Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 20 Janvier 1998
Cassation.
N° de pourvoi 96-14.385
Président M. Lemontey .
Demandeur Mme ...
Défendeur société X-Y
Rapporteur M. ....
Avocat général M. Gaunet.
Avocats la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Boré et Xavier.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, par un acte notarié du 16 avril 1953, M. ... a acquis les lots 9 et 10 d'un immeuble en copropriété, lesquels faisaient l'objet d'un régime particulier dans le règlement de copropriété aux termes duquel l'accès au jardin " ne sera permis qu'au titulaire " de ces deux lots, le lot n° 10 bénéficiant d'une " servitude réelle d'usage à perpétuité ", à charge de conservation de l'état du jardin ; que, par un acte sous seing privé du 3 avril 1964, M. ... a vendu le lot n° 10 à M. ..., la vente étant assortie d'une renonciation de l'acquéreur, au profit du vendeur, à la jouissance du jardin avec conservation, cependant, d'un droit de passage ; que, faute de régularisation volontaire de cette vente, M. ... en a sollicité et obtenu la réalisation forcée en justice, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 4 juin 1968, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 décembre 1969, ayant dit que faute de régularisation dans le mois, dans les conditions convenues le 3 avril 1964, le jugement vaudrait acte de vente ; qu'en vertu d'un acte reçu le 29 novembre 1972 par la SCP X et X, aujourd'hui X et Y (la SCP), M. ... a vendu à Mme ... le lot n° 9 avec la jouissance exclusive du jardin, sauf à supporter le droit de passage au profit du lot n° 10 ; qu'après que M. ... eût fait donation du lot lui appartenant à ses deux filles, Mme ... a échoué dans une action qu'elle a engagée contre les consorts ... et tendant à voir dire qu'ils n'avaient aucun droit à l'usage du jardin, un arrêt du 11 janvier 1988 passé en force de chose jugée ayant annulé la convention du 3 avril 1964 en ce qu'elle portait sur la jouissance du jardin et dit que les consorts ... étaient en droit de se prévaloir du règlement de copropriété quant à l'usage de celui-ci, Mme ... étant condamnée à ne pas troubler leur jouissance sous peine d'astreinte ; que Mme ... a alors assigné la SCP en réparation de son préjudice ;
Attendu que, pour débouter Mme ... de sa demande, après avoir relevé que l'acte authentique rappelait, d'abord, l'existence, dans le règlement de copropriété, de conditions particulières relatives aux lots n° 9 et 10 ainsi que celle de l'acte de vente du 3 avril 1964 comportant la renonciation de l'acquéreur du lot n° 10 au droit d'usage du jardin, renonciation dont le texte intégral était reproduit, et ensuite, que la régularisation de cette dernière convention avait été judiciairement ordonnée, l'arrêt énonce que dès lors que le Tribunal, puis la cour d'appel, avaient dit régulière cette vente conclue avec renonciation, il n'appartenait pas au notaire de contredire les décisions judiciaires publiées et qu'il ne pouvait être tenu d'appeler l'attention de Mme ... sur la précarité des droits dont elle se portait acquéreur au regard des stipulations du règlement de copropriété alors surtout que les conventions du 3 avril 1964 jugées valables par ces décisions tendaient à éviter une modification du règlement de copropriété qui, à défaut, eût été nécessaire ;
Attendu, cependant, que les notaires sont tenus de veiller à l'efficacité des actes qu'ils reçoivent ; qu'en statuant comme elle a fait alors que, n'ayant pu ignorer la contradiction que révélait le rapprochement des stipulations du règlement de copropriété et des termes de la renonciation incluse dans le contrat de vente du 3 avril 1964 et sur la validité de laquelle les décisions ayant ordonné la régularisation authentique de cette vente ne s'étaient pas prononcées, le notaire aurait dû alerter Mme ... du risque de difficultés et de remise en cause du droit de jouissance dont elle se rendait acquéreur qui résultait de cette contradiction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.