositif CAP AVENIR résultant d'un accord sur l'aménagement de la durée des carrières permettant aux salariés qui le souhaitent d'anticiper avec l'aide de l'entreprise, la cessation de leur activité professionnelle, soit par la constitution d'une épargne temps leur permettant d'anticiper par une période de congés leur départ effectif en retraite, soit par la réduction du taux d'activité en fin de carrière. Sur le formulaire d'adhésion, il a inscrit "dès que possible départ prévu 11 juin 2010". Il est également établi qu'il a approuvé par sa signature le 12 décembre 2009, la lettre du Crédit Mutuel du 10 décembre l'informant que son relevé de carrière permettait de fixer la date d'acquisition de ses droits à la retraite à taux plein au 1er avril 2011, et qu'en raison des congés acquis il serait en congé de fin de carrière à compter du 11 août 2010 à midi, son contrat se poursuivant jusqu'à la date de la liquidation de ses droits à la retraite. Mais outre que ce dernier document ne mentionne pas les conditions exactes de l'accès à la retraite (départ volontaire ou mise à la retraite à l'initiative de l'employeur), et que par lettre du 16 août 2010 Monsieur Y faisait connaître sa décision de ne pas faire valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2011, les nombreux messages du salarié vantés par l'employeur, ne peuvent être considérés comme l'expression par Monsieur Y d'une volonté claire et d'un équivoque de partir à la retraite de son initiative. En effet, par ces différents messages (29 janvier 2008, 25 avril 2008, 17 mars 2009 22 avril 2009 15 juillet 2009) Monsieur Y exprimait clairement qu'il envisageait son départ à la retraite en raison des nombreux refus de promotion qui lui ont été opposés et de l'entrave à ce qu'il estimait qu'aurait de l'être le déroulement de sa carrière. À titre d'exemple, il écrivait le 22 avril 2009 "je vais donc quitter l'entreprise en juin 2010 et peut-être plus tôt
Je précise toutefois que j'aurais volontiers accepté de travailler plus longtemps si j'avais été retenu suite à ma récente candidature. L'entreprise n'aura jamais su me répondre favorablement depuis 1985, année de mon premier échec de candidature." Message du 15 juillet 2009 "j'ai vécu cela pendant 20 ans comme un véritable acharnement de mon employeur contre moi. Je suis à votre disposition pour faire des copies de ce véritable recueil de torture morale pratiquée au CMB pendant plus de deux décennies sur un cadre pourtant sans reproche. C'est pourquoi je pense qu'il est désormais grand temps de mettre un terme à notre collaboration et que les
recommandations de la médecine du travail aboutissent à ma libération
anticipée." Dans un tel contexte, il apparaît que les différents messages concomitants dans lesquels Monsieur Y évoquait son départ à la retraite, ne peuvent caractériser sa volonté claire et non équivoque d'un départ en retraite. En conséquence, la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé. Il sera alloué à Monsieur Y des indemnités de rupture dont les modalités de calcul ne sont pas contestées, de même que le solde de son compte épargne temps. Monsieur Y avait 38 ans d'ancienneté à la date du licenciement dans une entreprise employant habituellement plus de 10 salariés. Il ne justifie pas d'une période de chômage indemnisé. Compte tenu de ces éléments la réparation de son préjudice doit être fixée à 24 000 euros faute de preuve d'un préjudice supérieur. Les conditions d'application de l'article L 1235-3 du code du travail étant réunies, il convient néanmoins de dispenser l'employeur du remboursement des allocations de chômage éventuellement versées au salarié. En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à Monsieur Y une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif " ;
1) ALORS QUE lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a retenu que la volonté du salarié de partir à la retraite n'était pas claire et non équivoque dès lors que le salarié avait fait savoir qu'il envisageait son départ à la retraite en raison des nombreux refus de promotion qui lui ont été opposés et de l'entrave à ce qu'il estimait qu'aurait dû être le déroulement de sa carrière ; que cependant la Cour d'appel a constaté que le salarié ne présentait aucun élément permettant de faire présumer que sa carrière aurait connu une évolution défavorable et qu'aucun élément ne venait établir un comportement discriminatoire en terme de promotion ; qu'ainsi, les faits reprochés par le salarié à l'employeur rendant équivoque sa volonté de partir à la retraite n'étant pas établis, la rupture ne pouvait produire les effets d'un licenciement ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles L.1231-1 et L.1237-9 du Code du travail ;
2) ALORS au surplus QUE les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; que la lettre de l'employeur du 10 décembre 2009, que le salarié a contresigné le 12 décembre 2009 en apposant la mention " lu et approuvé bon pour accord ", précisait qu'il s'agissait d'octroyer au salarié " le bénéficie de l'accord d'entreprise sur l'aménagement de la durée des carrières et plus précisément les dispositions relatives au contrat CAP AVENIR 1 ", et que cette " Adhésion CAP Avenir 1 " " entrera en vigueur le 1er janvier 2010 et s'achèvera le 31 mars 2011 " et emporterait " la poursuite de votre activité dans les mêmes conditions qu'actuellement ", jusqu'au " congé de fin de carrière à compter du 11 aout 2010, votre contrat se poursuivant jusqu'à la date de la liquidation de vos contrats à la retraite à taux plein " ; qu'ainsi ce document mentionnait précisément les conditions exactes de l'accès la retraite, c'est-à-dire par consentement à un contrat spécifique appelé CAP AVENIR 1 conclu entre l'employeur et le salarié conformément au dispositif conventionnel mis en place par l'accord d'entreprise d'aménagement de la durée des carrières ; qu'en affirmant au contraire qu'il n'aurait pas mentionné les conditions exactes de l'accès à la retraite, pour exclure qu'on puisse y lire l'expression d'une volonté claire et non équivoque du salarié de partir à la retraite, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
3) ALORS QUE la Cour d'appel a retenu que les différents messages du salarié des 29 janvier et 25 avril 2008, 17 mars, 22 avril et 15 juillet 2009 n'exprimaient pas sa volonté claire et non équivoque de partir à la retraite de son initiative dès lors qu'il y exprimait que ce départ avait pour raison de nombreux refus de promotion ; qu'en omettant de rechercher si le salarié n'avait pas ultérieurement exprimé un consentement plein et entier, notamment le 3 septembre 2009 en écrivant (pièce d'appel no 7) " je serai "libéré" le 11.06.2010, avec mon nouvel abondement de 21 jours, je dois pouvoir quitter cette bonne maison début mai 2010 ; merci de me tenir informé ", et encore le 24 septembre 2009 (pièce d'appel no 10) en indiquant " mon dernier jour de travail au CMB sera donc le 5 janvier, je quitterai l'entreprise avec émotion !!!! " avant de détailler très précisément l'enchainement d'un congé maladie prévu et du congé de préretraite, ce qui révélait sa parfaite maitrise du dispositif CAP AVENIR 1, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
4) ALORS QU'un salarié ne peut, sans le consentement de l'employeur, rétracter son adhésion à un dispositif conventionnel de départ à la retraite, ce d'autant moins qu'il a d'ores et déjà été mis en oeuvre ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que monsieur Y avait approuvé par sa signature le 12 décembre 2009, la lettre du Crédit Mutuel du 10 décembre l'informant notamment qu'il serait en congé de fin de carrière à compter du 11 août 2010 à midi, son contrat se poursuivant jusqu'à la date de la liquidation de ses droits à la retraite ; qu'en jugeant cependant que le salarié avait pu unilatéralement faire connaître par lettre du 16 aout 2010 sa décision de ne pas faire valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2011, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et les articles L.1237-4 et suivants du Code du travail ;
5) ALORS subsidiairement QUE lorsque le départ à la retraite s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité de fin de carrière ne peut se cumuler avec l'indemnité de licenciement, laquelle est alors due sous déduction de l'indemnité de départ à la retraite ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que monsieur Y était parti à la retraite le 1er avril 2011 ; que l'employeur justifiait (pièce no 24) qu'il avait versé à cette occasion une indemnité de fin de carrière tel que l'admettait lui-même le salarié (conclusions adverses page 9 §5) ; qu'en omettant cependant de déduire de l'indemnité de licenciement accordée au salarié les sommes versées par l'employeur au titre l'indemnité de l'indemnité de fin de carrière, la Cour d'appel a violé l'article L.1237-9 du Code du travail.