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par Anne Leleu-Eté, Avocate associée, fondatrice du cabinet Axel Avocats
le 23 Novembre 2022
Mots-clés : outil de gestion • utilité • contentieux • rédaction • contenu • mise à jour
La fiche de poste est un outil non obligatoire, mais indispensable à l’entreprise, du recrutement du salarié jusqu’à la rupture du contrat de travail. Elle peut être un élément stratégique de la relation de travail, à condition d’être bien rédigée au préalable.
Il n’existe aucune définition légale de la fiche de poste.
Si Pôle Emploi la définit comme une « description factuelle et réelle d’un poste à un instant T, […] (qui) assoit les missions et activités de son titulaire au sein de l’entreprise », certains parlent de photographie, ou de carte d’identité d’un poste.
Il s’agit effectivement d’un document qui récapitule les missions et responsabilités confiées au salarié qui occupera tel poste dans l’entreprise.
Non obligatoire, ce document peut toutefois révéler tout son intérêt à certains moments de la vie du contrat de travail : du recrutement à la rupture du contrat, les étapes au cours desquelles la fiche de poste devient un document de référence sont en effet multiples, et sa rédaction doit être anticipée pour qu’elle devienne un document utile au dossier.
Comment un document non obligatoire peut-il s’avérer être un élément stratégique de la relation de travail ? Quelles doivent être les bonnes pratiques en matière de contenu de la fiche de poste ?
Nous décryptons ces différents points.
I. La fiche de poste, un document certes non obligatoire, mais qui prend son intérêt au cours de la relation de travail
A. La fiche de poste, socle de l’analyse par le juge de multiples dossiers
Il n’est pas rare de constater, dans nombre d’entreprises, que les fiches de poste n’existent pas du tout, ou pas pour tous les postes. Parfois, seuls les nouveaux embauchés bénéficient d’une fiche de poste tandis que leurs collègues d’une plus grande ancienneté ne l’ont pas en leur possession.
Est-ce synonyme de difficulté ? A priori non car, nous l’avons indiqué en introduction, la fiche de poste n’est pas un document obligatoire. Son existence ne fait en effet l’objet d’aucune obligation légale ni jurisprudentielle.
En ce sens, l’employeur ne prend pas de risque juridique à proprement parler en ne mettant pas en place de fiche de poste.
La fiche de poste est-elle inutile pour autant ? Non, la fiche de poste est loin d’être superflue.
En analysant la jurisprudence et par expérience, la situation est même plutôt inverse : la fiche de poste sert de document de référence au juge dans un certain nombre de contentieux.
Pour déterminer la classification d’un salarié, par exemple, le juge peut se référer à sa fiche de poste afin d’apprécier la teneur et la nature des missions [1].
Le juge se reporte également à la fiche de poste d’un salarié afin de déterminer s’il a la compétence et le pouvoir de prononcer un licenciement [2], ou pour déterminer si le poste d’un salarié a été vidé de sa substance dans le cadre d’une réorganisation interne, justifiant une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur [3].
Face à des demandes de requalifications de CDD en CDI, la fiche de poste peut servir de fondement au juge pour vérifier si les fonctions confiées au salarié relèvent de l’activité normale et permanente de l’entreprise [4].
En matière d’inaptitude encore, le juge va se fonder sur la fiche de poste du salarié pour vérifier l’adéquation du poste de reclassement avec les aptitudes du salarié [5] ou avec les préconisations du médecin du travail et les obligations de l’employeur [6].
Le juge peut également être amené à analyser la fiche de poste d’un salarié qui se prévaut de missions qu’il estime subalternes et vexatoires pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur [7].
La fiche de poste enfin peut avoir un intérêt y compris dans des dossiers hors du champ strictement individuel. L’on citera notamment le cas de la fiche de poste d’un chef d’établissement qui est analysée afin de déterminer si l’établissement en question peut réunir les critères nécessaires (et notamment celui de l’autonomie de gestion) permettant de caractériser l’existence d’un établissement distinct [8].
B. La fiche de poste, utile aux deux parties dans la relation de travail
Au-delà de ces sujets contentieux, la fiche de poste est éminemment utile dans la relation de travail, et ce, pour les deux parties.
Le salarié, tout d’abord, doit savoir ce qui est attendu de lui, ses missions et ses responsabilités.
La fiche de poste communiquée lors du recrutement, puis jointe au contrat de travail, permet donc au candidat/collaborateur, de savoir à quoi s’attendre et à quoi il s’engage.
Le salarié devra bien comprendre le rôle de la fiche de poste : la fiche de poste ne prescrit pas le travail. Au contraire du contrat de travail, elle ne sert pas à dire au salarié ce qu’il doit ou ne doit pas faire, mais expose « uniquement » les missions dédiées au poste occupé. La fiche de poste ne sert pas non plus de « guide de bonnes pratiques » qui aiderait le salarié dans le bon accomplissement de son travail. Le salarié ne pourra justifier une erreur du fait d’une imprécision de la fiche de poste dans un process par exemple.
Concernant l’employeur, comme nous l’avons vu, les enjeux de la fiche de poste sont nombreux et se révèlent à toutes les étapes de la relation de travail.
Lors du recrutement, la fiche de poste aidera l’employeur à publier une offre d’emploi précise et adaptée à la réalité du poste à pourvoir pour bien cibler le type de profil recherché.
La fiche de poste va également permettre de situer le collaborateur dans la grille de classification et ainsi déterminer son niveau de salaire, voire arbitrer des points tels que le droit au télétravail ou encore l’aménagement du temps de travail qui sera imposé au salarié, selon le niveau d’autonomie attendu sur son poste.
Au cours de la vie du contrat, la fiche de poste servira de support aux managers et aux équipes RH pour évaluer le collaborateur dans la réalisation de ses missions, dans l’évolution de ses compétences et pour lui fixer de nouveaux objectifs à l’occasion des entretiens annuels d’évaluation. Le fait de s’appuyer sur la fiche de poste permet d’assurer l’objectivité de cette évaluation, fondée sur des attentes connues du collaborateur.
Le « plus » : la fiche de poste peut être utilisée comme outil pour construire des campagnes de communication externe à l’entreprise dans le cadre de présentation des métiers par exemple, pour donner de la visibilité aux besoins de recrutement ou pour attirer des talents. Elle peut se révéler être un outil facilitant dans la construction d’une politique de GEPP. |
En fin de contrat, la fiche de poste peut permettre de sécuriser un licenciement : elle peut en effet servir de base à des motifs tels que l’insuffisance professionnelle ou la faute fondée sur un refus d’exécuter certaines fonctions. Il a été reconnu que l’employeur peut en effet licencier pour faute un salarié qui refuse de réaliser les missions inscrites sur sa fiche de poste [9]. La fiche de poste sera également utilisée, en cas d’inaptitude du salarié ou bien en cas de licenciement pour motif économique, pour les recherches de reclassement.
II. La nécessité d’une rédaction adaptée
A. Comment bien construire la fiche de poste ?
La fiche de poste ne peut pas être rédigée uniquement par le service RH.
Les managers, opérationnels, doivent concourir à sa construction afin d’apporter au service RH un appui sur l’aspect technique des missions et pour représenter au mieux la réalité du terrain.
L’objectif étant d’en faire un véritable outil de gestion, la fiche de poste doit, par ailleurs, être rédigée selon une méthode identique à toutes les fiches de poste. Cela en facilite la comparaison et permet aux différents acteurs de s’y retrouver plus facilement.
La fiche de poste ne comporte aucune obligation quant à son contenu.
En pratique, il est commun d’y faire figurer les éléments suivants :
Cette liste est bien entendu non limitative et dépend le plus souvent de choix pris en interne.
B. Précision et actualisation de la fiche de poste
En pratique, l’intérêt d’une fiche de poste et l’utilité qu’elle pourra avoir pour le salarié et l’employeur dépendront, en majorité, de son contenu.
En effet, une fiche de poste mal rédigée, imprécise voire erronée sur certains points sera non seulement inutile mais, surtout, pourrait avoir un effet désastreux dans le cadre d’un contentieux.
Outil rapidement obsolète, il est aussi très important que la fiche de poste soit actualisée, afin qu’elle évolue en même temps que le poste lui-même : nouvelles missions, introduction de nouvelles technologies, changement de rattachement hiérarchique … Il n’est en effet pas rare de constater, dans le cadre de certains dossiers, que la fiche de poste n’a pas changé alors même que les missions ont évolué au fil des années.
Or, lorsque des difficultés apparaissent relativement aux missions à exécuter, l’employeur doit pouvoir se fonder sur une fiche de poste actualisée.
À défaut, il prend le risque de ne pas pouvoir faire les constats souhaités ou pire, de permettre au salarié d’alimenter un argumentaire visant à faire constater une modification du contrat de travail.
C. Les enjeux de la mise à jour de la fiche de poste
Même si elle est jointe au contrat de travail, la fiche de poste n’a pas nécessairement de valeur contractuelle.
En effet, le contenu de cette fiche de poste ne fait pas l’objet, en principe, d’une validation de la part du collaborateur.
La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé qu’il n’y avait pas de modification du contrat de travail, dès lors que les nouvelles tâches confiées au salarié correspondaient à sa qualification et n’avaient aucune incidence sur sa rémunération [10]. L’employeur peut même affecter temporairement un salarié à des travaux différents mais correspondant à sa qualification sans qu'il en résulte une modification du contrat ou des conditions de travail [11].
Le conseil pratique : attention toutefois à la rédaction du contrat, dans lequel il conviendra de bien rappeler que :
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[1] Cass. soc., 6 mars 2019, n° 17-27.896, F-D N° Lexbase : A0018Y33.
[2] Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-42.296, FS-P+B N° Lexbase : A7658GAU.
[3] CA Versailles, 10 novembre 2016, n° 16/00269 N° Lexbase : A42618TY.
[4] Cass. soc., 15 septembre 2021, n° 19-23.909, F-D N° Lexbase : A9192449.
[5] Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 19-21.881, F-D N° Lexbase : A171438Y.
[6] Cass. soc., 23 novembre 2016, n° 15-21.470, F-D N° Lexbase : A3610SLB.
[7] Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-30.224, F-D N° Lexbase : A5028HTE.
[8] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, FS-P+B N° Lexbase : A58943CB.
[9] Cass. soc., 2 décembre 2014, n° 13-28.505, FS-P+B N° Lexbase : A0689M7N.
[10] Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-40.087, F-D N° Lexbase : A3730GBR.
[11] Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-17.676, F-D N° Lexbase : A7895X48.
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