Jurisprudence : CA Lyon, 06-02-2024, n° 22/02785, Infirmation


N° RG 22/02785 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OHXK


Décision du

Tribunal Judiciaire de Lyon

Au fond

du 22 mars 2022


RG : 19/02349

Ch 4


Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE HAUTE-SAVOI E


C/


S.A. DALKIA

S.A. HLM LE MONT BLANC


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


1ère chambre civile B


ARRET DU 06 Février 2024



APPELANTE :


CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE HAUTE-SAVOI E

[Adresse 1]

[Localité 4]


Représentée par Me Yves PHILIP DE LABORIE de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T.566


INTIMEES :


S.A. DALKIA

[Adresse 2]

[Localité 3]


Représentée par Me François CHARPIN de la SELARL QG AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 748


S.A. HLM LE MONT BLANC

[Adresse 5]

[Localité 4]


Représentée par Me Jean-françois JULLIEN de la SELARL LEGI RHONE ALPES, avocat au barreau de LYON, toque : 103

ayant pour avocat plaidant Me Sandrine COLLIN, avocat au barreau d'ANNECY, toque : 11


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 19 Janvier 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 Octobre 2023


Date de mise à disposition : 06 Février 2024


Audience présidée par Stéphanie LEMOINE, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Julien MIGNOT, greffier.



Composition de la Cour lors du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * * *



EXPOSE DU LITIGE


La société Soradec, devenue la société Dalkia, s'est vue attribuer la maintenance et l'exploitation de la chaudière au gaz fournissant les appartements de l'immeuble HLM « Les Genêts » à[Localité 6]).


Alors qu'elle intervenait le 16 janvier 2014, une fuite de la chaudière a nécessité l'hospitalisation de plusieurs résidents de l'immeuble pour des intoxications au monoxyde de carbone.


La Caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie (la CPAM) leur ayant versé diverses prestations pour un montant total de 8 606,34 euros, elle a fait assigner les sociétés Dalkia et HLM Mont Blanc afin d'obtenir le paiement de la somme de 8 606,34 euros, outre les indemnités forfaitaires de gestion d'un montant total de 2 868,75 euros.



Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a déclaré l'action de la CPAM irrecevable comme étant prescrite et l'a condamnée à payer à chacune des sociétés la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



Par déclaration du 14 avril 2022, la CPAM a relevé appel du jugement.


Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2022, la CPAM demande à la cour de:

- accueillir comme recevable, juste et bien fondée sa demande,

- dire et juger que les sociétés Dalkia et HLM Mont Blanc sont entièrement responsables des conséquences dommageables de l'accident survenu le 16 janvier 2014 à [Localité 6] (Haute-Savoie),

En conséquence,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré irrecevable son action, l'a condamnée à prendre en charge les entiers dépens de l'instance et à verser à la SA HLM Mont Blanc et à la SA Dalkia une somme de 2 000 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant de nouveau :

- débouter les sociétés Dalkia et HLM Mont Blanc de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum les sociétés Dalkia et HLM Mont Blanc à verser les sommes suivantes :

- au titre des prestations servies à ses assurés 8 606,34 €, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 08 mars 2014

- au titre des indemnités forfaitaires de gestion 2 868,75 €

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner tout succombant à lui verser la somme de 2 000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


- condamner tout succombant aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de

la selarl BDL avocats, représentée par Me de Aa.


Par conclusions notifiées le 5 octobre 2022, la SA Mont-Blanc demande à la cour de:

- adjuger le bénéfice intégral des fins des présentes conclusions et en conséquence:

1°) confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Lyon,

Si la cour réformait le jugement entrepris et déclarait l'action de la CPAM recevable,

2°) à titre subsidiaire, dire et juger qu'elle n'est pas responsable de l'incident survenu le 16 janvier 2014, sur le fondement de l'article 1242 alinéa 1 du code civil🏛, dès lors qu'elle avait transféré la garde de la chaudière à la société SORADEC, aux droits de laquelle vient la société Dalkia,

3°) à titre très subsidiaire, dire et juger qu'elle sera relevée et garantie de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre par la société Dalkia, en sa qualité de titulaire du contrat d'entretien,

4°) condamner la CPAM à lui payer la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

5°) condamner la CPAM aux entiers dépens, dont ceux d'appel, ces derniers distraits au profit de Me Jullien, avocat au barreau de Lyon, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Par conclusions notifiées le 1er septembre 2022, la société Dalkia demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise et dire et juger prescrite l'action engagée par la CPAM

A titre subsidiaire

- rejeter les demandes faites par la CPAM,

- rejeter la demande de garantie présentée par la société Mont Blanc,

- condamner la CPAM à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la CPAM aux entiers dépens.


La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 19 janvier 2023.


Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées en application de l'article 455 du code de procédure civile🏛.



MOTIFS DE LA DECISION


1. Sur la prescription de l'action


La société Dalkia et la société Mont-Blanc soutiennent que l'action est prescrite. Elles font notamment valoir qu'en application de l'article 2224 du code civil🏛 les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, de sorte que la demande en remboursement des prestations qu'elle a servies, formée par assignation du 11 mars 2019, soit plus de cinq ans après les faits ayant eu lieu le 16 janvier 2014, est prescrite.


La CPAM soutient qu'elle exerce une action subrogatoire, qui l'investit de la créance primitive et de ses accessoires lui permettant de bénéficier du même régime de prescription que les assurés sociaux. Elle en déduit que les assurés ayant subi un préjudice corporel, leur action, dans laquelle elle a été subrogée, est soumise à la prescription décennale prévue à l'article 2226 du code civil🏛.


Réponse de la cour


Aux termes de l'article 2226, alinéa 1, du code civil, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime

directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter

de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.


L'action subrogatoire en remboursement des prestations versées à la victime par un organisme de sécurité sociale est soumise à la même règle.


En conséquence, la demande en remboursement des prestations par la CPAM formée par voie d'assignation du 11 mars 2019, soit moins de dix ans après qu'elles aient été servies, le 16 janvier 2014, est recevable.


Le jugement est donc infirmé.


2. Sur la responsabilité de la société Dalkia


La CPAM soutient que la société Dalkia a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil🏛. Elle fait notamment valoir que:

- le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage,

- en vertu d'un contrat conclu avec la société Mont-Blanc, elle entretenait et exploitait la chaudière de l'immeuble et devait à ce titre réaliser des travaux d'entretien périodiques, ainsi que des interventions de surveillance portant sur les appareils de sécurité de l'installation,

- or, l'intoxication au monoxyde de carbone des résidents de l'immeuble provient d'une fuite de la chaudière,

- la société Dalkia qui avait pour obligation d'entretenir la chaudière et d'en assurer l'étanchéité intervenait sur celle-ci au moment de l'intoxication,

- elle a commis une faute délictuelle en permettant la survenance d'une fuite, à l'origine du préjudice corporel subi par les victimes.


La société Dalkia fait notamment valoir que:

- la preuve d'un manquement contractuel apportée par un tiers est une condition nécessaire mais insuffisante pour engager la responsabilité extra contractuelle de l'auteur de ce manquement, faute pour le tiers d'établir que ce manquement constitue également une faute délictuelle,

- son contrat impose des visites d'entretien et une surveillance périodiques, de sorte qu'elle n'a pas à être de façon continue sur les lieux,

- la preuve n'est pas rapportée que la fuite du fuel est due à un défaut d'entretien de la chaudière,

- la fuite de fioul s'est produite à l'extérieur et aurait pour origine un défaut de conception, ce qui ne lui est pas imputable,

- il n'est pas démontré qu'elle a commis une faute,

- il n'y a aucun lien entre une intoxication au monoxyde de carnone et une fuite de fioul à l'extérieur du bâtiment.


Réponse de la cour


Il résulte de l'article 1240 du code civil que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement constitue à son égard une faute délictuelle et lui a causé un dommage.


En l'espèce, selon le contrat d'entretien et d'exploitation signé le 14 juin 2010 entre la société Mont-Blanc et la société Soradec, devenue la société Dalkia, cette dernière devait réaliser des travaux d'entretien périodiques et des interventions de surveillance dans l'immeuble « Les genêts » portant, notamment, sur l'étanchéité et les appareils de sécurité de l'installation (articles 2.6 et 2.9 chapitre du cahier des clauses particulières).


Le 16 janvier 2014, alors qu'un employé de la société Dalkia entretenait la chaudière de l'immeuble, les sapeurs-pompiers ont dû intervenir suite à une odeur suspecte. Dans leur compte-rendu, ils ont indiqué que suite au dégagement de monoxyde de carbone et à une légère pollution de fuel dus à la chaudière défectueuse, 21 personnes ont présenté des symptômes d'une intoxication au monoxyde de carbone et ont dû être hospitalisées.


Il résulte de ces éléments qu'alors que le professionnel qualifié procédait à l'entretien de la chaudière et était, à ce titre, tenu de mesurer le monoxyde de carbone qui était susceptible de s'en échapper, il a commis une faute délictuelle en laissant ce gaz se diffuser dans l'immeuble alors qu'il était encore sur place au moment de l'incident, ainsi qu'il résulte du compte-rendu des sapeurs pompiers.


Par ailleurs, il est constant que l'hospitalisation des 21 personnes résidant dans l'immeuble a pour origine la fuite du monoxyde de carbone, de sorte que le lien de causalité entre la faute et le préjudice est établi.


En conséquence, la société Dalkia est responsable du préjudice subi par les victimes de l'intoxication.


Selon l'attestation d'imputabilité établie par M. [Ab], médecin conseil chargé du recours contre les tiers, les prestations portées sur les relevés de débours établis par la CPAM sont directement en rapport avec cet accident et s'élèvent à la somme totale de 8 606,34 euros.


Il convient donc de condamner la société Dalkia à payer cette somme à la CPAM en remboursement des prestations qu'elle a servies, outre intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2016, date de réception de la mise en demeure de payer.


Par ailleurs, en application de l'article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale🏛,

en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement des débours avancés, la caisse d'assurance maladie recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable, dont le montant est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu.


En conséquence, il convient de faire droit à la demande de la CPAM de condamner la société Dalkia à lui payer, en outre, la somme de 2 868,75 euros au titre des indemnités forfaitaires de gestion, outre intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2016.


Enfin, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, qui est de droit lorsqu'elle est demandée.


3. Sur la responsabilité de la société Mont-Blanc


La CPAM soutient que la société Mont-Blanc, qui est propriétaire de la chaudière défectueuse, est responsable du dommage causé aux victimes en sa qualité de gardien de la chose.


La société Mont-Blanc qui fait valoir que si le propriétaire est présumé gardien, il peut renverser cette présomption, indique qu'elle a transféré la garde de la chaudière à la société Dalkia en lui confiant son entretien, d'autant que le dommage est intervenu concomitamment à son intervention.


La société Dalkia soutient que la garde de la chaudière ne lui a pas été transférée du fait du contrat d'entretien, celle-ci ne pouvant être responsable des dommages qu'à l'occasion des opérations d'entretien qui sont ponctuelles.


Réponse de la cour


Il ressort du rapport des sapeurs-pompiers qu'ils ont été appelés et sont intervenus alors que M. [C], employé de la société Dalkia, était encore sur les lieux, de sorte qu'il est établi que la fuite de monoxyde de carbone est survenue alors que la société Dalkia procédait à l'entretien de la chaudière.


Ainsi, en confiant l'entretien de la chaudière à la société Dalkia, la société Mont-Blanc a transféré sa garde à la première, laquelle reconnaît d'ailleurs être assurée pour les dommages dont elle serait à l'origine à l'occasion des opérations d'entretien.


En conséquence, il convient de débouter la CPAM de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Mont-Blanc.


4. Sur les autres demandes


Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.


La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la CPAM et de la société Mont-Blanc et condamne, d'une part, la société Dalkia à payer à la CPAM la somme 2 000 euros à ce titre et, d'autre part, la CPAM à payer à la société Mont-Blanc, la somme de 2 000 euros à ce titre.


Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la société Dalkia.



PAR CES MOTIFS

LA COUR,


Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;


statuant de nouveau et y ajoutant,


Déclare l'action de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie recevable,


Condamne la société Dalkia à payer la somme de 8 606,34 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie, outre intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2016;


Condamne la société Dalkia à payer la somme de 2 868,75 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie, outre intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2016;


Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière;


Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie de ses demandes à l'égard de la société Mont-Blanc;


Condamne la société Dalkia à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;


Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie à payer à la société d'HLM Mont-Blanc, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;


Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;


Condamne la société Dalkia aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.


Le greffier, Le Président,

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