Le Quotidien du 6 septembre 2023 : Droit pénal de la presse

[Brèves] Contestation de l’existence crime contre l’humanité : la Chambre criminelle annule la relaxe d’Éric Zemmour

Réf. : Cass. crim., 5 septembre 2023, n° 22-83.959, FS-B N° Lexbase : A69761E4

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N6650BZC

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[Brèves] Contestation de l’existence crime contre l’humanité : la Chambre criminelle annule la relaxe d’Éric Zemmour. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/99656626-0
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par Adélaïde Léon

le 20 Septembre 2023

► L’infraction de contestation de crime contre l’humanité peut être constituée même lorsque la contestation consiste à minorer le crime ou à le banaliser de façon outrancière, mais également lorsque les propos en cause portent sur des personnes qui ont décidé ou organisé lesdits crimes, mais n’ont pas participé ou ont participé partiellement à leur exécution matérielle. Il est indifférent que ces individus n’aient pas été condamnés pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité.

Rappel des faits et de la procédure. Le 21 octobre 2019, au cours de l’émission « Face à l’info » diffusée sur la chaîne de télévision CNEWS, s’est tenu l’échange suivant entre B.-H. Lévy et E. Zemmour :

     « BHL : vous avez dit un jour une chose terrible, dans une autre émission, vous avez osé dire que Pétain avant sauvé les juifs ;

     EZ : français, précisez, précisez français ;

     BHL : ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme ;

     EZ : c’est encore une fois le réel ;

     BHL : non, le réel ;

     EZ : je suis désolé… »

À la suite de cette séquence, plusieurs associations ont fait citer E. Zemmour devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de contestation de crime contre l’humanité.

Cette infraction est réprimée par l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse N° Lexbase : Z75356PS qui sanctionne le fait de contester : «  l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ».

Le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu.

Les parties civiles et le procureur de la République ont relevé appel de la décision de première instance.

En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé le jugement de relaxe.

La cour a retenu que seul BHL avait fait usage du déterminant « les », E. Zemmour ayant uniquement précisé « français », et que ce dernier faisait ainsi référence à la thèse qu’il défendait selon laquelle la déportation aurait moins touché les juifs de nationalité française que les juifs étrangers résidant en France en raison de l’intervention du maréchal Pétain en leur faveur.

Dès lors, selon les juges d’appel, ces propos n’avaient pas pour objet de contester ou minorer le nombre de victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration.

Enfin, les juges retenaient à l’appui de leur raisonnement que Philippe Pétain n’avait pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.

Plusieurs associations parties civiles ainsi que le procureur général près la cour d’appel de Paris ont formé des pourvois contre l’arrêt d’appel.

Motifs des pourvois. Les auteurs des pourvois rappelaient que la contestation de crimes contre l’humanité est punissable même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation, ou lorsque les propos poursuivis reflètent une minoration outrancière du nombre de victimes, une banalisation ou une relativisation de crimes commis à ce titre, ou encore une minoration des souffrances des rescapés.

Il était par ailleurs soutenu qu’au terme de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, il suffit que les crimes contestés aient été décidés ou organisés par les personnes désignées, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou entièrement, le fait de tiers.

Enfin, il était reproché à la cour d’appel d’avoir relaxé E. Zemmour au motif que ses propos faisaient référence à la thèse précitée alors que l’expression « Pétain a sauvé les juifs français » signifiait au contraire qu’aucun juif français de nationalité française n’avait été déporté ou exterminé.

Décision. La Chambre criminelle casse la décision de relaxe au visa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC.

La Cour rappelle qu’il appartient aux juges du fond saisis d’une telle infraction, d’apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu d’éléments extrinsèques. La Haute juridiction a ensuite la compétence pour contrôler que cette appréciation est exempte d’insuffisance comme de contradiction.

Or selon la Chambre criminelle :

  • l’infraction de contestation de crimes contre l’humanité peut être constituée même lorsque les propos en cause portent sur des personnes qui ont décidé ou organisé de tels crimes, mais n’ont pas participé ou ont participé partiellement à son exécution matérielle (Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-80.783, F-D N° Lexbase : A90103KW). La Cour ajoute qu’il est par ailleurs indifférent que ces personnes n’aient pas été condamnées pour crimes contre l’humanité ;
  • en répliquant « c’est encore une fois le réel » à son interlocuteur lequel venait d’affirmer « ou avait sauvé les juifs français, c’est une monstruosité, c’est du révisionnisme », E. Zemmour avait repris à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés ;
  • enfin, la Haute juridiction affirmait que les juges d’appel ne pouvaient sans en faire une meilleure démonstration, retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, que les propos poursuivis devaient être compris comme se référant à des propos plus mesurés que le prévenu aurait exprimés antérieurement.

Pour aller plus loin : 7. Concept de contestation de crime contre l’humanité in : E. Raschel, Panorama de droit pénal de la presse (septembre 2019 – mai 2020), Lexbase Pénal, juin 2020, n° 28 N° Lexbase : N3630BY4.

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