Le Quotidien du 23 août 2023 : Construction

[Chronique] « Diagnostic des diags » : la chronique semestrielle d’actualité consacrée aux diagnostics immobiliers

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N6192BZD

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats et Manon Brauge, Avocat, M2J Avocats

le 22 Août 2023

Mots-clés : diagnostic immobilier • diagnostiqueur • responsabilité • dossier technique • diagnostic amiante • accessibilité • diagnostic de performance énergétique • état parasitaire • termites • mérule • mesurage « Carrez » • obligation de conseil • obligation de moyen • indemnisation du préjudice • travaux réparatoires • perte de chance

L’actualité jurisprudentielle sur les diagnostics immobiliers ne cesse d’enfler. D’autant plus que les nouvelles réglementations applicables au diagnostic de performance énergétique et à l’audit énergétique ont été largement médiatisées. Lexbase Droit privé vous propose de retrouver la chronique semestrielle d’actualité de Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats et Manon Brauge, Avocat, M2J Avocats, sur ce sujet aussi prégnant et dont le devenir le sera encore davantage.


Les décisions récentes des juridictions du fond relevées dans cette nouvelle chronique, sur la période du premier semestre de l’année 2023, permettent, d’une part, de revenir sur l’étendue de l’examen visuel (I), et d’autre part sur l’indemnisation du préjudice subi une fois que le dommage est établi (II).

I. Déterminer l’étendue de l’examen visuel

L’étendue des missions du diagnostiqueur dépend du diagnostic à réaliser et des conditions de son intervention : avant la vente d’un bien immobilier dans le cadre de la constitution du dossier technique préalable ou, alors, avant la réalisation de travaux. En matière de diagnostic amiante par exemple, le champ d’intervention du diagnostiqueur et les éléments à investiguer seront différents selon que l’on se situe dans un cas ou dans un autre. Le rapport de diagnostic renvoie, le plus souvent, à des normes AFNOR / à des dispositions légales (A) qui peuvent s’avérer, dans certains cas, non obligatoires et/ou renforcées par une obligation de conseil accrue (B).  

A. La précision contractuelle

Le périmètre de repérage du diagnostiqueur est défini par les normes et règles de l’art applicables au diagnostic réalisé. Très souvent, il sera rappelé en première page du diagnostic qu’il est limité aux seules parties de l’immeuble visibles et accessibles sans déplacement de meuble et, surtout, sans travaux destructifs.

En matière de diagnostic amiante, la cour d’appel de Paris vient, en ce sens, de rappeler que dès lors que les éléments que le diagnostiqueur aurait dû identifier sont accessibles sans travaux destructifs et reconnaissables visuellement alors sa responsabilité est engagée (CA Paris, 12 mai 2023, n° 19/11962 N° Lexbase : A71569UL). La solution est plutôt classique.

Il résulte, néanmoins, toujours en matière d’amiante, de la combinaison des articles R. 1334-20 N° Lexbase : L4156IQY et R. 1334-21 N° Lexbase : L4155IQX du Code de la santé publique que le repérage est limité aux produits et matériaux accessibles sans travaux destructifs mais qu’en cas de doute de l’opérateur, il doit réaliser des prélèvements aux fins d’analyse. Il s’en déduit que le diagnostic n’est pas limité à un simple contrôle visuel. La cour d’appel de Grenoble, le 23 mars 2023, a, là encore, assez classiquement, retenu la responsabilité du diagnostiqueur pour ne pas avoir réalisé les investigations supplémentaires nécessaires pour lever les doutes sur la présence d’amiante ou non (CA Grenoble, 23 mars 2023, n° 21/02938 N° Lexbase : A38599LI). La notion de « doute » échappe, en revanche, à toute tentative de définition juridique et est laissé à libre appréciation des juges du fond.

La notion d’accessibilité est discutée et discutable. Toute la question est de savoir où s’arrête l’obligation de moyen du diagnostiqueur. La cour d’appel de Bordeaux a, dans le cadre de l’examen visuel en matière de recherche de termites, considéré que le diagnostiqueur n’était pas déchargé de son obligation de moyen en indiquant seulement que la sous-face d’un plancher n’était pas accessible. Les juges ont considéré qu’il aurait dû interroger son donneur d’ordre sur la possibilité d’accéder à cette sous-face et, le cas échéant, qu’il aurait dû déplacer quelques objets encombrants (CA Bordeaux, 9 mars 2023, n° 20/01622 N° Lexbase : A55889HG). Les juges ont une fâcheuse tendance à en demander plus aux diagnostiqueurs que la norme à laquelle ils sont tenus toujours dans un souci de (sur)protection du vendeur/de l’acquéreur, tous deux qualifiés, dans la majorité des cas, de profanes.

Les contentieux en matière de diagnostic de performance énergétique sont de plus en plus nombreux. Bien que la tendance soit à l’incompréhension de la valeur des prescriptions du diagnostiqueur, son champ d’intervention est plutôt bien compris. La cour d’appel de Rennes (CA Rennes 23 mai 2023, n° 20/05887 N° Lexbase : A06889XR), après avoir rappelé que :

  • le diagnostiqueur devait calculer la performance énergétique d’un bien immobilier sur la base de la surface habitable fournie par le propriétaire et, qu’à défaut, il devait l’estimer lui-même ; et que
  • l’estimation de mesurage qui pourrait être faite ne constitue pas une garantie de la surface pour l’acheteur ;

a retenu qu’il n’était pas démontré que le diagnostiqueur, qui n’était débiteur que d’une obligation de moyen, avait commis une faute en retenant l’indication d’une surface erronée. Partant, que sa responsabilité délictuelle ne pouvait pas être engagée par les acquéreurs. En l’espèce, la surface habitable communiquée par le vendeur était erronée ce qui a conduit une mauvaise appréciation de la classe énergétique du bien immobilier.

B. L’imprécision contractuelle

Le diagnostiqueur, au-delà ses obligations contractuelles, doit être « normalement » diligent et avoir une vigilance accrue lorsqu’il identifie un potentiel risque. C’est-à-dire que supplémentairement à ce qu’il doit contractuellement, le diagnostiqueur doit formuler des observations annexes voir même proposer la réalisation d’investigations supplémentaires. Les juges du fond ont tendance à être particulièrement sévères à l’encontre du diagnostiqueur au titre de son obligation de conseil. Toute la question, là encore, est de savoir où s’arrête cette obligation.

En matière de diagnostic de performance énergétique, la cour d’appel de Rouen a jugé que bien que le diagnostiqueur ne devait pas effectuer de sondage destructif pour connaître l’épaisseur de l’isolation, il lui incombait d’indiquer son impossibilité d’y procéder (CA Rouen, 7 juin 2023, n° 21/04522 N° Lexbase : A34369ZB). C’est donc au titre de l’omission d’indication de l’absence de vérification possible que le diagnostiqueur engage sa responsabilité pour ne pas avoir permis aux acquéreurs de poser des questions / faire un intervenir des professionnels qualités. La cour d’appel de Douai a statué dans le même sens s’agissant de l’absence de mention d’accessibilité d’une partie du bien lors de la réalisation d’un diagnostic amiante (CA Douai, 2 mars 2023, n° 22/01077 N° Lexbase : A24539HC). Le diagnostiqueur engage, également, sa responsabilité lorsqu’il n’attire pas l’attention de son donneur d’ordre sur l’absence de réalisation de sondage destructif (CA Rennes, 14 mars 2023, n° 20/05766 N° Lexbase : A82259IH).

La cour d’appel de Rennes est allée plus loin encore en matière d’état parasitaire (CA Rennes, 31 mai 2023, n° 21/00464 N° Lexbase : A07629YU). Les juges ont considéré que, dès lors que le diagnostic fait référence à une norme applicable, bien qu’elle n’ait pas un caractère obligatoire et que le manquement aux prescriptions ne pouvait donc pas être constitutif d’une faute en tant que tel, le diagnostic était privé de tout intérêt s’il n’était pas possible d’identifier les zones infestées. En l’espèce, le diagnostiqueur avait analysé 45 zones avec la mention « néant » mais avait bien indiqué au titre des constatations diverses la présence de trous de sortie de petites et grosses vrillettes et d’un excès d’humidité. Les juges ont, néanmoins, considéré que le diagnostic était « largement insuffisant au titre des constatations » (sic) et, surtout, contradictoire avec le reste des constats. À bien comprendre, le diagnostiqueur doit faire des parallèles entre le diagnostic qu’il réalise et ses constats ET les conséquences de ses constats s’il était en train de réaliser un autre diagnostic.

Dans un arrêt similaire rendu par la  cour d’appel de Pau, il a été jugé que le diagnostiqueur a engagé sa responsabilité lors de la réalisation d’un diagnostic termites pour ne pas avoir formulé d’observation particulière sur la constatation d’insectes xylophage alors qu’une colonne était prévue à cette effet (CA Pau, 9 mai 2023, n° 21/02142 N° Lexbase : A01919UM).

La cour d’appel de Rennes a, encore, condamné un diagnostiqueur pour la présence de mérule alors qu’il était intervenu pour réaliser un diagnostic termites (CA Rennes, 16 mai 2023, n° 20/06148 N° Lexbase : A71579WY). Les juges ont retenu que diagnostiqueur a manqué à son obligation de conseil pour ne pas avoir repéré les indices évidents de présence de mérules et ne pas l’avoir signalé au titre des constatations diverses alors même qu’il avait bien précisé la présence de pourriture cubique dans un endroit de la maison. La faute du diagnostiqueur n’est pas si simple à identifier. Il doit, impérativement, alerter le donneur d’ordre très explicitement sur la nécessité de réaliser des investigations plus poussées au titre de son devoir de conseil. En l’espèce, le diagnostiqueur aurait dû conseiller la réalisation d’un état parasitaire. Dans le même sens, pour ne pas avoir alerté l’acquéreur sur le risque d’infestation fongique (CA Rennes, 7 mars 2023, n° 20/04761 N° Lexbase : A33669H7).

Pour un diagnostic termites, la cour d’appel de Rennes a, encore, dans un arrêt du 14 mai 2023, retenu la responsabilité d’un diagnostiqueur au titre d’un manquement à son devoir de conseil pour ne pas avoir mentionné avoir constaté la présence d’un réceptacle rempli d’eau dans un vide sanitaire lors de la réalisation d’un état parasitaire alors même qu’il avait bien signalé la présence d’humidité et le décollement du parquet (CA Rennes, 14 mai 2023, n° 20/00617 N° Lexbase : A50129XW).

Le lecteur l’a bien compris, le diagnostiqueur est tenu d’une obligation de moyen voir même d’une obligation de moyen renforcé.

L’obligation du diagnostiqueur est, toutefois, différente en matière de mesurage « Carrez ». Il est tenu d’une obligation de résultat. La cour d’appel de Pau vient de le rappeler (CA Pau, 28 février 2023, n° 21/00188 N° Lexbase : A65189GI).

II. Établir la réalité d’un préjudice

Le diagnostic, qu’il soit prévu ou non par la loi, doit permettre à l’acquéreur de prendre sa décision en connaissance de cause en ce qui concerne l’état du bien dont l’achat est envisagé. Si l’information est inexacte, le diagnostic est privé de tout intérêt. Le diagnostiqueur peut donc être tenu d’indemniser l’acquéreur au titre des travaux réparatoires (A) mais, également, le vendeur au titre d’une perte de chance d’avoir pu vendre son bien au même prix ou l’acheteur d’avoir pu négocier (B).

Les juges du fond rappellent, néanmoins, que pour tendre à la condamnation du diagnostiqueur sur le fondement délictuelle, un lien de causalité entre la faute du diagnostiqueur et les dommages pour lesquels une indemnisation est sollicitée doit, nécessairement être démontré (CA Bordeaux, 9 mars 2023, n° 20/01622 N° Lexbase : A55889HG).

Le lecteur notera, également, que la preuve du dommage doit impérativement être rapportée. L’acquéreur qui se borne à communiquer seulement la partie normalisée d’un acte authentique de vente et un devis pour des travaux de désamiantage ne suffit pas à démontrer l’existence d’un préjudice au titre de la présence d’amiante en toiture (CA Rouen, 24 mai 2023, n° 22/02952 N° Lexbase : A51449XS).

A. Les travaux « réparatoires »

Depuis un célèbre arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 (Cass. mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686 N° Lexbase : A6242NM7), dès lors que le préjudice de l’acquéreur est certain :

  • le diagnostiqueur doit indemniser l’intégralité du préjudice résultant de l’inexactitude du rapport même s’il n’est prouvé aucun danger pour les occupants ;
  • le préjudice correspond au coût des travaux réparatoires, c’est-à-dire par exemple au coût des travaux de désamiantage.

La solution est constante :

  • la cour d’appel de Rennes a, dans un arrêt du 14 mars 2023, rappelé que le diagnostiqueur fautif doit indemniser intégralement les acquéreurs, non pas seulement au titre de la perte de chance, mais, également, au titre des travaux nécessaires pour, en l’espèce, traiter les zones atteintes par les infestations (CA Rennes, 14 mars 2023, n° 20/05766 N° Lexbase : A82259IH) ;
  • la cour d’appel de Douai a, de son côté, en matière d’amiante, rappelé que le diagnostiqueur doit indemniser l’intégralité du préjudice résultant de l’inexactitude de son rapport même s’il n’est prouvé aucun danger sanitaire pour les occupants (CA Douai, 9 mars 2023, n° 21/05179 N° Lexbase : A56689HE).

Les travaux réparatoires sont, cependant et il est important d’insister sur ce point, limités à ce qui est réparatoire et sont exclus, par exemple les travaux de peinture considérés comme des travaux d’embellissement qui, dans l’arrêt d’espèce rendu par la cour d’appel de Pau le 9 mai 2023, n’étaient pas prévus à l’origine (CA Pau, 9 mai 2023, n° 21/02142 N° Lexbase : A01919UM).

Le lecteur notera, néanmoins, une position divergente dont la portée semble toutefois limitée, de la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 12 mai 2023, qui après avoir pris acte du lien causal entre la faute du diagnostiqueur qui ne relève pas la présence d’amiante et la diminution de la valeur du bien immeuble a condamné les assureurs du diagnostiqueur au titre d’une perte de chance de négocier une réduction du prix de vente (CA Paris, 12 mai 2023, n° 19/11962 N° Lexbase : A71569UL).

B. La perte de chance

La formule est inlassablement reprise « la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (CA Rouen, 7 juin 2023, n° 21/04522 N° Lexbase : A34369ZB).

Le montant de la chance perdue de négocier le prix ou de vendre le bien au même prix est laissé à la libre appréciation des juges du fond.

Par exemple, la cour d’appel de Rennes a limité la perte de chance à hauteur de 20 % pour le vendeur d’avoir pu vendre son bien au même prix lorsqu’il n’est pas établi que le vendeur aurait renoncé à vendre son bien immobilier s’il avait eu connaissance d’un diagnostic de performance énergétique défavorable et qu’il conteste avoir dû faire face à des difficultés pour chauffer la maison / réfute tout défaut d’isolation (CA Rennes, 23 mai 2023, n° 20/05887 N° Lexbase : A06889XR).

Lorsque des travaux d’ampleur étaient en toute hypothèse prévus, la perte de chance de mieux apprécier l’opportunité de contracter a été évaluée, par la cour d’appel de Rennes le 16 mai 2023, à hauteur de 10 % (CA Rennes, 16 mai 2023, n° 20/06148 N° Lexbase : A71579WY).

Le lecteur notera, parallèlement, que le vendeur tenu à l’égard de l’acquéreur d’une indemnisation en diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie ni à l’encontre du notaire ni à l’encontre de l’agent immobilier ni même à l’encontre du diagnostiqueur (CA Rennes, 6 juin 2023, n° 22/02409 N° Lexbase : A27899ZC). L’acquéreur peut, toutefois, agir à leur encontre au titre d’une perte de chance d’avoir vendu son bien au même prix pour une surface moindre.

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