COUR DE CASSATION
Deuxième chambre civile
Audience publique du 8 Mars 2001
Pourvoi n° 98-17.574
Alliance générale contre le racismeet pour le respect de l'identité françaiseet chrétienne (AGRIF) ¢
M. ..., ès qualités de directeurde publication du journal " ... ... Bertha ".
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur le moyen unique
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 mars 1998), rendu sur renvoi après cassation (Cass. 2e Civ, 28 février 1996), et les productions, que le journal hebdomadaire ... ... Bertha a publié, en couverture de son numéro 36 du 3 octobre 1991, outre la mention en marge " Robert ... une hostie et un coup de blanc ", un dessin représentant un malade alité, et le texte suivant " Robert Obscène - Nouveau spectacle - Je suce était son nom - adaptation Alain ... de l'acadébite " ; qu'en page 3 figuraient un dessin représentant le Christ et les apôtres manifestant contre la précarité de l'emploi, un autre intitulé " Jésus-Christ entre au théâtre " représentant le dialogue d'un souffleur de théâtre avec un Christ en croix ; qu'en dernière page, sous le titre " fait divers ", un dessin représentait une femme allongée nue, éventrée, un crucifix planté entre les cuisses ; que dans le numéro 38 du même journal, daté du 17 octobre 1991, sous le titre " Le pape chez les travelos ", un dessin représentait le pape sodomisé par un travesti ; qu'en page 9 de ce journal, sous le titre " Les Kgbistes recyclés en prêtres ", un dessin représentait un prêtre plongeant un enfant dans les fonts baptismaux en déclarant " On a les moyens de te faire parler, sale gosse " ; que par acte d'huissier de justice du 2 janvier 1992, l'Association générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) a fait assigner devant un tribunal de grande instance M. ..., directeur de la publication du journal, en réparation du préjudice causé par les dessins incriminés, constitutifs de provocations à la haine ou à la violence envers les fidèles de l'Eglise catholique, sur le fondement de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, et subsidiairement constitutifs de fautes, au sens de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que l'AGRIF fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen
1° qu'en refusant d'admettre que les dessins litigieux et leurs légendes, dont elle a pourtant elle-même noté l'obscénité et le caractère irrévérencieux et blasphématoire, constituaient un abus de la liberté d'expression susceptible d'être sanctionné, la cour d'appel a violé les articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 1382 du Code civil ;
2° que la cour d'appel n'a pu, sans se contredire, d'une part, énoncer que deux des dessins litigieux figuraient en page de couverture de l'hebdomadaire et, d'autre part, nier que lesdits dessins aient pu, d'une façon quelconque, être exposés à la vue du public et qu'elle a, par là même, violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3° que le fait que les dessins incriminés aient pu laisser indifférents certains chrétiens était inopérant, la cour d'appel ayant elle-même fait observer que d'autres chrétiens pouvaient être heurtés par leur obscénité et leur caractère irrévérencieux et blasphématoire, et que l'arrêt attaqué se trouve ainsi privé de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
4° que peu importait également que la revue en cause soit une revue satirique tournant en dérision tous les sujets traités, le caractère outrancier et provocateur des dessins incriminés et de leurs légendes suffisant à caractériser la faute, en dehors même de toute intention de nuire, et que la cour d'appel n'a pas, sur ce point encore, donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Et attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le dessin de couverture du n° 36, s'il vise à parodier avec une grande liberté l'affiche du spectacle de Robert ... intitulé " Jésus était son nom ", ne contient pas la moindre provocation à la haine ou à la violence à l'égard de quelque groupe ethnique ou religieux que ce soit et qu'il en est de même des autres dessins incriminés ; que tous les dessins en cause tournent en dérision la religion catholique, les croyances, les symboles et les rites de la pratique religieuse, mais n'ont pas pour finalité de susciter un état d'esprit de nature à provoquer à la discrimination, la haine ou la violence, et ne caractérisent pas l'infraction prévue par l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Qu'en l'état de ces seuls motifs, qui ne sont pas critiqués, aucune faute ne pouvait être retenue sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel, répondant aux conclusions, a rejeté la demande de l'AGRIF ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.