Le Quotidien du 21 août 2023 : Peines

[Jurisprudence] De l’interprétation stricte de l’article 485-1 du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-82.994, FS-B N° Lexbase : A02149QY

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N5793BZL

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[Jurisprudence] De l’interprétation stricte de l’article 485-1 du Code de procédure pénale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98783996-0
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par Hélène Dantras-Bioy, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Nantes université, Laboratoire Droit et changement social, UMR CNRS 6297

le 04 Août 2023

Mots-clés : confiscation • confiscation en valeur • confiscation du produit de l’infraction • motivation • contrôle de proportionnalité

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 19 avril 2013 affirme, pour la première fois, que l’interprétation stricte de l’article 485-1 du Code de procédure pénale implique une application restrictive de la dérogation apportée à l’obligation de motivation de la confiscation du produit de l’infraction. Lorsqu’une telle confiscation est ordonnée en valeur, elle doit non seulement être motivée, mais en outre, lorsqu’elle est exécutée sur le bien constituant le domicile familial du condamné, elle doit faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité lorsque la garantie du droit à une vie privée et familiale est invoquée.


 

Dans l’affaire d’abus de biens sociaux à l’origine de cet arrêt de la Chambre criminelle du 19 avril 2023, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait condamné le demandeur au pourvoi plus sévèrement qu’en première instance. Elle avait ainsi notamment doublé la durée de deux peines d’interdictions (de gérer et d’exercer une fonction publique) et ajouté une peine de confiscation en valeur du produit de l’infraction, dont l’exécution était ordonnée sur le domicile du condamné. Si l’arrêt est cassé en raison de l’illégalité des deux peines d’interdiction prononcées, son apport essentiel réside en l’affirmation par la Chambre criminelle de l’obligation pour les juges de motiver la peine de confiscation en valeur du produit de l‘infraction.

Le pourvoi reprochait à la cour d’appel (3ème branche du premier moyen) d’avoir ordonné la confiscation de l’immeuble constituant son domicile familial, alors qu’il avait déjà été lourdement condamné et que ce bien avait été acquis au moyen d’un prêt à une date antérieure aux faits reprochés. La cour d’appel aurait ainsi, selon lui, violé l’article 1 du protocole n°1 à la CESDH en portant une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, mais également (selon la 4ème branche) à son droit à une vie privée et familiale, dès lors que sa fille était domiciliée chez lui et y résidait lorsqu’elle n’était pas à l’université. La cour d’appel avait néanmoins estimé que celle-ci pouvait être hébergée chez sa mère et que les revenus de l’auteur des faits lui permettaient de financer une location.

Répondant sur la troisième branche du moyen, la Haute juridiction commence par rappeler que, lorsque la confiscation porte sur les biens qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction, elle peut effectivement être ordonnée en valeur sur tous biens du condamné (C. pén., art. 131-1, al. 3 et 9 N° Lexbase : L2210AMS). Elle rappelle ensuite que toute peine correctionnelle doit être motivée, sauf s’il s’agit de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction (C. pén., art. 131-1 et C. proc. pén., art. 485-1 N° Lexbase : L7241LPU).

Puis elle affirme, et là est l’apport principal de sa décision, que « cette dérogation au principe de motivation des peines étant d’interprétation stricte, la confiscation du produit de l’infraction, lorsqu’elle est ordonnée en valeur, doit être motivée […] ». Elle examine alors les éléments relevés par les juges du fond permettant de vérifier la conformité de la justification du choix de la confiscation en valeur du produit de l’infraction au regard des critères généraux fixés par la loi pour la motivation de toute peine correctionnelle. Elle en conclut que la cour d’appel a justifié sa décision, ayant motivé la condamnation tant au regard de la gravité des faits que de la personnalité de l’auteur et de sa situation personnelle ; ce, après avoir vérifié que le bénéfice du produit des infractions dont le prévenu avait seul bénéficié était supérieur à la valeur du bien saisi.

Pour cerner la portée de la décision, rappelons que dans le contexte jurisprudentiel tendant à imposer la motivation de toutes peines correctionnelles, un arrêt de la Chambre criminelle du 8 mars 2017 [1] précisait qu’en matière de confiscation de tout ou partie du patrimoine, le juge doit satisfaire non seulement à l’obligation de motivation générale imposée pour toute peine correctionnelle au regard des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle mais aussi doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé. Or, il est dérogé à cette double contrainte pesant sur le juge s’agissant des confiscations portant sur l’objet ou le produit de l’infraction. En premier lieu, l’article 485-1 du Code de procédure pénale prévoit une exception à l’obligation de motivation du choix de ce type de confiscations, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 [2] ayant entériné la jurisprudence qui avait consacré cette solution [3]. En second lieu, il est admis que la nécessité pour le juge de s'expliquer sur la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu est écartée lorsque la confiscation porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction [4].

La question qui se posait dans l’affaire examinée était de savoir si cette double dérogation était applicable lorsque la confiscation du produit de l’infraction est ordonnée en valeur sur un bien immobilier du condamné, le demandeur au pourvoi alléguant une atteinte disproportionnée à son droit de propriété. Or, la Chambre criminelle avait déjà affirmé à plusieurs reprises que les juges n’ont pas à justifier  de la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété par les mesures de confiscation en valeur du produit, direct ou indirect, de l'infraction dès lors que « le juge est tenu de préalablement s'assurer que la valeur du bien confisqué n'excède pas le montant du produit de l'infraction, en sorte que l'atteinte portée au droit de propriété de la personne condamnée ne peut excéder l'avantage économique tiré de l'infraction pénale et qui constitue la conséquence patrimoniale de sa commission » [5]. Peu importe, donc, que la confiscation du produit de l’infraction soit ordonnée en nature ou en valeur sur un bien du condamné, et, en l’espèce, la cour d’appel avait bien « constaté que le bien immobilier saisi est confiscable […] dès lors que le produit des infractions dont le prévenu a seul bénéficié est supérieur à la valeur de l’immeuble saisi ». Peu importait également, en conséquence, la date d’achat du bien ou le financement licite de celui-ci. Si de ce point de vue la solution de la Cour de cassation ne paraît guère innovante, c’est en revanche sur la question de la motivation du choix de la confiscation en valeur, pourtant non soulevée par le pourvoi, que la décision est remarquable.

En effet, la Haute juridiction vient affirmer, pour la première fois, qu’une telle confiscation en valeur du produit de l’infraction doit faire l’objet d’une motivation au même titre que toute peine correctionnelle. Elle justifie sa décision par le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. C’est que, en effet, l’article 485-1 du Code de procédure pénale, qui prévoit l’absence de motivation de la peine de confiscation, ne distingue pas selon que la confiscation est en nature ou en valeur. Aussi aurait-il pu être considéré que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer, et avancé qu’il convient d’appliquer un régime unique à la confiscation du produit de l’infraction, quelle que soit sa modalité spécifique d’exécution. Ce n’est pas la solution retenue par la Chambre criminelle, qui estime que l’interprétation stricte du texte doit conduire à appliquer restrictivement l’exception qu’il pose. Il en résulte que la confiscation en valeur du produit de l’infraction n’est pas la confiscation du produit de l’infraction visée par le texte permettant d’exonérer le juge de toute motivation.

La solution s’inscrit donc dans le mouvement tendant à élargir toujours davantage l’obligation de motivation de la peine pesant sur les juges. Pour autant, la cassation n’était pas encourue sur ce point, car les éléments relevés par les juges [6] permettaient à la Chambre criminelle d’opérer son contrôle et de vérifier que les critères de motivation relatifs à la gravité des faits, la personnalité du condamné et sa situation personnelle avaient été retenus.

Elle ne l’est pas non plus sur la quatrième branche du moyen qui invoquait une atteinte disproportionnée au droit à une vie privée et familiale par la confiscation du domicile familial, au regard du manquement commis. Ce grief était l’occasion pour la Haute juridiction d’affirmer l’obligation pour les juges d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire par la confiscation, lorsque cette garantie est invoquée. La précision est d’autant plus intéressante que, dans une décision du 5 mai 2021 refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité [7] au sujet de l’interprétation de l’article 131-21, alinéa 9, la Chambre criminelle avait estimé qu’il n’y avait pas de jurisprudence constante selon laquelle les juges, ordonnant une confiscation en valeur, à titre de produit direct ou indirect de l'infraction, exécutée sur le domicile familial de la personne condamnée, n’auraient pas à s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée au droit au respect de sa vie privée et familiale. En l’espèce, la Chambre criminelle a vérifié en conséquence la prise en compte de la situation personnelle de l’intéressé et la gravité concrète des faits par la cour d’appel, pour conclure que la confiscation de l’immeuble ne pouvait être regardée comme constituant une ingérence disproportionnée dans le droit invoqué par l’intéressé.

 

[1] Cass. crim., 8 mars 2017, n° 15-87.422, FS-P+B N° Lexbase : A4469T3W.

[2] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[3] Not. Cass. crim., 31 janvier. 2018, n° 17-81.876, F-P+B N° Lexbase : A4714XCL.

[4] Not. Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B N° Lexbase : A3814SPX, ou encore réc. Cass. crim., 29 novembre 2022, n° 21-85.579, F-D N° Lexbase : A45438W8.

[5] Cass. crim., 5 mai 2021, n° 20-86.529, F-D N° Lexbase : A33454RC ; préc. v. Cass. crim., 3 mai 2018, n° 17-82.098, F-P+B N° Lexbase : A4386XME ; Cass. crim., 15 mai 2019, n° 18-84.494, FS-P+B+I N° Lexbase : A1614ZBE

[6] Une motivation unique pour toutes les peines prononcées pouvant suffire.

[7] V. aussi, pour un autre aspect des questions soulevées, note 4.

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