Le Quotidien du 2 février 2023 : Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Pas de pluralité d’exercice pour les avocats salariés

Réf. : CA Paris, 12 janvier 2023, n° 21/14533 N° Lexbase : A179989I

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N4177BZQ

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par Marie Le Guerroué

le 01 Février 2023

► La pluralité d'exercice permettant à l'avocat d'exercer son activité professionnelle en cumulant des modes d'exercice listés à l'article 7 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, n'est pas une faculté ouverte aux avocats salariés souhaitant cumuler ce mode d'exercice avec un exercice individuel, dès lors que l'interdiction de développer une clientèle personnelle à laquelle ils sont soumis n'a fait l'objet d'aucune modification législative.

Faits et procédure. Courant septembre 2020, un avocat collaborateur salarié inscrit au barreau des Hauts-de-Seine avait sollicité auprès du barreau de Paris l'autorisation d'ouvrir un établissement d'exercice à Paris en application du nouvel article 15.4.2 du Règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat N° Lexbase : L4063IP8 issu d'une décision du Conseil national des barreaux du 9 juillet 2020 publiée au Journal Officiel du 30 août 2020 :

« L’avocat peut disposer d’un ou plusieurs établissements d’exercice, distincts de son cabinet principal, lui permettant de cumuler des modes d’exercice listés à l’article 7 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971. »

Ce afin de pouvoir cumuler cette activité avec un exercice individuel au barreau de Paris. À la suite du refus de la commission d'exercice du barreau de Paris au motif que son inscription auprès du barreau des Hauts-de-Seine lui reconnaît le double statut d'avocat collaborateur salarié et d'avocat individuel, que selon l'article 15.4.1, alinéa 3, du RIN « la pluralité d'exercice ne déroge pas au principe énoncé à l'article 15.2 du présent règlement selon lequel l'avocat est inscrit au tableau de l'Ordre du seul barreau du lieu de son cabinet principal », et que sa demande aboutirait à un cumul d'exercices individuels prohibé par les textes, il avait saisi le conseil de l'Ordre du barreau de Paris. Par arrêté du 7 juin 2021, le conseil de l'Ordre du barreau de Paris, jugeant illégale la demande d'ouverture d'établissement d'exercice, avait rejeté la demande d'inscription. L’avocat a formé un recours contre cette décision.

Réponse de la CA. La cour relève que la demande de l’avocat a pour seul objet d'obtenir une autorisation d'ouverture d'un établissement d'exercice afin d'y exercer à titre individuel son activité d'avocat et de développer sa clientèle personnelle. Elle ajoute que le choix de pluriexercer la profession d'avocat ne constitue pas une liberté personnelle laissée à la seule discrétion de l'avocat, mais doit être conforme aux dispositions légales applicables et que la question en débat est le champ d'application du pluriexercice issu de la décision du Conseil national des barreaux du 9 juillet 2020 portant modification du Règlement intérieur national (RIN) au regard des dispositions de l'article 7 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, de la loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC ainsi que son décret d'application du 29 juin 2016 N° Lexbase : L1249K97.

La cour d’appel procède dans un premier temps à un rappel des dispositions applicables :

  • le nouvel article 14.1, alinéa, 4 du RIN énonce que : « Le collaborateur salarié ne peut avoir de clientèle personnelle, pendant l'exécution de son contrat de travail, à l'exception de celle des missions d'aide juridique pour lesquelles il est désigné par le Bâtonnier. Il peut avoir une clientèle personnelle en dehors de l'exécution de son contrat de travail » ;
  • l'article 14.3 dans sa nouvelle version précise que : « L'avocat collaborateur salarié ne peut constituer ni développer de clientèle personnelle pendant l'exécution de son contrat de travail ; dans le cadre de cette exécution, il doit se consacrer exclusivement au traitement des dossiers qui lui sont confiés, ainsi qu'aux missions d'aide juridictionnelle et de commissions d'office pour lesquelles il a été désigné » ;
  • selon l'article 7 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971 modifié par ordonnance n° 2016-394, du 31 mars 2016 : « L'avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d'une association dont la responsabilité des membres peut être, dans des conditions définies par décret, limitée aux membres de l'association ayant accompli l'acte professionnel en cause, soit au sein d'entités dotées de la personnalité morale, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant, soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat ou d'une association ou société d'avocats ou d'une société ayant pour objet l'exercice de la profession d'avocat. Il peut également être membre d'un groupement d'intérêt économique ou d'un groupement européen d'intérêt économique [...]. L'avocat salarié ne peut avoir de clientèle personnelle. Dans l'exercice des missions qui lui sont confiées, il bénéficie de l'indépendance que comporte son serment et n'est soumis à un lien de subordination à l'égard de son employeur que pour la détermination de ses conditions de travail … »

Il résulte de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 que les modes d'exercice de la profession d'avocat sont variés : l'avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit en qualité d'associé d'une structure d'exercice (association, société civile professionnelle, société d'exercice libéral ou société en participation), soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat, d'une association, d'une société d'avocats ou d'une société ayant pour objet l'exercice de la profession d'avocat. Il peut également être membre d'un groupement d'intérêt économique ou d'un groupement européen d'intérêt économique. Cet article distingue donc expressément les exercices à titre individuel et en qualité d'avocat salarié en sorte que ces exercices ne sont pas en soi assimilables. En revanche, cet article, rappelle la cour, fait interdiction aux avocats salariés d'avoir une clientèle personnelle. Il n'a fait l'objet d'aucune modification législative, en particulier à l'issue de l'adoption de la loi n° 2015-990, du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC et du décret d'application du 29 juin 2016 N° Lexbase : L1249K97 ayant supprimé le principe d'unité d'exercice en autorisant aux associés de SEL, de SCP ou d'associations d'avocats de cumuler plusieurs modes d'exercice prévus à l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971, mais également à l'issue de l'arrêt du Conseil d'État du 5 juillet 2017 ayant jugé que « si les dispositions de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 énumèrent, de façon limitative, les formes selon lesquelles un avocat peut exercer sa profession, ni ces dispositions ni celles de la loi du 31 décembre 1990 n'interdisent à un associé d'une société d'exercice libéral d'exercer la profession d'avocat sous plusieurs formes énumérées à l'article 7 » (CE, 1°-6° ch. réunies ,5 juillet 2017, n° 403012, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7769WLC). Il ne peut, selon la CA, se déduire de la loi du 6 août 2015, de son décret d'application du 29 juin 2016 et de l'interprétation qu'en a fait le Conseil d'État, ayant trait à la possibilité de pluriexercice offerte aux associés d'une structure, que cette possibilité s'étendrait nécessairement aux avocats salariés, alors que les premiers développent une clientèle personnelle et que les seconds sont astreints à l'interdiction d'en avoir une. Cette interdiction, expressément prévue par l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 et liée au mode d'exercice en qualité d'avocat salarié, ne souffre d'aucune exception. Elle n'est pas contraire aux dispositions de droit européen relatives à la liberté d'établissement, et n'a pas pour effet de priver l'avocat ayant fait le choix d'exercer en qualité de salarié de son droit de propriété sur une clientèle.

Les juges ajoutent qu'en vertu du principe de la hiérarchie des normes, l'application de cet article issu d'une loi, faisant interdiction à un avocat salarié d'avoir une clientèle personnelle, prime sur celle de l'article 14.1, alinéa 3 nouveau, du RIN issu d'une décision d'une Conseil national des barreaux, prévoyant que le collaborateur salarié peut avoir une clientèle personnelle en dehors de l'exécution de son contrat de travail. En outre, selon la cour, ni le guide pratique relatif à la pluralité d'exercice édité en novembre 2020 par le Conseil national des barreaux indiquant que « le principe est donc la possibilité de cumuler une collaboration salariée y compris à temps plein avec une activité libérale », ni les avis déontologiques dudit Conseil, en particulier celui du n° 2020-028, du 15 décembre 2020, ne sont de nature à écarter l'application de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 non modifié.

Au vu de ces éléments, les juges du fond en déduise la solution susvisée.

Rejet. L’avocat appelant est donc mal fondé en sa demande d'autorisation d'ouverture d'un établissement d'exercice pour y exercer à titre individuel. L'arrêté qui a rejeté la demande d'inscription et non pas d'autorisation d'ouverture d'un établissement d'exercice est infirmé et la cour déboute l'intéressé de sa demande d'ouverture d'établissement d'exercice afin d'y exercer à titre individuel son activité d'avocat.

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