Jurisprudence : CA Paris, 4, 10, 21-12-2023, n° 20/16722, Infirmation


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 4 - Chambre 10


ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2023


(n° , 1 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/16722 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCVPR


Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2020 - Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/05694



APPELANTE


S.A.S. ARTCURIAL, elle-même représentée par ARTCURIAL SA, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 16]

[Localité 7]


Représentée et assistée à l'audience de Me Christian BREMOND de l'ASSOCIATION BREMOND VAISSE RAMBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R038


INTIMÉE


S.A.S. GRAND GARAGE DE LA DORDOGNE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 10]

[Localité 4]


Représentée par Me Yves REMOVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2546

Assistée par Me Guy DEDIEU de la SCP DEDIEU PEROTTO, avocat au barreau d'ARIEGE



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été plaidée le 09 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

Mme ANNE ZYSMAN, Conseillère


qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne ZYSMAN dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA


ARRÊT :


- contradictoire


- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


- signé par Florence PAPIN, Présidente, et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier présent lors du prononcé.


***



EXPOSE DU LITIGE


La société Artcurial, opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, a présenté un véhicule JEEP Grand Wagoneer, lors d'une vente aux enchères publiques « Automobiles sur les Champs 14 » en date du 4 novembre 2018.


Le véhicule n'a pas été vendu lors de cette vente aux enchères.


Après la vente, la société Grand Garage de la Dordogne, a pris contact avec la société Artcurial et s'est portée acquéreur de ce véhicule moyennant le prix de 45.000 euros.


Le 7 novembre 2018, M. [H] [P], président de la société Grand Garage de la Dordogne, s'est déplacé pour voir le véhicule dans les locaux de la société Artcurial, où il a rencontré M. [U] [Y], préposé de cette dernière.


Le 8 novembre 2018, M. [U] [Y] a transmis par courriel « le document d'achat du Jeep Grand Wagoneer » à M. [H] [P] et a sollicité que ce « document signé et accompagné de (sa) pièce d'identité » lui soit retourné.


Cela a été fait le jour même par retour de mail.


Le 10 novembre 2018, M. [H] [P] a reçu un courriel émanant de l'adresse [Courriel 9] comportant en pièce jointe la facture d'achat et indiquant les coordonnées bancaires du compte sur lequel effectuer le paiement par virement.


Le 12 novembre 2018, M. [P] a confirmé par SMS à M. [U] [Y] avoir effectué le virement « ce matin » (et en avoir fait parvenir une copie par mail), lui demandant à quel moment il pouvait venir chercher le véhicule à [Localité 7].


En l'absence de réception du paiement du prix du véhicule litigieux par le service comptable de la société Artcurial, des échanges téléphoniques ont eu lieu entre M. [U] [Y] et M. [H] [P] à l'issue desquels les parties sont parvenues à la conclusion que leurs boites mail avaient été piratées.


Le 16 novembre 2018, M. [U] [Y] a déposé une plainte contre X au nom de la société Artcurial pour escroquerie auprès du commissariat de police du [Localité 7].


Par courrier du 4 décembre 2018 adressé à M. [Aa], le conseil de la société Grand Garage de la Dordogne a sollicité auprès de la société Artcurial la livraison du véhicule, indiquant que l'origine du piratage provenait nécessairement de sa boîte mail et que nonobstant la plainte déposée par M. [P] pour ces faits, il n'entendait pas « subir les conséquences » de cette situation.


Par courrier officiel du 5 décembre 2018, le conseil de la société Artcurial lui a répondu qu'en application de l'article 1342-2 du code civil🏛, un paiement qui n'est pas fait à la personne du créancier ou à la personne désignée pour le recevoir n'est pas libératoire, qu'il appartenait à M. [Ab] de vérifier que le RIB au vu duquel il avait procédé au virement était bien celui d'Artcurial, que le fait que les échanges de mails soient susceptibles de piratage n'était pas de nature à constituer un cas de force majeure et qu'il appartenait en conséquence à M. [Ab] d'effectuer le paiement à Artcurial s'il souhaitait recevoir le véhicule acheté.


C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier du 9 avril 2019, la société Grand Garage de la Dordogne a fait assigner la société Artcurial devant le tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles L. 321-4 et suivants du code de commerce🏛, 1984 et suivants, 1342-2, 1342-3, 1240 et 1241 du code civil, pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, aux motifs que le paiement de 45.000 euros effectué de bonne foi le 12 novembre 2018 au bénéficiaire du RIB adressé par la société Artcurial est libératoire, que la société Artcurial est tenue, en qualité de mandataire du vendeur, de délivrer le véhicule vendu, qu'elle a manqué à ses obligations découlant du contrat de mandat et engage sa responsabilité du fait du piratage de son système informatique, que ces manquements constituent une faute délictuelle à son égard, lui ayant causé un préjudice actuel, certain et direct.



Par jugement du 3 novembre 2021, le tribunal devenu tribunal judiciaire de Paris a :


- Condamné la société Artcurial à payer à la société Grand Garage de la Dordogne la somme de 45 000 euros ;


- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;


- Condamné la société Artcurial à payer à la société Grand Garage de la Dordogne la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


- Condamné la société Artcurial aux dépens ;


- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.



Par déclaration du 19 novembre 2020, la société Artcurial a interjeté appel de ce jugement.


Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 août 2022, la société Artcurial demande à la cour de  :


Vu les conditions générales d'achat aux enchères publiques,

Vu les articles L321-5, L321-9, L 321-14 du code de commerce🏛🏛🏛,

Vu les articles L342-2 et 1342-3 du code civil🏛🏛,

Vu l'article 138 du code de procédure civile🏛,

Vu l'article 1353 du code civil🏛,

Vu les articles 1984 et suivants du code civil🏛,


- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;


- Juger la société Artcurial bien fondée en son appel ;


- Juger mal fondée, la société Grand Garage de la Dordogne en l'ensemble de ses demandes et prétentions ;


- Juger que le paiement de 45.000 euros effectué par la société Grand Garage de la Dordogne auprès d'un tiers étranger au créancier du prix de l'automobile ou de la personne désignée pour le recevoir n'est pas libératoire ;


- Juger que la société Grand Garage de la Dordogne ne peut se prévaloir d'un paiement de bonne foi auprès d'un créancier apparent ;


- Juger que la société Artcurial n'a commis aucun manquement, ni faute délictuelle à l'égard de la société Grand Garage de la Dordogne ;


- Juger que la société Artcurial n'était pas tenue, en qualité de mandataire du véhicule, de délivrer le véhicule n'ayant pas fait l'objet du paiement ;


- Débouter en conséquence la société Grand Garage de la Dordogne de toutes ses demandes fins et conclusions ;


- Condamner la société Grand Garage de la Dordogne à payer à la société Artcurial la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


- Condamner la société Grand Garage de la Dordogne aux dépens, lesquels pourront être recouvrés sans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile🏛 par Me Christian Brémond, avocat aux offres de droit.


Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 avril 2021, la société Grand Garage de la Dordogne demande à la cour de  :


Vu les articles L. 321-1 et suivants du code de commerce🏛,

Vu les articles 1984 et suivants du code civil,

Vu les articles 1342-2 et 1342-3 du code civil,

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil🏛🏛,

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,

Prenant droit de l'ensemble des éléments de la cause,


- Débouter la société Artcurial de l'intégralité de ses demandes ;


- Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;


- Condamner la société Artcurial à payer à la société Grand Garage de la Dordogne la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;


- La condamner aux entiers dépens.


La clôture a été prononcée le 6 septembre 2023.



MOTIFS DE LA DECISION


Les premiers juges ont retenu, au visa des articles 1342-2 et 1342-3 du code civil, que si le paiement opéré par la société Grand Garage de la Dordogne n'avait pas été fait au créancier du prix du véhicule, pour autant, il résultait des éléments du dossier et plus spécifiquement, du contenu, de la chronologie et du contexte des courriels produits par la société Grand Garage de la Dordogne qu'elle avait pu légitimement penser payer le prix au véritable créancier et que, raisonnablement, elle n'avait pas pu envisager que le mail contenant le RIB était frauduleux.


Ils ont notamment relevé que le véhicule litigieux n'était pas vendu directement par le propriétaire mais par l'intermédiaire d'un mandataire dans le cadre d'une vente de gré à gré après tentative d'adjudication aux enchères publiques régie par l'article L. 321-9, alinéa 3, du code de commerce, qu'il n'existait pas d'obligation légale de régler le prix entre les mains du mandataire dont la société Grand Garage de la Dordogne aurait dû avoir connaissance, celle-ci ayant pu valablement croire qu'elle s'acquittait du prix entre les mains du propriétaire qui avait mandaté la société Artcurial.


Ils ont donc considéré que le paiement opéré par la société Grand Garage de la Dordogne était libératoire et qu'il appartenait à la société Artcurial de lui livrer le véhicule, ce qu'elle n'était pas en mesure de faire pour l'avoir vendu ; qu'en ne se conformant pas à cette obligation contractuelle, elle commettait une faute justifiant qu'elle soit condamnée à payer la somme de 45.000 euros à la société Grand Garage de la Dordogne, ce d'autant qu'elle échouait à démontrer une faute de cette dernière s'agissant de la sécurité de son système informatique, les pièces produites étant insuffisantes pour établir qu'elle avait elle-même été victime d'un piratage informatique.


La société Artcurial sollicite l'infirmation du jugement et reproche au tribunal :

- d'avoir fait abstraction du mandat dont elle disposait, étant le seul interlocuteur de la société Grand Garage de la Dordogne et excluant que le paiement puisse être effectué à un tiers jamais intervenu dans le processus contractuel ;

- d'avoir fait reposer sur elle l'ensemble des vérifications d'usage au simple motif qu'elle est une maison de vente reconnue, à la « réputation bien établie » alors qu'elle n'était pas le débiteur et n'avait pas d'ordre de virement à donner, relevant à cet égard qu'un débiteur normalement diligent, d'autant plus quand il s'agit d'un service comptable professionnel, aurait dû être alerté par des éléments significatifs démontrant a minima une irrégularité voire une fraude s'agissant du libellé du RIB, lequel mentionnait un nom qui n'était pas celui d'Artcurial, contenait des fautes de frappe, ne mentionnait pas de formule de politesse et avait, en outre, été transmis un samedi à une heure tardive (23h09) ;

- d'avoir fait reposer sur elle seule une obligation de sécurité des systèmes d'information des entreprises alors qu'il est en l'état impossible de déterminer quelle société a fait l'objet d'un piratage informatique.


Elle fait valoir en substance que la société Grand Garage de la Dordogne n'a pas payé de bonne foi au créancier apparent car elle a commis des négligences fautives, d'autant plus exclusives de bonne foi qu'elle est un professionnel de l'automobile et un commerçant.


Elle soutient qu'en application de l'article L. 321-9, alinéa 3, du code de commerce, la vente, bien qu'intervenue de gré à gré postérieurement aux enchères, reste soumise au régime spécifique des ventes aux enchères, ce que la société Grand Garage de la Dordogne ne pouvait ignorer, celle-ci ayant signé un acte d'achat après enchères publiques visant de manière apparente et en caractères gras l'article L. 321-9, alinéa 3, du code commerce susmentionné.


Elle fait valoir que dans la vente de gré à gré après enchères, comme dans la vente aux enchères, l'acquéreur ne connaît pas le vendeur et traite exclusivement par l'intermédiaire de l'opérateur de ventes volontaires, lequel, en sa qualité de mandataire du vendeur, a l'obligation de prendre toutes les dispositions propres à assurer à ses clients la sécurité des ventes volontaires aux enchères publiques qui lui sont confiées (article L. 321-5 du code de commerce) et est responsable à l'égard du vendeur et de l'acquéreur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont il a effectué la vente (article L. 321-14 du code de commerce).


Elle en déduit qu'en sa qualité de mandataire du vendeur, elle devait recevoir le prix par application de l'article L. 321-14 du code de commerce et que, par application de l'article 1342-2 du code civil, le paiement effectué par la société Grand Garage de la Dordogne n'est pas libératoire puisqu'il n'a pas été ratifié par le vendeur et ne lui a pas profité.


Selon elle, la société Grand Garage de la Dordogne ne démontre pas avoir versé le prix auprès du créancier apparent habilité à le recevoir et ne justifie pas qu'elle pouvait légitimement se tromper sur la qualité de ce créancier apparent, ou alors que l'apparence était suffisamment forte pour justifier son erreur, relevant les différents éléments qui auraient dû l'alerter sur le caractère frauduleux du RIB, sa vigilance devant être accrue en sa qualité de professionnel de l'automobile.


La société Artcurial soutient enfin que la société Grand Garage de la Dordogne a fait preuve d'une particulière naïveté, voire d'une légèreté blâmable, dans le paiement de la somme de 45.000 euros à un tiers non créancier ; qu'une telle absence de vigilance exclut qu'elle soit fondée à rechercher sa responsabilité ; qu'en tout état de cause, aucune faute

ne peut lui être reprochée en sa qualité de mandataire concernant le caractère sécurisé de sa boîte mail et dans la revente du véhicule dont le prix de vente n'a pas été acquitté.


La société Grand Garage de la Dordogne considère, pour sa part, que les circonstances dans lesquelles est intervenu le paiement du prix démontrent sa bonne foi et qu'aucune faute ne peut lui être imputée puisque, ne pouvant raisonnablement se douter du caractère frauduleux du courriel reçu, elle a légitimement pensé régler le prix entre les mains du propriétaire désigné par la société Artcurial, son mandataire.


Elle fait valoir qu'aucune disposition n'oblige l'acquéreur à verser le prix de vente entre les mains de la société de vente volontaire aux enchères publiques et qu'elle n'a donc pas commis de faute en le virant sur un compte dont le titulaire n'était pas la société Artcurial. Elle relève que, pour tenter d'échapper à sa responsabilité, la société Artcurial renverse la charge de la preuve en alléguant une intrusion frauduleuse dans sa messagerie, que rien ne permet d'établir, la seule intrusion frauduleuse avérée étant celle de la messagerie électronique de la société Artcurial.


Elle soutient, au visa des articles 1992, 1240 et 1241 du code civil🏛, qu'en sa qualité de mandataire, la société Artcurial a commis des fautes en lien de causalité direct avec le préjudice qu'elle a subi, d'une part, au titre de l'intrusion frauduleuse dans son système informatique dans la mesure où elle n'a pas mis en oeuvre la prudence et la diligence normalement exigibles d'un professionnel de la vente aux enchères publiques et, d'autre part, au titre de la revente du véhicule à un tiers nonobstant les difficultés sérieuses dont elle a été informée.


Sur ce


Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit extinction de son obligation.


Ainsi, s'il appartient au créancier de prouver l'engagement d'où résulte sa créance, il revient au débiteur de prouver qu'il a effectivement payé.


L'article 1342-2 du code civil énonce que le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir.


Enfin, en application de l'article 1342-3 du code civil, le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.


La société Artcurial est un opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques dont l'activité est régie par les articles L. 321-4 et suivants du code de commerce.


L'article L. 321-5 du code de commerce dans sa version applicable à la présente espèce dispose que « I.-Lorsqu'ils organisent ou réalisent des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les opérateurs mentionnés à l'article L. 321-4 agissent comme mandataires du propriétaire du bien ou de son représentant. Le mandat est établi par écrit.


Les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés au même article L. 321-4 prennent toutes dispositions propres à assurer pour leurs clients la sécurité des ventes volontaires aux enchères publiques qui leur sont confiées, notamment lorsqu'ils recourent à d'autres prestataires de services pour organiser et réaliser ces ventes. Ces prestataires ne peuvent ni acheter pour leur propre compte les biens proposés lors de ces ventes, ni vendre des biens leur appartenant par l'intermédiaire des opérateurs auxquels ils prêtent leurs services.


En vertu de ce texte, les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques agissent comme mandataire du propriétaire du bien.


L'article L. 321-9 du même code précise que « les biens déclarés non adjugés à l'issue des enchères peuvent être vendus de gré à gré, à la demande du propriétaire des biens ou de son représentant, par l'opérateur de ventes volontaires ayant organisé la vente aux enchères publiques ».


Selon l'article L. 321-14 du même code « Les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 sont responsables à l'égard du vendeur et de l'acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont ils ont effectué la vente. Toute clause qui vise à écarter ou à limiter leur responsabilité est réputée non écrite. 

Le bien adjugé ne peut être délivré à l'acheteur que lorsque l'opérateur ayant organisé la vente en a perçu le prix ou lorsque toute garantie lui a été donnée sur le paiement du prix par l'acquéreur.

A défaut de paiement par l'adjudicataire, après mise en demeure restée infructueuse, le bien est remis en vente à la demande du vendeur sur réitération des enchères ; si le vendeur ne formule pas cette demande dans un délai de trois mois à compter de l'adjudication, la vente est résolue de plein droit, sans préjudice de dommages et intérêts dus par l'adjudicataire défaillant. »


En vertu de ce texte, les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont responsables à l'égard du vendeur et de l'acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont ils ont effectué la vente et le bien adjugé ne peut être délivré à l'acheteur que lorsque l'opérateur ayant organisé la vente en a perçu le prix ou lorsque toute garantie lui a été donnée sur le paiement du prix par l'acquéreur.


En l'espèce, la vente du véhicule JEEP Grand Wagoneer réalisée de gré à gré par la société Artcurial après tentative d'adjudication aux enchères publiques est régie par les dispositions précitées de l'article L. 321-9, alinéa 3, du code de commerce, expressément rappelé sous le titre « ACTE D'ACHAT APRÈS ENCHERES PUBLIQUES » que la société Grand Garage de la Dordogne a retourné signé le 8 novembre 2018 par mail au représentant de la société Artcurial, M. [U] [Y].


Il ressort des pièces versées aux débats qu'après la rencontre physique entre M. [P], président de la société Grand Garage de la Dordogne et M. [U] [Y], employé par la maison de vente Artcurial, le 7 novembre 2018, les parties ont échangé par voie électronique depuis leurs adresses [Courriel 9] pour M. [U] [Y] et [Courriel 15] pour M. [H] [P].


A réception de l'acte d'achat de gré à gré signé par M. [P], le 8 novembre 2018, le service comptable de la société Artcurial lui a transmis, par mail du 9 novembre à 15h24, la facture d'achat ainsi que les modalités de paiement du prix.


Ce mail était rédigé comme suit :


« De : sales account

Envoyé : vendredi 9 novembre 2018 15:24

À : [Courriel 14]

Objet : ARTCURIAL - Facture AC00120215 - Vente 3887A - Automobiles sur les Champs 14 After-Sale A


Cher Monsieur,


Vous êtes adjudicataire d'un lot lors de notre vente du 4 novembre 2018 « Automobiles sur les Champs 14 », et notre Maison de ventes vous remercie de votre confiance. Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint copie de votre facture d'achat.


Pour vous en acquitter, vous pouvez effectuer un paiement :


par chèque bancaire certifié, à l'ordre d'Artcurial

par virement bancaire sur le compte de notre Maison de ventes :


Bénéficiaire : Artcurial SAS Code Banque :

[Numéro identifiant 5]

Banque : NSM OBC Code Guichet : [Numéro identifiant 1]

3, Avenue Hoche Compte N° : 01229470004

[Localité 7] : 54


N° IBAN : [XXXXXXXXXX013]

SWIFT : NSMBFRPPXXX


LIVRAISON & STOCKAGE

Les véhicules seront rapatriés le soir de la vente dans un stockage sécurisé [Localité 7] pour la somme forfaitaire de 150 € HT par voiture / 100 € HT par moto et stockés gratuitement jusqu'au mercredi 7 novembre 2018 inclus. Les véhicules pourront être enlevés à partir du lundi 5 novembre 2018 à 10h après règlement intégral. Les frais de stockage seront facturés 35 € HT par jour et par voiture / 20 € HT par jour et par moto. Règlement des frais de stockage sur place par chèque, en espèces, CB ou préalablement par virement.

(...)

Dès réception de votre règlement, le département Motorcars vous adressera un document vous permettant de récupérer votre véhicule au lieu de stockage et récapitulant toutes les informations nécessaires pour l'enlèvement.


Restant à votre entière disposition pour répondre à toute question de votre part, je vous prie d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes respectueuses salutations.


Audrey Couturier


Comptabilité Des Ventes

Sales Accounting »


Or, à la suite d'un piratage, sans qu'il soit établi si c'est la boîte mail de l'expéditeur ou du destinataire qui en a été victime, la note technique rédigée par la société GM Consultant, à la demande de l'assureur de la société Grand Garage de la Dordogne, n'étant pas contradictoire, M. [H] [P] n'a pas reçu ce message mais a reçu, le 10 novembre 2018 à 23h09, un courriel depuis l'adresse [Courriel 9] rédigé comme suit :


« De: [U] [Y]

Objet: ARTCURIAL - Facture AC00120215 - Vente 3887A - Automobiles sur les Champs 14

After-Sale A

Date: 10 novembre 2018 à 23:09:32 UTC+1

À: "[Courriel 15]"


Cher Monsieur,


Vous êtes adjudicataire d'un lot lors de notre vente du 4 novembre 2018 « Automobiles sur les Champs 14 », et notre Maison de ventes vous remercie de votre confiance. Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint copie de votre facture d'achat.


Pour vous en acquitter, vous pouvez effectuer un paiement :


par virement bancaire sur le compte ci-dessous :


Bénéficiaire : [L] CHEZ [Z] [G]

Banque : CAISSE FEDERALE DE CREDIT MUTUEL

[Adresse 6]

[Localité 17]

Code Guichet : [Numéro identifiant 2]

Code Banque : [Numéro identifiant 3]

Compte N° : 00020476901

Clé RIB : 51


N° IBAN : [XXXXXXXXXX012]

SWIFT : [Numéro identifiant 11]


Veuillez envoyer le reçu de paiement une fois le paiement effectué afin que nous puissions organiser le ramassage de la voiture.


[U] [Y]

Spécialiste / Artcurial Motorcars

Specialist / Artcurial Motorcars »


Si comme les précédents mails reçus de M. [U] [Y], ce mail été envoyé depuis l'adresse électronique [Courriel 9] et comporte la signature électronique de celui-ci ainsi qu'un encart publicitaire « Automobiles sur les Champs 14 », il contient néanmoins des indices permettant à un utilisateur normalement attentif de douter de sa provenance, peu important qu'il soit, ou non, avisé des risques de piratage.


En effet, ce mail a été émis le samedi 10 novembre 2018 à 23h09.


La mention « par virement bancaire sur le compte ci-dessous » est d'une police de caractère différente de celle utilisée au début du message.


Le bénéficiaire du virement n'est pas la société Artcurial, mais un certain « [L] CHEZ M [Ac] [G] » dont le compte bancaire est domicilié auprès d'une banque située à [Localité 17] alors que la société Artcurial a son siège social et ses locaux [Adresse 16] à [Localité 7].


En outre, le dimanche 11 novembre 2018 à 18h13, M. [H] [P] a adressé un mail à M. [U] [Y], lui demandant la modification de l'adresse figurant sur la facture.


Le mail reçu par M. [U] [Y] est identique à celui envoyé par M. [H] [P], sauf qu'il est daté du 11 novembre 2018 à 18:12:51 UTC+1 et mentionne, dans l'en-tête, « Répondre à : [Courriel 14] ».


Le même jour, dimanche 11 novembre 2018, à 19h15, M. [Ab] a reçu de M. [U] [Y] un mail avec la facture mise à jour, dont les termes sont les suivants :


« Veuillez trouver ci-joint une copie de votre facture mise à jour.

De plus, veuillez mettre à jour le bénéficiaire sur [L].

Bénéficiaire : [L]

Pardon le dérangement

Cordialment »


Ces éléments auraient dû attirer l'attention de la société Grand Garage de la Dordogne, professionnel de l'automobile, et la conduire à vérifier auprès de la société Artcurial que le virement devait bien être effectué sur le compte bancaire mentionné dans le mail du 10 novembre 2018, ce d'autant plus que selon le SMS adressé par M. [Ab] à M. [Y] le lundi 12 novembre 2018, le virement a été exécuté le matin même.


Alors que la société Grand Garage de la Dordogne reconnaît qu'elle avait parfaitement connaissance que la société Artcurial agissait en qualité de mandataire du propriétaire du véhicule, elle ne peut raisonnablement avoir cru s'acquitter du prix entre les mains de ce dernier, étant rappelé qu'aux termes de l'article L. 321-14 du code de commerce régissant les ventes aux enchères publiques, l'opérateur ayant organisé la vente est responsable à l'égard du vendeur et de l'acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont il a effectué la vente et ne peut délivrer le bien à l'acheteur que lorsqu'il en a perçu le prix.


Dans ces conditions, le paiement de la somme de 45.000 euros en date du 12 novembre 2018 n'a pas été fait par la société Grand Garage de la Dordogne de bonne foi à un créancier apparent et n'est ainsi pas libératoire pour cette dernière.


Par ailleurs, il ne peut être reproché à la société Artcurial aucune faute au titre de l'intrusion frauduleuse dans son système informatique dès lors que, comme il a été dit précédemment, les éléments du dossier ne permettent pas d'établir avec certitude que la fraude provient exclusivement de la messagerie électronique de la société Artcurial.


Il ne peut davantage être reproché à la société Artcurial d'avoir revendu le véhicule en l'absence de paiement du prix de vente par la société Grand Garage de la Dordogne et d'obligation corrélative de la société Artcurial de délivrer ledit véhicule, étant rappelé que cette dernière n'agit qu'en qualité de mandataire du propriétaire du bien.


Il convient en conséquence d'infirmer le jugement qui a condamné la société Artcurial à payer à la société Grand Garage de la Dordogne la somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts.


Statuant à nouveau, il convient de débouter la société Grand Garage de la Dordogne de sa demande en paiement.


Le jugement étant infirmé, il le sera également pour ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile, mis à la charge de la société Artcurial.


Statuant de ce chef pour la première instance et en appel, la société Grand Garage de la Dordogne, qui succombe, sera condamnée aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile🏛. Maître Christian Brémond, avocat au Barreau de Paris, sera autorisé à recouvrer directement contre elle les frais dont il a fait l'avance sans en recevoir provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.


Enfin, condamnée aux dépens, la société Grand Garage de la Dordogne sera condamnée à payer à la société Artcurial la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS


La cour,


Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Déboute la société Grand Garage de la Dordogne de sa demande en paiement de dommages et intérêts,


Condamne la société Grand Garage de la Dordogne aux dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Christian Brémond conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,


Condamne la société Grand Garage de la Dordogne à payer à la société Artcurial la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,


Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.


LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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