TA Paris, du 02-05-2024, n° 2226869
A91025AD
Référence
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 décembre 2022 et 13 mars 2024, M. A B, représenté par Me Sevino, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté n° PC 075 120 21 V0074 du 12 août 2022 par lequel la maire de Paris a refusé de lui délivrer un permis de construire pour la construction d'un bâtiment à R+4 sur un niveau de sous-sol au 3 rue de la Duée à Paris, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre à la maire de Paris de lui délivrer le permis de construire sollicité ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- le motif de refus tiré de la méconnaissance des articles UG.11.1.3 et UG.10.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris est entaché d'erreur d'appréciation dès lors que, d'une part, la hauteur du rez-de-chaussée en façade a été réduite à 2,70 m pour être en accord avec celle des bâtiments voisins, conformément aux prescriptions de ces articles et que, d'autre part, seule la verticale du gabarit enveloppe mentionnée à l'article UG.10.2.1 est réduite d'un mètre en application de ces dispositions, alors que le terrain d'assiette est soumis aux dispositions de l'article UG.10.2.2 ;
- le projet respecte les prescriptions issues des articles UG.7.1 et UG.8.1 du même règlement ;
- l'arrêté est en outre entaché de détournement de pouvoir ;
- le motif qu'il est demandé de substituer à ceux fondant la décision initiale, tiré de la méconnaissance des articles UG.10.2 et UG 10.2.2 du règlement du plan local d'urbanisme, est également infondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2024, la Ville de Paris conclut au rejet de la requête.
Elle demande à ce que les motifs initiaux de rejet de la demande de permis de construire soient substitués par un nouveau motif, tiré de la méconnaissance de l'article UG.10.2 du règlement du plan local d'urbanisme.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C,
- les conclusions de M. Grandillon, rapporteur public,
- et les observations de Me Bennani, pour M. B.
1. Par un arrêté du 12 août 2022, la maire de Paris a refusé de délivrer à M. B un permis de construire pour la construction d'un bâtiment à R+4 sur un niveau de sous-sol au 3 rue de la Duée à Paris 20ème. Il a formé un recours gracieux qui, en l'absence de réponse, a été implicitement rejeté. Par la présente requête, M. B demande au tribunal d'annuler l'arrêté du 12 août 2022, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les motifs initiaux de refus de délivrance d'un permis de construire :
2. En premier lieu, aux termes du 1° de l'article UG.11.1.3 du règlement du plan local d'urbanisme, consacré aux " soubassements " : " La hauteur et l'aspect du soubassement doivent être traités, sur un ou deux niveaux, en accord avec celui des constructions voisines. La hauteur du rez-de-chaussée en façade sur voie doit être au minimum de 3,20 mètres de hauteur libre sous poutre ou sous linteau ; elle peut être soit réduite soit augmentée pour être en accord avec celle des bâtiments voisins. / Lorsque la hauteur du rez-de-chaussée est inférieure à 3,20 mètres, la hauteur de la verticale du gabarit-enveloppe défini à l'article UG.10.2.1 est réduite de 1 mètre, conformément aux dispositions du § 5° de ce dernier article. "
3. D'une part, s'il est constant que la hauteur du rez-de-chaussée de l'immeuble projeté est inférieure à 3,20 mètres, il ressort des pièces du dossier qu'elle a été réduite à 2,70 mètres pour être en accord avec celle du bâtiment voisin situé à sa gauche, compte tenu de la déclivité de la rue. La maire de Paris ne fait valoir aucun autre élément. Dans ces conditions, le motif tiré de la méconnaissance de l'article UG.11.1.3 du règlement du plan local d'urbanisme est entaché d'erreur d'appréciation.
4. D'autre part, aux termes du 5° de l'article UG.10.2.1 du même règlement : " Cas des constructions nouvelles dont le rez-de-chaussée sur voie présente une hauteur libre sous poutre ou sous linteau inférieure à 3,20 mètres : / La hauteur H des gabarits-enveloppes définis aux § 1° à 4° ci-avant est réduite de 1 mètre. " Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à l'immeuble en cause, qui se trouve le long d'une voie bordée d'un filet de couleur verte. Il en résulte que les règles fixant le gabarit-enveloppe des immeubles la longeant sont fixées à l'article UG.10.2.2 du même règlement, qui ne comporte pas de disposition équivalente à celles du 5° de l'article UG.10.2.1, et que la circonstance que le rez-de-chaussée est inférieur à 3,20 mètres est sans incidence quant au gabarit-enveloppe que doit respecter l'immeuble. Par suite, le motif tiré de ce que la hauteur du rez-de-chaussée limitée à 2,70 mètres conduit à une méconnaissance de l'article UG.10.2 est entaché d'erreur de droit.
5. En deuxième lieu, aux termes du 1° de l'article UG.7.1 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris, applicable en présence d'une " Façade ou partie de façade comportant des baies constituant l'éclairement premier de pièces principales " : " Lorsqu'une façade ou une partie de façade à édifier en vis-à-vis d'une limite séparative comprise ou non dans la bande E* comporte une ou plusieurs baies constituant l'éclairement premier de pièces principales, elle doit respecter, au droit de cette limite, un prospect minimal de 6 mètres () Toute pièce principale doit être éclairée par au moins une baie comportant une largeur de vue égale à 4 mètres au minimum. " L'article UG.8.1 du même règlement comporte des dispositions identiques, relatives aux façades ou parties de façade de constructions en vis-à-vis sur un même terrain.
6. Il ressort des pièces accompagnant la demande de permis de construire et notamment des " plans des niveaux " et des coupes référencées PC 03 a et b que, d'une part, les pièces permettent d'identifier les vues principales et secondaires des différentes pièces et, d'autre part, la chambre/salon en fond de parcelle en R+1 ainsi que le séjour et la cuisine en R+4 disposent bien d'une vue principale, qui respecte les règles de largeur de vue et de prospect définies par les dispositions précitées. Les motifs de refus tirés de la méconnaissance des articles UG.7.1 et UG.8.1 du règlement du plan local d'urbanisme sont donc entachés d'erreur de fait.
7. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit qu'aucun des motifs de refus initialement retenus n'est fondé.
En ce qui concerne la demande de substitution de motif :
8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. La Ville de Paris demande à ce que trois nouveaux motifs de refus soient substitués à ceux initialement retenus, tirés de la méconnaissance des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme relatives à la détermination du gabarit-enveloppe. Il ressort de l'annexe graphique du règlement du plan local d'urbanisme de Paris que la rue de la Duée, au droit de la parcelle litigieuse, est bordée d'un filet vert tracé en tirets courts. Ainsi, en application de l'article UG.10.2.2 de ce règlement, le gabarit-enveloppe au droit de cette voie est composé, dans la bande E, d'une verticale H d'une hauteur de 10 mètres, surmonté d'un couronnement de trois mètres de hauteur et d'une pente de 1/2.
10. En premier lieu, la Ville de Paris fait valoir que la pente du couronnement du projet en cause est de 2/1 et méconnaît ainsi le b de l'article UG.10.2.2 de ce règlement. Toutefois, il ressort du dossier de demande de permis de construire modifié au cours des échanges avec les services instructeurs que la pente du couronnement projeté est désormais de 1/2, de sorte que ce motif n'apparaît pas fondé.
11. En deuxième lieu, aux termes du 3° de l'article UG.11.2.1 du même règlement : " Au-dessus de la verticale du gabarit-enveloppe défini à l'article UG.10.2 sont autorisés : () c - des prolongements de façade ou de saillies de façade dans la hauteur du niveau situé au-dessus de la verticale à la condition que leur largeur n'excède pas 3 mètres ; le total des largeurs cumulées ne doit pas excéder 40% de la longueur de la façade ". Il ressort des pièces composant le dossier de demande de permis de construire, tel que modifié au cours de l'instruction, que le " jardin d'hiver " situé au quatrième étage mesure trois mètres de large alors que la façade est d'une largeur totale de neuf mètres. Il respecte ainsi les dispositions précitées, de sorte que le deuxième motif qu'il est demandé de substituer n'est pas plus fondé.
12. En troisième lieu, la Ville de Paris soutient que le gabarit-enveloppe n'a pas été calculé en tenant compte de la surface de nivellement. L'article UG.10.2 dispose que : " Le point d'attache du gabarit-enveloppe* est pris sur la surface de nivellement de l'îlot* au droit du terrain concerné : () à la limite d'implantation figurée par les filets, s'il en existe. "
13. Il ressort du dossier de demande de permis de construire, et notamment de la pièce n° PC 05 a, montrant l'élévation rue de la Duée, que le bâtiment prévu sur rue a été conçu en respectant les hauteurs maximales prévues par ces dispositions, calculées à partir des plateaux de nivellement situés à la cote 113 mètres à l'ouest et à la cote 114 mètres à l'est. L'horizontale délimitant le sommet du gabarit-enveloppe se trouve ainsi à 126 mètres de haut, à l'ouest de la ligne perpendiculaire à la limite d'implantation sur voie séparant ces deux plans horizontaux de la surface de nivellement, et à 127 mètres, à l'est de cette ligne. Toutefois, le bâtiment en fond de parcelle, qui se trouve dans la bande E, atteint la hauteur de 127 mètres sur toute la largeur de la parcelle, ainsi que cela ressort de la pièce PC 03 a. Il excède ainsi la hauteur maximale du gabarit-enveloppe à l'ouest de la ligne précédemment décrite. Le troisième motif de refus est dès lors partiellement fondé.
14. Toutefois, l'administration dispose toujours de la possibilité d'assortir une autorisation d'urbanisme de prescriptions à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet, aient pour effet d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect. Or l'illégalité qui résulte du seul motif de refus fondé ne concerne que le bâtiment en fond de parcelle, sur une hauteur d'un mètre et une largeur d'environ un mètre cinquante. Elle peut ainsi être régularisée par des modifications portant sur des points précis et limités. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la maire de Paris aurait refusé la délivrance du permis litigieux en se fondant sur cette seule illégalité. La demande de substitution de motif sollicitée doit, dès lors, être écartée.
En ce qui concerne le détournement de pouvoir :
15. A supposer même que les matériaux utilisés par le projet aient constitué le motif réel de refus de l'autorisation sollicitée, une telle finalité est au nombre de celles pour lesquelles le pouvoir de la maire de Paris, agissant en tant qu'autorité chargée de la police de l'urbanisme, pouvait être légalement exercé. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit dès lors être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 22 août 2022 de la maire de Paris, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, étant dépourvus de motifs légaux et la demande de substitution de motifs ne pouvant être accordée, M. B est fondé à demander l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Il résulte de ce qui précède, et notamment des énonciations des points 13 et 14, qu'il y a seulement lieu d'enjoindre à la maire de Paris de réexaminer la demande de M. B dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de la Ville de Paris, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L'arrêté du 22 août 2022🏛 de la maire de Paris, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. B, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la maire de Paris de réexaminer la demande de permis de construire de M. B, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : La Ville de Paris versera la somme de 2 000 euros à M. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Anne Seulin, présidente,
MM. Gaël C et Arnaud Blusseau, premiers conseillers,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.
Le rapporteur,
G. CLa présidente,
A. SeulinLa greffière,
L. Thomas
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Arrêté, 12-08-2022 Arrêté, 22-08-2022 Arrêté, PC07512021V0074, 12-08-2022 Permis de construire Décision implicite de rejet Détournement de pouvoir Substitution de la décision Nouveau motif Substitution de motifs Parcelle litigieuse Service instructeur Terrain concerné Hauteur maximale Nouveau projet Travaux projetés Permis litigieux Matériaux utilisés Pouvoirs du maire Délai à compter d'une notification