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par Yann-Maël Larher, docteur en droit social et avocat spécialisé dans les relations numériques du travail, co-fondateur du cabinet Legal Brain Avocats
le 09 Novembre 2022
Mots-clés : surveillance • entreprise • salarié • droit du numérique • vie privée • fiscalité́ • droit du travail • vidéosurveillance • CNIL • RGPD
Dans son rapport annuel 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rapporte une hausse des cas de surveillance du salarié par l’employeur et souligne que certains dispositifs de contrôle des salariés travaillant à distance sont excessifs. La question de la surveillance des salariés est loin d’être marginale lorsque les nouvelles technologies permettent un contrôle toujours plus poussé de la productivité des travailleurs. Dans le cadre de son pouvoir de direction et disciplinaire, il faut rappeler que l’employeur doit s’assurer de la bonne exécution du travail de ses salariés. « L’employeur a le droit et même le devoir de surveiller l’activité de ses salariés » [1]. Il lui incombe notamment, en matière de durée du travail, l'obligation de fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires qu'il a effectivement réalisés. Mais jusqu’où peut-il aller pour rendre ce contrôle effectif ?
Le contrôle désigne au sens littéral « l’action de contrôler quelque chose, quelqu’un, de vérifier leur état ou leur situation au regard d’une norme » [3]. Dans l’usine, la surveillance du salarié était matérialisée par une pointeuse et un contremaître. La première s’assurait que le salarié arrivait et partait bien à l’heure, le second s’assurait que le salarié suivait bien le rythme imposé par la cadence de la machine. La révolution numérique introduit une nouvelle rupture [4]. « S’ouvre désormais l’ère du ‘‘contremaître virtuel’’ pouvant tout exploiter sans que le salarié en ait toujours parfaitement conscience et permettant, le cas échéant, au-delà des légitimes contrôles de sécurité et de productivité des salariés, d’établir le profil professionnel, intellectuel ou psychologique du salarié » [5]. À la surveillance physique et présentielle, on peut aujourd’hui suppléer la comptabilisation de chaque action du salarié. Le développement des nouvelles technologies a permis à l’employeur d’introduire des dispositifs de contrôle et de surveillance au sein de l’entreprise qui complètent le contrôle humain ou s’y substituent. Se faisant, les technologies numériques et les moyens de surveillance qu’elles offrent opèrent un nouvel équilibre entre les prérogatives de l’employeur et la liberté dont jouit le salarié [6]. L’évolution du rapport de travail tend à entraîner une concentration du pouvoir de l’employeur sur le contrôle de l’activité (II.). Ce pouvoir se heurte toutefois à la prise en compte des libertés des salariés et en particulier la protection de sa vie privée (I.).
I. Les données personnelles et la protection de la vie privée du salarié au travail
La protection des données personnelles est gouvernée par des normes internationales, communautaires et nationales, au premier rang desquelles figure l’article 8 relatif au respect de la vie privée de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR [7]. Cet article définit le droit au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ce droit est toutefois sujet à des restrictions « prévues par la loi » et « nécessaires, dans une société démocratique ».
La protection des données à caractère personnel est devenue un sujet majeur dans les relations sociales. A priori, le pouvoir de contrôle de l’employeur est plus étendu grâce aux technologies de l’information et de la communication. La vidéosurveillance, les puces RFID, la géolocalisation, le fait de pouvoir joindre un salarié partout (notamment sur son portable) représentent autant de moyens qui permettent à l’employeur de savoir ce que le salarié fait. Mais se faisant il pourra potentiellement atteindre à la vie personnelle. C’est d’autant plus vrai lorsque le salarié travaille à son domicile. La dissémination toujours plus importante des données personnelles et la capacité croissante d’un certain nombre d’acteurs, à regrouper les données concernant un même individu, causent une perte de maîtrise de leurs données par les individus et des risques dont ceux-ci ne perçoivent encore qu’imparfaitement la matérialité. En effet, le respect de la vie privée du salarié inclut la protection de ses données personnelles et le respect de la confidentialité des correspondances et communications personnelles. Dès qu’il est possible de rattacher une information à une personne, même par le biais d’un cryptage ou d’un numéro d’identification, cette information constitue une donnée à caractère personnel, et elle est à ce titre protégée par la loi.
A. La correspondance privée du salarié : la jurisprudence de la CEDH
La Cour européenne des droits de l’homme a clairement affirmé que : « le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables. Il paraît, en outre, n’y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de vie privée comme excluant les activités professionnelles ou commerciales : après tout, c’est dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur. Un fait, souligné par la Commission, le confirme : « dans les occupations de quelqu’un, on ne peut pas toujours démêler ce qui relève du domaine professionnel de ce qui en sort » [8]. Dans l’affaire Halford c. Royaume-Uni, la CEDH a établi que l’interception d’appels téléphoniques passés par les salariés depuis leur poste de travail constitue une violation de l’article 8 de la Convention. La Cour, dans cet arrêt, affirme qu’« il ressort clairement de sa jurisprudence que les appels téléphoniques émanant de locaux professionnels, tout comme ceux provenant du domicile, peuvent se trouver compris dans les notions de vie privée et de correspondance visées à l’article 8, § 1er. Rien ne prouve que Mme Halford ait été prévenue, en qualité d’utilisatrice du réseau interne de télécommunications [...], que les appels passés sur ce système étaient susceptibles d’être interceptés. La Cour estime qu’elle pouvait raisonnablement croire au caractère privé de ce type d’appels » [9].
🔎 En pratique : respect de la vie privée sur le lieu de travail Il résulte des enseignements de la jurisprudence de la CEDH que les salariés peuvent légitimement s’attendre au respect de leur vie privée sur leur lieu de travail. Ce droit existe même s’ils utilisent des outils de communication ou d’autres équipements professionnels de l’employeur. La CEDH ne juge ni possible ni nécessaire de chercher à définir de manière exhaustive la notion de « vie privée ». Il serait toutefois trop restrictif de la limiter à un «cercle intime» où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’en écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle. Dans les occupations de quelqu’un, on ne peut pas toujours démêler ce qui relève du domaine professionnel de ce qui en sort. La protection continue à jouer en faveur d’un individu dont les activités professionnelles et non professionnelles s’imbriqueraient à un point tel qu’il n’existerait aucun moyen de les dissocier comme l’illustre par exemple l’usage de LinkedIn ou encore de certaines messageries. |
B. La protection de l’intimité du salarié au travail
La distinction entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié conduit à permettre une surveillance plus stricte du travailleur au temps et au lieu du travail que pendant les périodes où le salarié échappe à l’autorité de l’employeur [10].
La Cour de cassation déclare toutefois que « le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances » [11].
Même lorsqu’il est au travail, une part de la personne du salarié échappe donc au pouvoir de l’employeur. Celui-ci ne saurait, par exemple, interdire toute conversation étrangère au service entre salariés [12].
Dans son questions-réponses sur le télétravail [13], la CNIL rappelle par exemple que lorsqu’il n’est pas possible de flouter l’arrière-plan (où l’on peut voir l’intimité de son domicile), l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il active sa caméra en permanence à l’occasion d’une réunion en visioconférence sauf dans des cas particuliers comme un entretien RH ou une rencontre avec des clients extérieurs.
II. Les grands principes des règles de protection des données personnelles appliqués aux dispositifs de surveillance
Un employeur a le droit de contrôler à tout moment l’activité de son personnel sans le prévenir. Cela fait partie de son pouvoir de direction. Attention toutefois, si un employeur ne veut plus se contenter d’un contrôle humain, mais souhaite installer du matériel de surveillance (caméras, écoutes téléphoniques, GPS dans un véhicule de la société...), il devra alors non seulement se conformer aux exigences de la loi informatique et liberté, informer ses équipes et consulter le CSE. Suivant l’article 6 de la loi « Informatique et Libertés » N° Lexbase : L8794AGS, un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions mentionnées.
Il convient, dès lors, d’évaluer l’incidence de chacun des principes clés de la protection des données personnelles appliquée à la relation de travail : le principe de finalité (A.), le principe de proportionnalité et de pertinence des données (B.), le principe d’une durée de conservation des données limitée (C.), le principe de sécurité et de confidentialité des données (D.), le principe du respect des droits des salariés (E.).
A. Le principe de finalité
Le principe de finalité découle de l’obligation de loyauté des cocontractants. En effet, suivant le premier alinéa de l’article 4 de la loi « Informatique et Libertés », « les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ». Le deuxième alinéa précise qu’« elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Toutefois, un traitement ultérieur de données à des fins statistiques ou à des fins de recherche scientifique ou historique est considéré comme compatible avec les finalités initiales de la collecte des données ».
🔎 En pratique : la webcam n’est pas un outil de surveillance ! Certains employeurs obligent leur salarié à utiliser leur caméra durant l’intégralité de leur journée de travail. On parle notamment de vidéosurveillance (par webcam). Cette pratique est illégale puisque la surveillance permanente d’un salarié n’intervient que dans des cas exceptionnels dûment justifiés au regard de la nature de la tâche. Un tel un système ne peut donc pas être mis en œuvre, qu’il s’agisse de poursuivre un objectif de sécurité ou un objectif de surveillance du temps de travail. Les enregistrements issus de ces pratiques ne peuvent pas non plus être utilisés contre le salarié. C’est ce que rappelle un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2021 (Cass. soc., 23 juin 2021, n° 19-13.856, FS-B N° Lexbase : A40994X4). En l’espèce, une cour d’appel avait constaté qu’un salarié, exerçant seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée. Elle avait pu en déduire, à bon droit, que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle de l’intéressé et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, ne sont pas opposables au salarié. Une surveillance permanente des salariés par la vidéo doit être condamnée dans son principe, en raison de l’atteinte qu’elle porte à l’identité de l’individu. « L’enregistrement continu des faits et gestes du salarié dans son activité professionnelle permet en effet de mettre en évidence des éléments qui ne relèvent pas de la sphère professionnelle, mais ressortent de la personnalité, de l’identité de l’individu » (M. Grévy, Vidéosurveillance dans l’entreprise : un mode normal de contrôle des salariés ?, Droit social, 1995, p. 329). Seules peuvent être envisagées des hypothèses dans lesquelles des raisons objectives et incontestables sont établies : employé manipulant de l’argent par exemple, mais la caméra doit davantage filmer la caisse que le caissier ; entrepôt stockant des biens de valeurs au sein duquel travaillent des manutentionnaires. Les caméras ne doivent pas non plus filmer les zones de pause ou de repos des employés, ni les toilettes (CNIL, délibération n° 2014-307 du 17 juillet 2014 : l’entreprise Providis Logistique a été condamnée à une amende de 5.000 € pour manquements répétés à la loi « Informatique et Libertés ». Elle filmait de manière continuelle et disproportionnée ses employés dans des espaces qui leur étaient pourtant réservés (accès aux vestiaires, salles de repos). Enfin, elles ne doivent pas filmer les locaux syndicaux ou des représentants du personnel, ni leur accès lorsqu’il ne mène qu’à ces seuls locaux (N. Moinet, La boîte à outils de la sécurité économique, Dunod, 2015, p. 23). |
B. Le principe de proportionnalité et de pertinence des données
Le système mis en place doit être proportionnel au but recherché. L’article L. 1121-1 du Code du travail précise que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » N° Lexbase : L0670H9P. L’article L. 1321-3 du Code du travail N° Lexbase : L7923LCG, qui aborde les restrictions possibles des droits des salariés par le règlement intérieur, va également dans le sens de la proportionnalité. Le traitement d’informations faisant apparaître les opinions et convictions qui sont en rapport avec l’état de santé et la vie sexuelle, y compris les données génétiques, est interdit, hormis certaines exceptions énumérées de façon limitative par la loi.
Suivant le troisième alinéa de l’article 4 de la loi « Informatique et Libertés », les données collectées doivent également être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ». Le pouvoir « discrétionnaire » laisse ainsi place à un contrôle de la légitimité, à un contrôle des justifications.
🔎 En pratique : géolocalisation des véhicules des entreprises Pourquoi une entreprise aurait-elle besoin de localiser en temps réel un véhicule ? Il apparaît ici que c’est d’abord la sûreté ou la sécurité de l’employé, des marchandises ou du véhicule dont il a la charge qui peut être à l’origine du système de géolocalisation. Si la CNIL reconnaît qu’une finalité accessoire du traitement peut être le suivi du temps de travail lorsqu’il ne peut pas être réalisé par un autre moyen, c’est sous réserve de ne pas collecter ou traiter de données de localisation en dehors du temps de travail des salariés concernés. Cette interdiction vise en particulier les trajets domicile-lieu de travail, ainsi que les temps de pause. Les salariés doivent avoir la possibilité de désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules en particulier à l’issue du temps de travail ou pendant les temps de pause (A. Gardin, Géolocalisation du véhicule du salarié : quand finalité, proportionnalité et fiabilité font loi, RDT., 2015, p. 544.). Un salarié peut demander communication des données de géolocalisation de son véhicule de fonction pour faire reconnaître un accident de la circulation comme accident du travail. En cas de refus, l’employeur encourt une sanction pécuniaire pour non-respect du droit de communication des données à caractère personnel. |
Le traitement de données personnelles n'est possible que s'il existe une raison suffisamment légitime pour le justifier, s'il est indispensable pour pouvoir exécuter un contrat, pour respecter une obligation ou assurer la sécurité des biens et des personnes. Le pouvoir patronal est invité à une motivation de plus en plus poussée notamment lorsqu’il vient se heurter aux libertés fondamentales. Les magistrats ont ainsi mis en place ces dernières années un contrôle plus poussé des objectifs fixés par les employeurs.
🔎 En pratique : dispositif biométrique et suivi du temps de travail Bien que postérieures au RGPD, les interprétations de la CNIL restent valables. La mise en place d’un dispositif biométrique apparait, à ce titre, disproportionnée pour opérer le suivi du temps de travail. Dans une délibération n° 2015-087 du 5 mars 2015, la CNIL avait, par exemple, refusé d’accorder à une banque l’autorisation de mettre en œuvre un traitement automatisé de données personnelles reposant sur un dispositif biométrique de reconnaissance de l’empreinte digitale et ayant pour finalité le contrôle et le suivi du temps de travail. Elle a constaté qu’aucune circonstance exceptionnelle n’était démontrée, que le dispositif « ne résult[ait] pas de la mise en œuvre de mesures de sécurité telles qu’identifiées par une analyse de risques », et que le traitement envisagé ne relevait donc pas d’une finalité de sécurité justifiant un recours impératif à la biométrie. Elle a en outre relevé « l’impossibilité pour les personnes concernées de recourir à un dispositif alternatif » et a donc considéré que le recours exclusif à un tel dispositif n’apparaissait « ni adapté ni proportionné à la finalité poursuivie ». |
C. Le principe d'une durée de conservation des données limitée
La proportionnalité réside également dans la question de la durée de conservation des données. Suivant le cinquième et dernier alinéa de l’article 4 de la loi du 6 janvier 1978, les données « sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». Celle-ci doit être conforme à la finalité poursuivie par le traitement mis en place et ayant fait objet d’une déclaration à la CNIL. La mesure impose ici à la technique une conservation limitée dans le temps. Les informations ne peuvent être conservées de façon indéfinie dans les fichiers informatiques. Une durée de conservation précise doit ainsi être déterminée en fonction de la finalité de chaque fichier. Le législateur a prévu expressément certaines durées de conservation. Les fichiers relatifs à la paie doivent par exemple être conservés cinq ans [14], les documents relatifs à la comptabilisation des jours de travail des salariés sous convention de forfait doivent être conservés trois ans [15]. Finalement, même si le support informatique permet une conservation quasi-illimitée des informations l’employeur doit prévoir en amont leurs suppressions pour rendre ce principe effectif.
🔎 En pratique : durée de conservation des données issues de la vidéosurveillance Dans une délibération n° 2010-112 du 22 avril 2010, la CNIL relève qu’un système de vidéosurveillance était installé dans une société de transport routier. Plusieurs salariés étaient filmés à leurs postes de travail de manière permanente par deux caméras situées chacune à une extrémité de leur bureau commun. Lors d’un contrôle, la délégation de la CNIL constate que la console du poste de gardiennage permettait d’accéder à des enregistrements vidéo datant du 25 décembre 2009, c’est-à-dire conservés depuis plus de deux mois au jour du contrôle sur place. Une telle durée de conservation, outre qu’elle apparaît a priori excessive au regard de la finalité du traitement, constitue une violation des engagements pris dans le cadre de la déclaration effectuée auprès de la CNIL qui visait une durée de conservation d’un mois. Si l’employeur rend les données collectées anonymes, c’est-à-dire qu’il est impossible d’identifier directement ou indirectement une personne physique, alors la durée de conservation peut être illimitée. Un droit à l’oubli est ainsi assuré. |
D. Le principe de sécurité et de confidentialité des données
L’employeur, en tant que responsable du traitement, est également astreint à une obligation de sécurité : il doit définir les mesures nécessaires pour garantir la confidentialité des données. Cette obligation passe par la sécurité des matériels, des mots de passe individuels, des habilitations d’accès définies en fonction des besoins réels de chaque intervenant. Ainsi, les données à caractère personnel ne peuvent être consultées que par les services habilités à y accéder en raison de leurs fonctions. Elles peuvent néanmoins être communiquées à des tiers autorisés en application de dispositions législatives particulières (inspection du travail, services fiscaux, services de police...).
🔎 En pratique : sensibilité particulière des données de santé Les données de santé sont considérées comme des informations sensibles, et à ce titre, doivent être soumises à un haut niveau de sécurité, physique et technique. Les professionnels de santé, ainsi que ceux intervenant dans le système de santé au travail, sont soumis au secret médical (CSP., art. L.1110-4 N° Lexbase : L4479L7Z). Le traitement de ces données, notamment leur collecte, utilisation, communication, stockage, destruction, est soumis à des conditions particulières définies dans la loi « Informatique et Libertés » et le Code de la santé publique. |
E. Le principe du respect des droits des salariés
Il est nécessaire de maintenir un équilibre entre le contrôle de l’activité des salariés et la protection de la vie privée. Cet équilibre passe avant tout par une bonne compréhension des droits et des obligations de chacun, et du cadre légal applicable. Si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de surveillance clandestin et, à ce titre, déloyal [16]. Conformément à l’article L. 1222-4 du Code du travail N° Lexbase : L0814H9Z, « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ». L’information du salarié sur les dispositifs de contrôle de son activité découle directement du principe de loyauté, qui doit exclure les modes de preuves ayant pour objet ou pour effet de piéger le salarié. Selon une formule classique de la Cour de cassation, si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés [17].
🔎 En pratique : usage abusif du téléphone de l’entreprise Selon la jurisprudence, la simple vérification des relevés de la durée, du coût et des numéros des appels téléphoniques passés à partir de chaque poste au moyen de l’autocommutateur téléphonique de l’entreprise n’est pas illicite même s’il n’a pas été porté à la connaissance du salarié. C’est pourquoi le licenciement du salarié, pour usage abusif du téléphone de l’entreprise afin de joindre des messageries privées pour adultes, est licite (Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-45.279, F-D N° Lexbase : A6083D43). |
Le salarié est également en droit d’accéder aux données personnelles le concernant traitées par son employeur et, le cas échéant, de demander la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données dont le traitement n’est pas conforme. En effet, suivant le quatrième alinéa de l’article 4 de la loi « Informatique et Libertés », « toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données à caractère personnel qui sont inexactes, eu égard aux finalités pour lesquelles elles sont traitées, soient effacées ou rectifiées sans tarder ». S’agissant de l’enquête contradictoire préalable à la délivrance d’une autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé, celui-ci doit, sous peine d’irrégularité de l’autorisation de licenciement, être informé non seulement de l’existence des pièces de la procédure, mais aussi de son droit à en demander la communication [18].
Toute personne a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant soient enregistrées dans un fichier informatique, sauf si celui-ci résulte d’une obligation légale ou réglementaire, comme, par exemple, la tenue du registre du personnel. Un salarié peut ainsi s’opposer à la mise en ligne de ses coordonnées professionnelles ou de sa photographie [19]. Afin d’anticiper les contentieux, il est ainsi recommandé que l’utilisation de photographies de salariés sur l’internet fasse l’objet d’une autorisation préalable écrite.
👉 Conclusion : primauté des droits de la personne L’étude des fondements du pouvoir de contrôle de l’employeur révèle l’ambiguïté entre la prise en compte des impératifs de sécurité de l’entreprise devenus primordiaux, et le contrôle du travail des salariés. Hésitant entre sa qualité de propriétaire et d’employeur, le chef d’entreprise se trouve à la croisée des chemins entre le pouvoir sur les choses et la direction des travailleurs. L’usage d’internet par l’entreprise crée ainsi un conflit entre atteintes aux biens et atteintes aux personnes. Cependant, le droit du travail, dans un contexte de développement des droits et libertés des salariés, a fait le choix de la primauté de la personne. Si un salarié a des raisons de penser que les dispositifs de surveillance sont excessifs, il peut saisir l’inspection du Travail ou adresser une réclamation à la CNIL qui pourra sanctionner l’employeur. En effet, la CNIL peut désormais prononcer des amendes jusque 20 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial. Il faut donc vous mettre en conformité pour éviter ce risque. Cette mise en conformité est d’autant plus importante pour les données RH (Y.-M. Larher, RGPD : droit du travail, RH et protection des données, 20 avril 2022). Ces sanctions peuvent être rendues publiques. Dans les cas les plus graves, les dispositifs de surveillance excessifs peuvent également soutenir la démonstration par les salariés d’une situation de harcèlement numérique devant les juridictions. |
[1] F. Favennec-Hery, Vie professionnelle, vie personnelle du salarié et droit probatoire, Droit social, 2004, p. 48.
[2] V. partie santé.
[4] J.-E. Ray, À propos de la révolution numérique, Droit social, 2012, p. 934.
[5] France, CNIL et H. Bouchet, La cybersurveillance des salariés dans l’entreprise, La Documentation française, 2001, p. 4.
[6] Le contrat de travail se caractérise par la constatation de l’existence d’un lien de subordination, par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
[7] A. Grosjean, La surveillance des salariés sur le lieu du travail et les nouvelles technologies de l’information au Grand-Duché du Luxembourg, Journal des tribunaux Luxembourg, no 21, juin 2012, p. 70.
[8] CEDH, 16 décembre 1992, requête n° 72/1991/324/396, Niemietz c. Allemagne N° Lexbase : A6532AWT.
[9] CEDH, 25 juin 1997, requête n° 73/1996/692/884, Halford c. Royaume-Uni N° Lexbase : A8304AWH.
[10] J. Mouly et J. Savatier, Droit disciplinaire, Rép. trav. Dalloz, 2015.
[11] Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Bull. civ. V., 2001, n° 291 N° Lexbase : A1200AWD
[12] CE, 25 janvier 1989, n° 64296 N° Lexbase : A1768AQK, Droit social, 1989, p. 201.
[14] C. trav., art. L. 3243-4 N° Lexbase : L1836IEQ.
[15] C. trav., art. D. 3171-16 N° Lexbase : L5925LB3.
[16] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C, Bull. civ. V., 2008, n° 64.
[17] Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219 N° Lexbase : A5741AGQ, Bull. civ. V., 2001, n° 167.
[18] CE, 4e-5e SSR, 22 février 2012, n° 346307, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3415IDT.
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