DÉBATS : en application des dispositions des
articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile🏛🏛🏛, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Septembre 2022 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Mélanie CABAL, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 29 Novembre 2022.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 29 Novembre 2022.
Greffier : Mme Véronique FONTAINE,
LA COUR
Par acte authentique dressé le 29 décembre 2010 par Maître [T] [Z], Notaire associé de la SCP alors dénommée [L] [Y], [J] [M], [A] [V] et [T] [Z], Monsieur [N] [G] a prêté la somme de 400.000 euros à la société [P] [I] INVESTISSEMENTS. Ce prêt a pris la forme d'une reconnaissance de dette de la part de Monsieur [P] [I], en sa qualité de dirigeant de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS. Cet acte comportait également un cautionnement personnel et solidaire consenti par Monsieur [P] [I], à titre personnel, en faveur de Monsieur [Aa] [G].
Par jugement rendu le 22 mai 2019, le tribunal mixte de commerce de SAINT-DENIS a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, désignant la SELARL [D] en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement rendu le 7 novembre 2019, la société CBF ASSOCIES (CAVIGLIOLI-BARON-FOURQUIE) a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance.
Par courrier du 15 juillet 2019, Monsieur [G] a déclaré entre les mains de la SELARL [D] ès-qualités sa créance au passif de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS pour un montant en principal de 1.407.150,52 euros.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 19 novembre 2019, reçue par le 10 décembre
2019 par le conseil de Monsieur [G], la SELARL [D], ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS a notifié sa proposition de rejet de la créance déclarée par le requérant, aux motifs que la créance serait prescrite.
Par jugement du 16 décembre 2020, le tribunal mixte de commerce de SAINT DENIS DE LA REUNION a prononcé la liquidation judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, désignant la SELARL [D] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS.
Par ordonnance du 26 novembre 2020, le juge-commissaire au redressement judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, après avoir constaté l'existence d'une contestation sérieuse, s'est déclaré incompétent pour statuer sur la contestation de la créance de Monsieur [G] et a invité Monsieur [G] à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance et ce, à peine de forclusion.
Par assignation en date du 28 février 2020, M. [N] [G] a cité M. [P] [I], la SELARL [D], ès qualité de mandataire judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENT, la société CBF associé, ès qualité d'administrateur de la société [P] [I] INVESTISSEMENT, et la société [A] [V], [T] [Z], [S] [B] et [F] [R], notaires associés, à comparaître devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins de voir :
- à titre principal : admettre la créance de M. [N] [G] d'un montant de 1 407 150,52 euros déclarée le 15 juillet 2019 au passif de la société [P] [I] INVESTISSEEMNT, de condamner M. [P] [I] à régler la somme en principal de 1 407 150,52 euros à Monsieur [Aa] [G], assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter de la date de l'assignation et, subsidiairement, de condamner la SCP notariale à régler les mêmes sommes.
Suivant conclusions d'incident du 9 octobre 2020, Monsieur [P] [I] a demandé au juge de la mise en état:
- de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge commissaire qui n'était alors pas rendue ;
- subsidiairement, de déclarer l'action à l'encontre de M. [P] [I] irrecevable en application du principe de suspension des poursuites contre les personnes physiques coobligées pendant le redressement judiciaire au visa des dispositions de l'
article L. 622-28 du code de commerce🏛 applicables au redressement judiciaire en application de l'article L. 631-14 du même code) ;
- plus subsidiairement, de déclarer l'action prescrite en l'absence d'actes interruptifs du 29 décembre 2011 au 30 décembre 2016.
Par ordonnance du 26 octobre 2021, le juge de la mise en état a statué en ces termes :
CONSTATONS que M. [P] [I] ne sollicite plus de sursis à statuer,
CONSTATONS que M. [P] [I] ne se prévaut plus de la suspension des poursuites suite à la liquidation de la société JMI faisant disparaître la cause d'irrecevabilité alléguée,
DECLARONS irrecevable comme prescrite l'action de M. [Ab] contre M. [P] [I] et la société JMI, prise en la personne de son liquidateur, la SELARL [D],
METTONS en conséquence hors de cause dans la présente instance M. [P] [I] et la société JMI prise en la personne de son liquidateur,
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action à l'encontre de la SAS [V]/[Z]/[B]/[R],
RENVOYONS, pour les seules parties encore en la cause, l'affaire à la mise en état électronique du 13 décembre 2021 ; (')
CONDAMNONS M. [G] à payer à M. [P] [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
DISONS n'y avoir voir à condamnation de la SAS [A] [V]- [T] [Z]-[S] [B]- [F] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de l'incident,
CONDAMNONS M. [G] aux dépens de l'incident.
Par déclaration remise par RPVA au greffe de la cour le 12 novembre 2021, Monsieur [N] [G] a formé appel de l'ordonnance, enregistrée sous les références RG-21-1952.
Un avis fixant l'affaire à bref délai a été adressée aux parties le 18 janvier 2022.
L'appelant a signifié la déclaration d'appel, l'avis de fixation à bref délai et ses premières conclusions d'appel, aux intimés par actes d'huissier délivrés les 26 et 28 janvier 2022.
La SAS [A] [V]- [T] [Z]-[S] [B]- [F] [R] a formé appel par déclaration remise par RPVA au greffe de la cour le 25 novembre 2021, enregistrée sous les références RG-21-2005.
Un avis fixant l'affaire à bref délai a été adressée aux parties le 18 janvier 2022.
L'appelante a signifié la déclaration d'appel aux intimés avant l'avis de fixation à bref délai.
La jonction des deux procédures a été ordonnée le 19 avril 2022.
La SELARL [D], ès qualité de liquidateur de la SARL [P] [I] n'a pas constitué avocat.
L'affaire a été examinée à l'audience du 20 septembre 2022, jour de la clôture.
***
Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant N° 2, remises par RPVA le 2 septembre 2022, Monsieur [N] [G] demande à la cour de :
INFIRMER l'ordonnance rendue le 26 octobre 2021 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de SAINT DENIS DE LA REUNION en ce qu'elle a statué ainsi qu'il suit :
" DECLARONS irrecevable comme prescrite l'action de M. [Ab] contre M. [P] [I] et la société JMI, prise en la personne de son liquidateur, la SELARL [D],
METTONS en conséquence hors de cause dans la présente instance M. [P] [I] et la société JMI, prise en la personne de son liquidateur,
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action à l'encontre de la SAS [V]/[Z]/[B]/[R],
CONDAMNONS M. [Ab] à payer à M. [P] [I] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile"
CONFIRMER l'ordonnance rendue le 26 octobre 2021 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de SAINT DENIS DE LA REUNION en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action à l'encontre de la SAS [A] [V], [T] [Z], [S] [B] & [F] [R],
En conséquence,
DEBOUTER la SAS [A] [V], [T] [Z], [S] [B] & [F] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins, et prétentions,
Statuant à nouveau, sur les chefs de dispositif infirmés de l'ordonnance entreprise :
DEBOUTER Monsieur [P] [I] et la société [P] [I] INVESTISSEMENTS de l'ensemble de leurs demandes, fins, et prétentions,
DECLARER Monsieur [N] [G] recevable en son action à l'encontre de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, de la SELARL [D] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS et de Monsieur [P] [I],
En tant que de besoin,
RENVOYER l'examen de l'affaire devant le tribunal judiciaire de SAINT DENIS DE LA REUNION à telle audience de mise en état qu'il plaira au Juge de la mise en état de fixer,
Y ajoutant :
CONDAMNER la SAS [A] [V], [T] [Z], [S] [B] & [F] [R] à régler la somme de 5.000 € à Monsieur [Aa] [G] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNER Monsieur [P] [I] à régler la somme de 3.000€ à Monsieur [Aa] [G] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER in solidum la SAS [A] [V], [T] [Z], [S] [B] & [F] [R] et Monsieur [P] [I] aux entiers dépens de l'instance, dont ceux distraits au profit de Maître Isabelle MERCIER BARRACO, avocat à la Cour, par application des dispositions de l'
article 699 du code de procédure civile🏛.
Pour s'opposer à la prescription retenue par le juge de la mise en état, Monsieur [N] [G] fait valoir que la société [P] [I] INVESTISSEMENTS n'a jamais cessé, depuis l'échéance du prêt, de lui promettre de le rembourser rapidement, promesse qui n'a jamais été tenue, notamment en présence de Maître [T] [Z], ce qui n'a jamais été contesté par Monsieur [P] [I]. La reconnaissance de la créance de Monsieur [N] [G] et la renonciation à se prévaloir de la prescription de celle-ci de la part de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS et de Monsieur [Ac] résultent sans équivoque de deux séries distinctes d'éléments selon l'appelant :
1/ la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, représentée par son gérant Monsieur [I], s'est reconnue spontanément débitrice de Monsieur [G] lorsque la liste des créanciers de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, valant déclaration, a été établie (Pièce n° 9 : Liste des créanciers remises à la SELARL [D] ès-qualités par Monsieur [P] [I]). Monsieur [G] affirme qu'il s'agit non seulement d'une reconnaissance de dette mais même d'un aveu judiciaire.
2/ Monsieur [P] [I] a reconnu à plusieurs reprises le droit de créance de Monsieur [G] à l'égard de la société [P] [I] et à son égard, ainsi qu'il résulte des échanges de SMS intervenus postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS et dans un temps proche de la remise de la liste des créanciers à la SELARL [D] ès-qualités. Monsieur [Ac] et la société [P] [I] INVESTISSEMENTS ont donc confirmé leur renonciation à se prévaloir de la prescription de la créance de Monsieur [Ab]. Contrairement à ce qu'a retenu l'ordonnance entreprise, c'est donc en toute connaissance de cause et après avoir requis l'assistance de leur Conseil que Monsieur [Ac] et la société [P] [I] INVESTISSEMENTS ont renoncé à se prévaloir de la prescription de la créance de Monsieur [Ab], avant de finalement se raviser, par pur opportunisme.
En ce qui concerne l'action en responsabilité du notaire, Monsieur [G] plaide que la prescription commence à courir à compter de la manifestation du dommage.
Il précise que ses demandes formées à l'égard de la SAS [V], [T], [Z] [S], [B] & [F] [R] l'ont été à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la créance de Monsieur [N] [G] à l'égard de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS devrait être déclarée prescrite et ne pourrait en conséquence ni faire l'objet d'une fixation au passif de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, ni être remboursée par Monsieur [Ac] en sa qualité de caution.
Selon l'appelant, le dommage causé à Monsieur [G] du fait du manquement au devoir absolu de conseil de la SAS [V], [T], [Z] [S], [B] & [F] [R], pour ne pas l'avoir informé du risque de prescription de son action, se réaliserait donc à compter de la décision qui déclarerait irrecevable l'action de Monsieur [G] à l'égard de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS et dAc Monsieur [I].
***
Par conclusions d'intimé N° 2 récapitulatives, remises au greffe par RPVA le 15 septembre 2022, Monsieur [P] [I] demande à la cour de:
CONFIRMER l'ordonnance rendue le 26 octobre 2021 par le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de SAINT-DENIS en ce qu'elle a :
- Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de Monsieur [Aa] [G] contre
Monsieur [P] [I] ;
- Mis en conséquence hors de cause Monsieur [P] [I] ;
- Condamné Monsieur [G] à payer à Monsieur [P] [I] la somme de
2.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident.
En tout état de cause :
CONDAMNER Monsieur [N] [G] à payer à Monsieur [P] [I] la somme de 3.500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Monsieur [I] réplique que c'est par une exacte appréciation des faits de l'espèce que le juge de la mise en état a considéré que la liste des créances remise à la SELARL [D] par le représentant légal de la SARL JMI et les différents échanges de sms intervenus entre l'appelant et le concluant ne peuvent être considérés comme une renonciation à se prévaloir d'une prescription.
L'intimé rappelle que la prescription qui est acquise au débiteur principal a pour conséquence d'éteindre le cautionnement.
Invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation, il soutient que, pour exister, la renonciation doit être faite par le débiteur en toute connaissance des conditions de la prescription et elle ne peut résulter que d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis mais qu'il appartient au créancier d'apporter la preuve de la volonté non équivoque du débiteur à se prévaloir de la prescription. Mais en l'espèce, selon Monsieur [Ac], le seul acte interruptif de prescription résulte de la déclaration de créance adressée à la SELARL [D] le 16 juillet 2019, soit 2 ans et 7 mois après l'expiration du délai de prescription du 30 décembre 2016. Or, la prescription de la créance de Monsieur [N] [G] à l'encontre de la SARL JMI a eu pour conséquence d'éteindre le cautionnement. Monsieur [I] affirme que la liste des créances remise à la SELARL [D] par le représentant légal de la SARL JMI et les échanges de sms intervenus entre Monsieur [Aa] [G] et Monsieur [P] [I] ne peuvent pas être considérés comme une reconnaissance de dette ni la renonciation à se prévaloir de la prescription.
***
Par dernières conclusions d'appelante récapitulatives remises au greffe par RPVA le 9 septembre 2022, la SAS [A] [V], [T] [Z], [S] [B] & [F] [R] demande à la cour de :
INFIRMER l'ordonnance rendue le 26 octobre 2021 par le Juge de la mise en état du Tribunal
Judiciaire de SAINT DENIS (Réunion) en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action soulevée par la SAS [A] [V] [T] [Z] [S]
[B] et [F] [R].
DECLARER l'appel de la SAS [A] [V] [T] [Z] [S] [B] et [F] [R] recevable et bienfondé, et y faisant droit :
DECLARER l'action de Monsieur [N] [G] prescrite à l'encontre de la SAS [A] [V] [T] [Z] [S] [B] et [F] [R].
CONDAMNER Monsieur [N] [G] à payer au notaire concluant la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Monsieur [N] [G] aux entiers dépens.
La SAS [A] [V] [T] [Z] [S] [B] et [F] [R] soutient que l'action de Monsieur [N] [G] à son encontre est prescrite. Selon elle, le délai de prescription de l'action en responsabilité du notaire a commencé à courir à compter du 29 décembre 2011, date à laquelle la société [P] [I] INVESTISSEMENTS devait rembourser au prêteur la somme de 400.000 euros, ce non-remboursement constituant les faits lui permettant d'exercer l'action au sens des dispositions de l'
article 2224 du code civil🏛.
***
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'incident :
L'article 789-6° du code de procédure civile, modifié par le
décret N° 2019-1333 du 11 décembre 2019🏛, dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
Ce texte est applicable aux instances introduites à partir du 1er janvier 2020, ce qui est le cas en l'espèce.
Aux termes de l'
article 122 du même code🏛, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'incident présenté devant le juge de la mise en état est donc recevable.
Sur la prescription de l'action de Monsieur [N] [G] à l'encontre de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS et de Monsieur [Ac] :
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Selon l'article 2240 du même code, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Selon les
articles 2250 et 2251 du même code🏛🏛, seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.
La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.
La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
Il résulte de l'acte authentique dressé le 29 décembre 2010 que la société [P] [I] INVESTISSEMENTS devait rembourser le prêt consenti par Monsieur [Ab] avant le 29 décembre 2011.
Le délai de la prescription expirait le 29 décembre 2016 puisque Monsieur [Ab] savait dès le 30 décembre 2011 que le prêt n'était pas remboursé par la société [P] [I] INVESTISSEMENTS. Mais, Monsieur [G] affirme que la prescription ne peut plus lui être opposée par Monsieur [I] car il a renoncé à s'en prévaloir.
La cour observe que Monsieur [G] ne distingue pas la qualité de Monsieur [I] en considérant que la renonciation alléguée a été faite en qualité de représentant de la société [P] [I] IVESTISSEMENT.
Sur la déclaration de créance : Pour établir la renonciation de Monsieur [I], ès qualité de président de la société [P] [I] INVESTISSEMENT, Monsieur [Ab] verse aux débats le document de remise de la liste des créances adressée par Monsieur [P] [I] au mandataire judiciaire de la procédure collective, en date du 11 juin 2019, valant déclaration selon ce document. Il y figure bien le nom de Monsieur [Aa] [G] sans précision du montant échu ou à échoir.
En application de l'
article L. 622-6 du code de commerce🏛, et à peine de sanctions personnelles prévues par le même code (L. 653-8), le débiteur doit remettre à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours dans les huit jours suivant le jugement d'ouverture (R. 622-5 du code de commerce).
Le seul fait de déclarer une créance au mandataire judiciaire dans ce cadre ne signifie donc pas que le débiteur renonce à tous ses droits. En effet, il lui est possible de les contester après les avoir déclarées, ce qui est d'ailleurs le cas en l'espèce comme l'a justement relevé le premier juge. Cette remise de la liste des créanciers par le débiteur a pour but de permettre la réalisation complète de l'inventaire de son patrimoine. Elle a pour conséquence de faire présumer de la déclaration par chacun de ceux-ci de sa créance, telle qu'elle est indiquée par le débiteur.
A cet égard, il y a lieu de souligner que le mandataire judiciaire a contesté lui-même le bienfondé de la créance déclarée et alléguée par Monsieur [Ab], ce qui a conduit le juge commissaire, par ordonnance en date du 26 novembre 2020, à faire application de l'
article R. 624-5 du code de commerce🏛 en invitant les parties à saisir la juridiction compétente.
Dans l'instance en vérification de créances, la société [P] [I] INVESTISSEMENT a d'ailleurs opposé la prescription de la créance alléguée par MonsAbeur [G].
Ainsi, compte tenu des effets juridiques limités de la remise par le débiteur de la liste des créanciers, de la contestation de créance soulevée par le représentant des créanciers puis soutenue par Monsieur [Ac] assisté alors par un administrateur judiciaire désigné le 7 novembre 2019, Monsieur [Ab] est mal fondé à soutenir que la seule remise de la liste des créanciers à la SELARL [D], le 11 juin 2019, constitue une renonciation non équivoque à se prévaloir du bénéfice de la prescription au sens des articles 2250 et 2251 du code civil.
Sur les messages SMS : L'appelant produit en outre un procès-verbal de constat d'huissier selon lequel, Monsieur [G] lui a demandé de constater la teneur des échanges par SMS figurant sur son téléphone mobile, permettant d'établir que la SAS [P] [I] INVESTISSEMENT, par la représentation de son président, Monsieur [P] [I], a tacitement renoncé à la prescription de l'obligation de paiement du prêt consenti le 29 décembre 2010.
Cependant, si l'huissier de justice a bien photographié les messages apparaissant à l'écran de l'appareil téléphonique de Monsieur [G], ceux-ci ne sont pas retranscrits et sont illisibles sur les photographies tandis que leur date n'est pas perceptible.
Néanmoins, Monsieur [Ac] ne conteste pas la matérialité de ces messages mais plaide qu'ils ne peuvent valoir renonciation à se prévaloir du bénéfice de la prescription, s'agissant seulement de pourparlers sur une éventuelle transaction sans aucun engagement.
A cet égard, la reprise d'une partie de ces messages dans les conclusions de Monsieur [G] (pages 15 et 16), confirme qu'à compter du 25 juin 2019, Monsieur [Ac] n'a cessé de prendre attache avec Monsieur [G] afin de convenir des modalités de règlement amiables de la créance comme suit :
" jeu. 25 juin 2019 à 14.51 : Salut plus de nouvelles - [N] ' Je sors de chez mandataire. [N] mettons nous en Place notre protocole.. '' Envoie moi une proposition. Correcte pour les deux Parties. Et on avance. "
Puis, " .. '' C'est toi qui m'a dit que tu devais calculer - Faire un retour tu veux que je te propose un montant c'est ça '' " Réponse : " Oui "
" Ok allons prendre un Kfe - Coze alors "
Puis plus tard :
" Ont été total en accord - Et la plus d'échanges " Réponse : " Je n'ai pas de voix ".
Puis, " [N] peut passer demain Pour te donner le montant ' " Réponse : " Si ça va mieux demain je t'appelle ".
Puis, " Ok, comme ça nous cale le montant et nous fait signer par l'avocat ".
Le lundi 19 août, Monsieur [Ac] a de nouveau appelé : " Salut [N] - Plus de news alors ' " - Réponse de Monsieur [G] : " Bonjour envoie moi une proposition correcte ".
Et puis Monsieur [Ac] a écrit : " Salut [N] - C'est quoi correct.. ''' Pour toi.. !! merci' sur les 400 de départ dis-moi tu préfères pas qu'on en Parle direct.. '' "
Ainsi, le texte de ces messages tels que reproduits par l'appelant, n'établissent pas que Monsieur [I], pour le compte de la société [P] [I] INVESTISSEMENT, ou pour lui-même, aurait tacitement renoncé à se prévaloir du bénéfice de la prescription alors que ces messages ne révèlent que des tentatives de règlement amiable qui n'ont pas abouti.
De surcroît, par l'effet du jugement du 22 mai 2019, par lequel le tribunal mixte de commerce de SAINT-DENIS avait ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [P] [I] INVESTISSEMENTS, Monsieur [P] [I], ès qualité de président de la SAS [P] [I] non encore dessaisi de l'administration de la société, ne disposait plus de la possibilité de payer la moindre somme à Monsieur [G] pour le compte de cette société en application de l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛, prévoyant que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.
En conséquence, le premier juge a parfaitement analysé les pièces versées aux débats pour retenir que l'action dirigée contre la SAS [P] [I] INVESTISSEMENT était prescrite à la date de la déclaration de créance entre les mains du représentant des créanciers le 15 juillet 2019.
Compte tenu de la prescription de l'action à l'encontre du débiteur principal, celle dirigée contre la caution l'est également.
L'ordonnance querellée doit être infirmée de ce chef.
Sur la prescription de l'action de Monsieur [N] [G] à l'encontre de la société de notaires :
Vu l'article 2224 du code civil ;
Monsieur [G] démontre que le dommage allégué à la suite de l'acte authentique de prêt dressé le 31 décembre 2010 est apparu à la suite de l'allégation de prescription de l'action en déclaration de créance dans la procédure collective de la SAS [P] [I] INVESTISSEMENT et de l'action concomitante en paiement dirigée contre Monsieur [P] [I] en qualité de caution.
En effet, sa demande dirigée contre le rédacteur de l'acte est constituée par l'apparition du dommage qu'il aurait subi à raison de cette prescription dont il impute la responsabilité à un manquement à son devoir de conseil.
S'il résulte de cette procédure que la prescription est acquise au bénéfice de la SAS [P] [I] INVESTISSEMENT, désormais liquidée, et de Monsieur [P] [I] à titre personnel, il est constant que ce dommage n'est pas apparu plus de cinq ans avant l'introduction de l'instance, s'agissant d'une demande subsidiaire à l'encontre de la SAS [A] [V]- [T] [Z]-[S] [B]- [F] [R].
Monsieur [G] reproche au notaire, rédacteur de l'acte de ne pas avoir accompli son devoir absolu de conseil en s'abstenant d'attirer l'attention de Monsieur [G] sur le risque de prescription de sa créance à l'expiration du délai quinquennal de droit commun, ce qui n'est pas contesté.
Cependant, l'acte dressé le 31 décembre 2010 est seulement constitutif d'un prêt, d'un cautionnement, contenant engagement de l'emprunteur de solder sa dette un an après l'acte au plus tard, soit avant le 31 décembre 2011.
Monsieur [Ab] savait dès le 1er janvier 2012 que la SAS [P] [I] INVESTISSEMENT n'avait pas payé sa dette.
Ainsi, le dommage est apparu dès cette date car il n'est nullement démontré par Monsieur [N] [G] que le rédacteur de l'acte aurait été tenu en outre à un devoir d'information et de conseil postérieurement au 31 décembre 2010 et encore moins dans l'hypothèse du non-remboursement du prêt un an plus tard, alors que le notaire est seulement responsable d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse et, le cas échéant d'apporter son conseil aux parties.
En l'espèce, le notaire ne peut être recherché à raison des conséquences du contrat de prêt régularisé par l'acte authentique alors que Monsieur [Ab] ne démontre pas avoir saisi le même notaire après le 31 décembre 2011, date d'exigibilité du solde du prêt consenti un an auparavant.
Ainsi, le délai de prescription de l'action en responsabilité du notaire a expiré cinq ans après le 31 décembre 2011, soit le 31 décembre 2016.
L'action de Monsieur [G] à l'encontre de la SAS [A] [V]- [T] [Z]-[S] [B]- [F] [R] doit aussi être déclarée prescrite.
L'ordonnance querellée sera confirmée de ce chef.
Sur les autres demandes :
Monsieur [N] [G] supportera les dépens de première instance et d'appel.
Il sera condamné à payer à la SAS [A] [V]- [T] [Z]-[S] [B]- [F] [R] une indemnité au titre de ses frais irréptibles ainsi qu'à Monsieur [P] [I] en appel, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.