Chambre criminelle
Audience publique du 7 NOVEMBRE 2001
Pourvoi n° 01-80.592
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE CANNES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________ LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept novembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant
Sur le rapport de Mme le conseiller ..., les observations de la société civile professionnelle LESOURD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ... ;
Statuant sur le pourvoi formé par
- La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE CANNES, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 30 novembre 2000, qui, sur renvoi de cassation dans la procédure suivie contre Michel ... pour vol, abus de confiance, faux et usage de faux, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, tiré de la violation des articles 460, 513 et 591 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la Cour, statuant sur les intérêts civils, a donné la parole en dernier, non pas à la partie civile, mais à l'auteur du dommage ;
"alors que la disposition selon laquelle le prévenu ou son avocat auront toujours la parole en dernier ne s'impose, à peine de nullité, que lorsque la juridiction correctionnelle statue sur l'action publique ; qu'en revanche, lorsqu'elle statue exclusivement sur les intérêts civils, la parole doit revenir en dernier à la partie civile" ;
Attendu que la partie civile ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel, statuant sur les seuls intérêts civils, ait entendu en dernier Michel ..., dès lors que la partie civile appelante, et intimée sur l'appel du prévenu, ne soutient pas avoir invoqué, lors des débats, le droit de répliquer qui lui est reconnu par l'article 460 du Code de procédure pénale, et qu'aucune disposition de la loi n'impose à la cour d'appel de donner la parole en dernier à la partie civile ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 311-1 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a limité la réparation du préjudice subi par la Caisse de Crédit Mutuel de Cannes à la somme de 200 445,62 francs et dit que, par sa faute, ladite Caisse avait participé pour moitié à la réalisation de son préjudice ;
"aux motifs que les dispositions pénales ayant condamné Michel ... pour avoir frauduleusement soustrait au préjudice du Crédit Mutuel et de Annette Obergfeld-Muller 250 000 francs et des bons de capitalisation telles qu'elles résultent de l'arrêt de la Cour d'Aix-en-Provence du 30 juin 1994 étaient devenues définitives faute de pourvoi sur l'action publique contre cet arrêt ; que, dès lors, le Crédit Mutuel de Cannes qui, agissant comme commettant de Michel ... avait réparé auprès de la victime du vol commis par son préposé le préjudice subi par elle, était fondé à réclamer à celui-ci, du moins dans son principe, la réparation du préjudice entraîné pour lui par ce décaissement et qui présentait un caractère personnel à l'établissement de crédit, lequel n'agissait pas en vertu d'une transmission d'action ; que les circonstances dans lesquelles les faits avaient été perpétrés, telles qu'elles résultaient de l'information mettaient en évidence la totale déficience du système de contrôle décrit par le directeur de l'agence bancaire en vertuduquel les bons de capitalisation avaient été remboursés, d'une part, en ce que le décaissement du 27 février 1989, pour la somme de 108 610 francs, correspondant à un premier remboursement des deux bons n'avait fait l'objet d'aucune pièce de caisse et d'autre part, en ce que le décaissement du 30 mars 1989, pour la somme de 139 208,54 francs, correspondant à un second versement, s'il avait fait I'objet de pièces signées par Michel ..., n'avait pas été soumis à la procédure de validation du sous-directeur habilité à cet effet ; que, sur un plan plus général, les investigations des enquêteurs avaient fait apparaître, au sein de l'agence, un laxisme généralisé dont la mise à l'écart et les poursuites disciplinaires exercées contre plusieurs agents, y compris appartenant à l'encadrement, étaient l'illustration ; que même si cette entreprise bancaire avait réagi comme il convenait à une certaine époque, elle ne pouvait contester avoir été, par la tolérance prolongée ou l'insuffisante prévention de ses dysfonctionnements antérieurs, à l'origine de son propre dommage dans des proportions qui seront fixées à la moitié ;
"alors, d'une part, que la victime d'une soustraction frauduleuse, qu'elle soit propriétaire ou détenteur de la chose, a droit à la réparation de son préjudice, non pas dans son principe, mais dans sa totalité ; que ce principe de la réparation intégrale du préjudice s'applique à tous les préjudices résultant de l'infraction ; que, dès lors qu'il était établi, par la condamnation pénale devenue définitive, que Michel ... avait frauduleusement soustrait des bons de capitalisation à concurrence de250 000 francs au préjudice du Crédit Mutuel, détenteur de ces bons, et que le Crédit Mutuel avait dû rembourser au propriétaire la somme de 250 000 francs outre la somme de 50 891,25 francs représentant les intérêts sur ladite somme depuis le 4 novembre 1987, l'auteur de la soustraction frauduleuse devait réparer le préjudice subi par la banque dans sa totalité, c'est-à-dire capital et intérêts compris, et non pas seulement pour moitié ;
"alors, d'autre part, que la faute commise par le propriétaire ou le détenteur de la chose frauduleusement soustraite ne peut, en aucun cas, justifier un partage de responsabilité au préjudice de la victime ; que, dès lors, sont inopérantes les énonciations caractérisant une prétendue faute du Crédit Mutuel dans la gestion de son agence ; qu'ainsi le partage de responsabilité opéré par les juges d'appel au préjudice du Crédit Mutuel de Cannes est illégal ;
"alors, enfin, que le fait que le Crédit Mutuel, détenteur des bons et des fonds appartenant à Annette Obergfeld-Muller, ait réparé le préjudice subi par cette dernière en sa qualité de commettant de Michel ... n'est pas de nature à le priver de son droit à obtenir réparation de la totalité du préjudice direct qu'il a subi en sa qualité de détenteur des fonds et titres volés, dans son établissement, par son employé ; que cette circonstance, relevée par l'arrêt attaqué, est inopérante pour justifier sa décision" ;
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens ;
Attendu que, pour décider que la Caisse du crédit mutuel de Cannes devait supporter pour moitié les conséquences du vol commis à son préjudice par Michel ..., la cour d'appel énonce que les investigations des enquêteurs ont fait apparaître, au sein de l'agence, un laxisme généralisé et que cette entreprise s'était trouvée, par la tolérance prolongée, ou l'insuffisante prévention de ses dysfonctionnements à l'origine de son propre dommage dans des proportions fixées à la moitié ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé, et du principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse en date du 30 novembre 2000 et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré M. ... président, Mme ... conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Dulin, Mme Desgrange conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général M. Launay ;
Greffier de chambre Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;