CIV. 1
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 605 FS-B
Pourvoi n° G
22-16.471⚖️ Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [Aa].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 mars 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
M. [K] [Aa], domicilié chez M. [E] [X], avocat, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 22-16.471 contre l'ordonnance rendue le 9 novembre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet des Hauts-de-Seine, domicilié [… …],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [Aa], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Ab, Mornet, Chevalier, Mme Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Dumas, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 9 novembre 2021) et les pièces de la procédure, le 3 novembre 2021, M. [Aa], de nationalité roumaine, en situation irrégulière sur le territoire national, a, à l'issue d'une mesure de garde à vue fondée sur des faits réprimés à l'article L. 824-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), été placé en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français.
2. Le 4 novembre 2021, le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. [Aa] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 741-10 du CESEDA et, par le préfet, d'une demande de première prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 742-1 du même code.
Sur le moyen, pris en sa première branche
3. Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre criminelle, sollicité en application de l'
article 1015-1 du code de procédure civile🏛.
Enoncé du moyen
4. M. [Aa] fait grief à l'ordonnance d'écarter ses moyens de nullité et, en conséquence, de faire droit à la requête du préfet en prolongation de sa rétention administrative, alors « qu'il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention, saisi en appel d'un refus de prolongation d'une mesure de rétention administrative, de requalifier les faits ayant servi de fondement à une mesure de garde à vue ; qu'en ayant jugé, pour retenir la régularité de la garde à vue, qu'il était loisible au "juge" (le juge des libertés ?) de modifier la qualification des faits servant de fondement à la mesure, dès lors qu'elle était apparue inappropriée, quand le juge des libertés ne possède pas un tel pouvoir, le conseiller délégué a excédé ses pouvoirs au regard de l'
article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 62-2, alinéa 1er, 62-3, alinéa 1er, 63, I, et 63-1, 2°, du code de procédure pénale🏛🏛🏛🏛🏛 :
5. Selon le premier de ces textes, une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, qu'à l'égard d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement.
6. Aux termes du deuxième, la garde à vue s'exécute sous le contrôle du procureur de la République, sans préjudice des prérogatives du juge des libertés et de la détention prévues aux articles 63-4-2 et 706-88 à 706-88-2 en matière de prolongation de la mesure au-delà de la quarante-huitième heure et de report de l'intervention de l'avocat.
7. En application du quatrième, l'officier de police judiciaire, ou l'agent de police judiciaire qui agit sous son contrôle, doit notifier à la personne concernée la qualification, la date et le lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ainsi que les motifs mentionnés aux 1° à 6° de l'article 62-2 justifiant son placement en garde à vue.
8. Le troisième permet au procureur de la République, qui doit être informé, dès le début de la mesure, de la qualification des faits notifiée à l'intéressé, de modifier cette qualification et impose alors la notification à ce dernier de celle qu'a retenue ce magistrat.
9. Ces dispositions visent à assurer l'effectivité du contrôle de l'exécution de la mesure de garde à vue par le procureur de la République, gardien de la liberté individuelle. Elles garantissent aussi que les personnes placées en garde à vue reçoivent rapidement des informations sur les faits qu'elles sont soupçonnées d'avoir commis afin de préserver l'équité de la procédure et de permettre un exercice effectif des droits de la défense.
10. Il en résulte que le juge, saisi d'une contestation de la régularité de la garde à vue, doit vérifier s'il existait, au moment du placement en garde à vue de la personne concernée, des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis l'infraction dont la qualification lui a été notifiée, cette qualification pouvant être modifiée par le procureur de la République chargé du contrôle de la mesure.
11. En l'absence de telles raisons, et sur la base d'informations acquises ultérieurement, le juge des libertés et de la détention ne saurait, sans méconnaître les principes ci-dessus énoncés, substituer sa propre appréciation au choix de qualification ainsi effectué et qui a été maintenu tout au long de la mesure.
12. Dès lors, s'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 742-1 du CESEDA, d'une requête aux fins de première prolongation d'une mesure de rétention administrative, il ne peut pas procéder à une requalification des faits ayant servi de fondement à une mesure de garde à vue qui a précédé le placement en rétention.
13. Pour autoriser la prolongation de la mesure de rétention administrative, l'ordonnance retient que, si le fondement textuel initial retenu d'un maintien irrégulier sur le territoire français de M. [Aa] n'est pas approprié, la garde à vue demeure fondée dès lors que, pendant son audition, celui-ci a reconnu avoir été reconduit dans son pays à sa sortie de prison en 2020 et être revenu en France plus d'un an après, en infraction avec l'interdiction de retour pendant un délai de trois ans, toujours en cours, faits prévus à l'article L. 824-12 du CESEDA.
14. En statuant ainsi, le premier président, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.
16. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 9 novembre 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.