ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 189572
M. BONIFACE
M. Fabre, Rapporteur
M. Goulard, Commissaire du gouvernement
Séance du 6 décembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la décision du 14 février 2001, par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par M. Charles BONIFACE, a, en premier lieu, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 10 juin 1997 en tant que la cour avait statué sur les droits et pénalités, compris dans le supplément d'impôt sur le revenu auquel M. BONIFACE a été assujetti au titre de l'année 1980, procédant de l'imposition de profits issus d'opérations à terme sur marchandises réalisées sous son propre nom et de plus-values de cessions de valeurs mobilières, et, en second lieu, sursis au règlement de l'affaire au fond jusqu'à ce que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ait, en réponse à la communication qui lui serait donnée des mémoire et productions de M. BONIFACE enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 janvier 2001, présenté sur ceux-ci ses observations ;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de M. BONIFACE,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement;
Considérant que, par décision du 14 février 2001, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de M. BONIFACE, a, en premier lieu, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 10 juin 1997 en tant que la cour avait, d'une part, faisant partiellement droit au recours formé devant elle par le ministre du budget, rétabli les droits et pénalités auxquels M. BONIFACE avait été supplémentairement assujetti, en matière d'impôt sur le revenu et au titre de l'année 1980, à raison de profits issus d'opérations à terme sur marchandises effectuées en son nom propre, et dont il avait été déchargé par les premiers juges, d'autre part, rejeté la requête dont l'avait, de son côté, saisie M. BONIFACE aux fins de décharge des droits et pénalités, compris dans la même imposition supplémentaire, assis sur des plus-values de cessions de valeurs mobilières et maintenus par les premiers juges, et, en second lieu, sursis à régler l'affaire au fond jusqu'à ce que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ait, en réponse à la communication qui lui serait donnée d'un mémoire et de productions de M. BONIFACE enregistrés le 4 janvier 2001, présenté sur ceux-ci ses observations ;
Considérant que, le complément d'instruction ainsi prescrit ayant été effectué, il y a lieu, afin de régler l'affaire au fond et eu égard aux points déjà tranchés par la décision susmentionnée du 14 février 2001, d'examiner, d'une part, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel formé par le ministre du budget, les moyens par lesquels M. BONIFACE conteste le bien-fondé des droits, assis sur des profits tirés d'opérations à terme sur marchandises, dont le ministre demande le rétablissement, et, d'autre part, soit en vertu du même effet dévolutif, soit en réponse à la requête d'appel de M. BONIFACE, les moyens de ce dernier qui ont trait aux pénalités dont le ministre demande le rétablissement en majoration des droits susindiqués, ou qui ont été maintenues par les premiers juges en majoration des droits assis sur des plus-values de cessions de valeurs mobilières ;
En ce qui concerne l'imposition de profits retirés d'opérations à terme sur marchandises
Sur le montant des profits imposables
Considérant que, dans le dernier état de sa contestation de l'évaluation que l'administration a faite desdits profits, M. BONIFACE soutient que cette évaluation, à la somme de 5 142 012 F après imputation de pertes reportables subies en 1979, est excessive à concurrence de 1 981 250 F, l'administration n'ayant pas tenu compte des pertes, de ce montant, constatées lors du "dénouement", au cours de l'année 1980, d'opérations qui n'ont fait l'objet d'écritures de "compensation", de la part de la Banque centrale de compensation, qu'au cours de l'année suivante ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit dans la décision susvisée du Conseil d'Etat du 14 février 2001, le profit global net issu d'opérations à terme sur marchandises effectuées en bourse de commerce et imposable en application des dispositions du 2 de l'article 92 du code général des impôts, telles qu'en vigueur pour l'année 1980, doit être déterminé en prenant en compte les gains et pertes résultés des opérations dont le "dénouement" est intervenu au cours de l'année d'imposition ; qu'il est constant que, pour évaluer le résultat global net des opérations effectuées en 1980 par M. BONIFACE, l'administration s'est fondée sur le montant des "compensations" enregistrées sur ses relevés de compte avant le l 1er janvier 1981 ; que, par les documents et les explications qu'il fournit, M. BONIFACE apporte la preuve que, de ce fait, l'administration a omis de prendre en compte des opérations portant sur quatre-vingts lots de marchandises, dont le "dénouement" est intervenu avant le 31 décembre 1980, et qui ont été génératrices de pertes s'élevant, au total, à 1 981 250 F ; qu'il est, dès lors, fondé à soutenir que son profit net imposable ne doit être évalué qu'à 3 160 762 F ;
Sur l'applicabilité des dispositions de l'article 163 du code général des impôts
Considérant qu'aux termes de l'article 163 du code général des impôts, applicable en l'espèce : "Lorsque, au cours d'une année, un contribuable a réalisé un revenu exceptionnel, tel que la plus-value d'un fonds de commerce ou la distribution de réserves d'une société, et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels ce contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l'intéressé peut demander qu'il soit réparti, pour l'établissement de l'impôt, sur l'année de sa réalisation et les années antérieures non couvertes par la prescription ..." ; que, contrairement à ce que soutient M. BONIFACE, un profit exceptionnellement important, mais résulté d'opérations ordinairement effectuées par le contribuable, ne constitue pas un "revenu exceptionnel" au sens de ces dispositions; que, par suite, M. BONIFACE n'est pas fondé à en demander le bénéfice, pour l'imposition du profit qu'il a tiré, en 1980, de ses opérations à terme sur marchandises, en raison de la seule importance exceptionnelle de ce profit;
En ce qui concerne les pénalités
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si M. BONIFACE n'a pas souscrit de déclaration spéciale de bénéfices non commerciaux au titre de l'année 1980, il a souscrit une déclaration d'ensemble de ses revenus au titre de ladite année ; que, dès lors, contrairement à ce qu'il soutient, les majorations applicables aux droits litigieux sont celles que prévoyait l'article 1729 du code général des impôts alors en vigueur, et non celles prévues, en cas de taxation d'office pour défaut de déclaration du revenu global, au 1 de l'article 1733 ;
Mais considérant, en second lieu, que, pour justifier l'application, en l'espèce, des majorations prévues à l'article 1729 du code général des impôts, dans le cas où la mauvaise foi du contribuable est établie, l'administration fait seulement état du défaut de déclaration par M. BONIFACE des profits par lui retirés d'opérations en bourse de marchandises ou de valeurs, sans apporter aucun élément de preuve d'une volonté délibérée, de sa part, d'éluder une imposition qu'il savait due ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens relatifs aux pénalités, M. BONIFACE est fondé à soutenir que, sa mauvaise foi n'étant pas établie, le supplément d'imposition dont il est redevable ne pouvait légalement être assorti que des intérêts de retard ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, d'une part, M. BONIFACE, d'autre part, sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué, le premier, en tant que le tribunal administratif a déchargé M. BONIFACE de la fraction du supplément d'impôt sur le revenu et des pénalités auxquels il avait été assujetti au titre de l'année 1980 que justifie l'imposition, assortie de l'application d'intérêts de retard, d'un profit de 3 160 762 F retiré d'opérations à terme sur marchandises, et, le second, en tant que le tribunal administratif ne lui a -pas accordé- la réduction, au montant des seuls intérêts de retard, des pénalités appliquées aux droits résultés de l'imposition, au taux de 15 %, de plus-values de cessions de valeurs mobilières ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à M. BONIFACE, en remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, la somme de 2 000 euros ;
DECIDE:
Article 1er: M. BONIFACE est rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu de l'année 1980 à raison des droits supplémentaires procédant de l'imposition d'un profit issu d'opérations à terme sur marchandises de 3 160 762 F et des intérêts de retard applicables à ces droits.
Article 2 : Il est accordé à M. BONIFACE la réduction, au montant des seuls intérêts de retard, de la majoration appliquée aux droits, compris dans le supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1980, procédant de l'imposition; au taux de 15 %, de plus-values de cessions de valeurs mobilières s'élevant à 398 330 F.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 2 mars 1994 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions du recours présenté par le ministre du budget devant la cour administrative d'appel de Nantes et le surplus des conclusions de la requête présentée par M. BONIFACE devant la même cour sont rejetés.
Article 5 : L'Etat versera à M. BONIFACE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Charles BONIFACE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.