Conseil d'État
statuant au contentieux
N° 264494
M. Mathieu Herondart, Rapporteur
M. Goulard, Commissaire du gouvernement
M. Stirn, Président
Lecture du 15 juillet 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 12 février 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 15 janvier 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel tendant à l'annulation du jugement du 25 mai 2000 du tribunal administratif de Dijon accordant à la société anonyme Gemo la restitution de la taxe sur les achats de viande qu'elle a acquittée au titre de la période du 1er janvier 1997 au 31 août 1998 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mathieu Herondart, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boutet, avocat de la Société Venardis venant aux droits de la S.A. Gemo,
- les conclusions de M. Guillaume Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la S.A. GEMO a demandé la restitution de la taxe sur les achats de viande prévue à l'article 302 bis ZD du code général des impôts qu'elle a acquittée au titre de la période du 1er janvier 1997 au 31 août 1998 ; que, par un arrêt en date du 20 novembre 2003, rendu sur une question préjudicielle posée par la cour administrative d'appel de Lyon par un arrêt du 13 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le régime assurant gratuitement la collecte et l'élimination des cadres d'animaux et des déchets d'abattoirs financé par la taxe d'achat sur les viandes devait être qualifié d'aide d'Etat ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit contre l'arrêt en date du 15 janvier 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir constaté que cette aide avait été instituée sans notification préalable à la Commission européenne, a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Dijon accordant à la société la restitution de la taxe en litige ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la cour administrative d'appel de Lyon ne s'est pas fondée dans l'arrêt attaqué sur des arguments de fait ou de droit développés dans le mémoire produit avant la clôture de l'instruction le 9 janvier 2004, par la S.A.Venardis venant aux droits de la société Gemo, qui a d'ailleurs été communiqué par télécopie au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE le même jour ; que, par suite, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à soutenir que l'arrêt serait intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour l'administration d'avoir disposé d'un délai suffisant pour répondre à ce mémoire ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt :
Considérant que l'administration est, en principe, tenue de restituer des taxes perçues en méconnaissance du droit communautaire ; qu'elle ne peut s'opposer à cette restitution que si elle établit que cette restitution entraînerait un enrichissement sans cause de la personne astreinte au paiement de ces taxes ; qu'un tel enrichissement sans cause peut survenir lorsque le remboursement excède le préjudice subi par le redevable de la taxe litigieuse en raison du montant des taxes qu'il n'a pas répercuté dans ses prix de vente et de la diminution des volumes de vente liée à l'augmentation du prix résultant du montant des taxes qu'il a répercuté sur ses clients ; que s'il appartient à l'administration d'établir que le remboursement des taxes entraînerait un enrichissement sans cause, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter ; qu'ainsi, dans le cas où l'administration avance une argumentation présentant un degré suffisamment élevé de vraisemblance sur l'enrichissement sans cause dont bénéficierait le redevable en cas de remboursement de l'intégralité des taxes perçues, en s'appuyant sur des éléments d'information pertinents sur l'évolution des prix, des marges et des volumes du secteur concerné à la suite de la mise en application de la taxe litigieuse, ainsi que sur des documents qu'elle est en droit d'obtenir du redevable, il appartient au juge, après avoir soumis cette argumentation au débat contradictoire, d'apprécier, le cas échéant après un supplément d'instruction, si l'enrichissement allégué est établi ;
Considérant, par suite, qu'en estimant que la preuve de l'enrichissement sans cause qu'apporterait la restitution d'une taxe perçue en méconnaissance du droit communautaire devait être établie au regard de l'ensemble des effets négatifs sur les résultats économiques du redevable de la taxe quand bien même celui-ci aurait répercuté l'intégralité de la taxe dans les prix de vente aux consommateurs, la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'en estimant que l'administration ne produisait pas, en l'espèce, d'éléments suffisamment précis sur les effets de l'instauration de la taxe pour la S.A. GEMO, tirés de l'évolution économique du secteur de la vente de viandes pendant les années en litige ou de la situation de la société, pour établir, l'enrichissement sans cause dont bénéficierait la société en cas de remboursement de l'intégralité de la taxe perçue et qu'il n'y avait pas lieu de recourir à une expertise pour vérifier la réalité de cette argumentation, la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt suffisamment motivé, a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la S.A. Venardis et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la S.A. Venardis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Venardis.