Le Quotidien du 7 décembre 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Procès en appel des « écoutes » : ouverture des débats, QPC et exception de nullité

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[A la une] Procès en appel des « écoutes » : ouverture des débats, QPC et exception de nullité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/90432909-0
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par Helena Viana

le 07 Décembre 2022

13 heures 30. Salle Marie Dario. Plateau correctionnel de l’ancien palais sur l’Île de la cité. C’est là que se tient depuis le lundi 5 décembre 2022 le procès en appel de l’affaire dite des « écoutes de Paul Bismuth », dont les prévenus sont les mêmes qu’en première instance : l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et le magistrat, ancien avocat général près la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, Gilbert Azibert.

Délimitation de l’acte d’appel. Tous déclarés coupables en première instance, la présidente prend le soin de leur rappeler respectivement les faits qui leur sont reprochés et les questionne chacun leur tour sur l’étendue de leur appel.

Gilbert Azibert est le premier à se présenter devant la cour et confirme que son appel porte sur l’intégralité du jugement de première instance.

Vient le tour de Nicolas Sarkozy. Il ne peut se restreindre à répondre succinctement, tant le sentiment d’injustice l’habite. À la question de savoir s’il conteste sa culpabilité et/ou sa peine, il affirme le faire « avec la plus grande force » à deux reprises. L’ex-Président se lance ensuite dans un propos liminaire en survolant les éléments du dossier. Il insiste sur la nécessité du respect des droits de la défense, sur la force des accusations dirigées à son encontre, sur les moyens colossaux employés par l’institution judiciaire et sur l’intrusion massive dans sa vie privée, faisant notamment allusion aux nombreuses écoutes dont il a fait l’objet.

« Le parquet national financier a indiqué que j’avais utilisé des méthodes de délinquant chevronné »

Nicolas Sarkozy ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque le parquet national financier (PFN), institution créée en 2013 qu’il accuse de l’avoir traqué pour avoir utilisé une deuxième ligne téléphonique afin de communiquer avec son avocat. Des conversations dont il estimait légitime d’assurer ainsi la confidentialité. Il insiste sur le tort que lui ont causé son placement en garde à vue, l’épluche de ses fadettes, les écoutes, etc. Et il ajoute que s’il fait appel c’est parce que le tribunal a indiqué qu’un faisceau d’indices a conduit à la culpabilité, or, selon lui, ces indices font fi de l’obligation de fonder la condamnation sur des preuves.

« Veuillez excuser ma véhémence, mais quand on est innocent, on est indigné. Je viens ici défendre mon honneur, qui a été bafoué dans des conditions invraisemblables. Je viens pour convaincre la cour que je n’ai rien fait »

Thierry Herzog, lui, sera plus bref. Il assure n’être coupable ni de violation du secret professionnel, ni de corruption, ni de trafic d’influence. Il fait part à la cour de son attachement et son « amour pour [sa] profession d’avocat » qu’il exerce depuis quarante-trois ans et appelle les conseillers à « rétablir [son] honneur ».

Une fois la saisine de la cour délimitée, la défense est invitée à présenter la double question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que l’exception de nullité soulevée dans les mémoires déposés « longuement en avance », comme ne manque pas de le souligner le ministère public avec une obligeance courtoise.  

QPC et exception de nullité. Trois questions intéressent donc la cour ce lundi après-midi.

  1. La question prioritaire de constitutionnalité portant sur la possibilité pour le juge d’instruction d’exploiter les fadettes. Plus précisément, la question posée est celle de savoir si les articles 99-3 N° Lexbase : L8001MBX, 100-3 N° Lexbase : L4942K8K, 100-4 N° Lexbase : L3430AZ3, 100-5 N° Lexbase : L1325MAC du Code de procédure pénale dans leur version applicable à l’époque des faits, sont conformes à la Constitution en ce qu’ils permettent au juge d’instruction d’exploiter les fadettes d’un avocat sans la moindre garantie procédurale.

Le premier argument mis en avant concerne la modification législative intervenue depuis l’application des textes précités. En effet, tel que le soutient Me Jaqueline Laffont, avocate de Nicolas Sarkozy, dans ses observations, « nous avons utilisé des moyens de droit, des moyens légitimes, ni dilatoires, ni déplacés. Et ces moyens sont tellement légitimes qu’une grande partie des actes que nous avons contestés ne pourraient plus avoir lieu aujourd’hui ». Depuis la loi n° 2021-1728, du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459821T, les garanties relatives au secret professionnel et en particulier celles relatives aux correspondances entre un avocat et son client ont été renforcées. Ainsi la nouvelle rédaction de l’alinéa 3 de l’article 100 du Code de procédure pénale subordonne-t-il l’interception de la ligne d’un avocat, à l’encontre duquel il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction, en instruction comme en enquête, à une décision écrite et motivée du juge des libertés et de la détention. Ont également été mis en avant notamment les nouvelles dispositions limitant l’enquête préliminaire à deux ans, et la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-952, du 3 décembre 2021 N° Lexbase : A00977EC, déclarant inconstitutionnelles les dispositions de l’article 77-1-1 N° Lexbase : L7999MBU et 77-1-2 N° Lexbase : L8000MBW du Code de procédure pénale permettant de requérir des données informatiques dans le cadre d’enquête préliminaire.

  1. L’exception de nullité tendant à l’annulation de l’enquête parallèle menée et constitutive, selon la défense, d’un stratagème déloyal.

Ce qui est ici critiqué est l’existence d’une enquête préliminaire parallèle, à laquelle les conseils des prévenus n’ont pas eu accès, malgré les douze demandes en ce sens. On reproche alors à cette enquête « secrète » d’avoir méconnu le respect du principe du contradictoire et d’avoir eu pour objet de dissimuler à la défense des « éléments à décharge ». Cette « dualité des procédures » porterait donc atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et du droit à la communication des preuves, engendrant une nécessaire inégalité des armes.

  1. La QPC portant sur les articles 179 N° Lexbase : L8054LAK et 385 N° Lexbase : L3791AZG du Code de procédure pénale en ce qu’ils ne prévoient pas l’exception dans laquelle le prévenu n’aurait pas eu connaissance d’une procédure affectée d’un vice.

Cette absence méconnaîtrait le droit à un recours effectif au motif que des éléments de procédure seraient portés à la connaissance du prévenu après l’ORTC rendue définitive, laquelle purge en principe les nullités et fait obstacle à toute contestation sur la régularité des actes antérieurs.  

Réquisitions. Dans un format plus condensé, le ministère public requiert l’irrecevabilité de la QPC concernant l’article 385 du Code de procédure pénal en invoquant une déclaration de conformité du Conseil constitutionnel saisi sur le fondement de l’article 60 de la Constitution. Il conclut à la recevabilité de la QPC sur les articles 99-3, 100-3 et suivants mais constate qu’elle n’est pas fondée, faute de caractère sérieux. Quant à l’exception de nullité soulevée, la parquetière fait valoir qu’aucune poursuite n’est possible sur le fondement de l’enquête dont il est demandé l’annulation, celle-ci ayant été clôturée pour infraction insuffisamment caractérisée. Elle en conclut qu’elle échappe ainsi au regard de la cour conformément à l’acte de saisine de la cour.

Maître Hervé Temime clôturera ces premiers débats in limine litis en réfutant l’argumentaire du parquet selon lequel le Conseil constitutionnel aurait déjà, sur saisine a prior, déclaré conforme à la Constitution l’article 179 du Code de procédure pénale (Cons. const., décision n° 93-326 DC, du 11 août 1993, § 23 à 25 N° Lexbase : A8286ACU, qui portait sur la première disposition légale créant un mécanisme de couverture alors logé à l’article 178). Il explique en effet que cette décision a simplement déclaré conforme le principe même de la purge des nullités, sans pour autant valider précisément l’impossibilité pour un justiciable de soulever la nullité d’une procédure dont il apprendrait l’existence après l’ORTC.

Décision de la cour. Après une courte suspension d’audience, la présidente informe les parties de ce que l’exception de nullité est jointe au fond. Les QPC, quant à elles, sont mises en délibéré au 7 février 2023 à 13 heures 30, ce qui peut étonner puisque l’article 23-2 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel impose à la juridiction de statuer « sans délai ».

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