La lettre juridique n°533 du 27 juin 2013 : Santé

[Jurisprudence] Des conséquences d'un "avis d'aptitude provisoire" dressé par le médecin du travail

Réf. : Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-15.313, F-P+B (N° Lexbase : A9626KEA)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 27 Juin 2013

La visite médicale de reprise, qui doit être organisée à l'initiative de l'employeur dans un certain nombre d'hypothèses visées par l'article R. 4624-22 du Code du travail (N° Lexbase : L1004ISY), a pour effet premier de mettre un terme à la période de suspension du contrat de travail consécutive à la maladie ou l'accident dont a été victime le salarié. A compter de ce moment, la situation du salarié n'est donc plus soumise au régime juridique de la maladie, mais à celui de l'aptitude ou de l'inaptitude, selon l'avis dressé par le médecin du travail, seul à même de faire passer la visite précitée. Les textes applicables ne paraissent ouvrir à celui-ci qu'une option entre l'aptitude et l'inaptitude, cette dernière ne pouvant être constatée, sauf exception, qu'au terme de deux examens médicaux, séparés par quinze jours. Il est, toutefois, des hypothèses que l'on est tenté de qualifier d'intermédiaires, ainsi que le révèle l'affaire ayant conduit à l'arrêt rendu le 29 mai 2013, dans lequel un salarié victime d'un accident du travail avait été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte pendant quinze jours. Pour la Cour de cassation, un tel avis impose à l'employeur de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail.
Résumé

Dès lors que le salarié, victime d'un accident du travail, a été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte, l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail.


Observations

I - Le choix d'un avis d'aptitude provisoire

La nécessité de l'avis du médecin du travail. En application de l'article R. 4624-22 du Code du travail, le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : après un congé maternité ; après une absence pour cause de maladie professionnelle ; après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel (1). Dès lors que l'absence du salarié entre dans les prévisions de ce texte, l'employeur ne peut l'admettre à reprendre le travail sans avoir pris l'initiative de le soumettre à un examen médical par le médecin du travail. Il en va, pour l'employeur, du respect de son obligation de sécurité de résultat.

On sait que c'est cette visite médicale de reprise qui met fin à la période de suspension du contrat de travail provoquée par la maladie ou l'accident (2). A compter de ce moment, le salarié n'est plus régi par les règles applicables au salarié malade mais entre dans celles de l'aptitude ou de l'inaptitude (3) ; ce qui déclenche un certain nombre d'obligations à la charge de l'employeur. Ces obligations étant différentes selon l'avis délivré par le médecin du travail, on mesure sans peine l'importance de son contenu.

L'importance du contenu de l'avis. A s'en tenir aux dispositions du Code du travail, le médecin du travail n'a d'autre choix que de déclarer le salarié apte ou inapte. L'avis, selon qu'il constate l'aptitude ou l'inaptitude du salarié, produit des effets bien différents. Dans le premier cas, le salarié retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente (4). Dans le second cas, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités (5). Si cela ne lui est pas possible, il est alors en mesure de licencier le salarié. Ce côté quelque peu manichéen des textes n'est guère en adéquation avec ce qui se passe en pratique.

Il n'est, en effet, pas rare que le médecin du travail rende un avis d'aptitude partielle ou avec réserves ou encore un avis d'inaptitude, elle-même partielle. On est tenté de considérer qu'il revient au même d'être partiellement apte ou d'être partiellement inapte. Ce n'est, pourtant, pas la même chose, dans la mesure où, nous l'avons vu, les avis n'auront pas les mêmes conséquences. Tandis que le salarié déclaré partiellement apte doit être réintégré dans son emploi (6), celui qui est partiellement inapte bénéficie de l'obligation de reclassement, dont est débiteur son employeur. A défaut de postes susceptibles de convenir au salarié, ou en cas de refus de sa part des postes proposés, l'employeur doit le licencier.

Compte tenu de cela, le médecin du travail doit réfléchir à deux fois avant de dresser un avis d'inaptitude. A dire vrai, cette réflexion lui est imposée par la réglementation puisque, faut-il le rappeler, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines (7). L'obligation ainsi faite au médecin du travail de procéder à un double examen du salarié place le salarié dans une situation inconfortable. En effet, la période de suspension du contrat de travail ayant pris fin avec le premier examen, le salarié ne peut plus prétendre au paiement d'indemnités journalières, éventuellement complétées par les garanties de ressources. Il n'a pas droit non plus à son salaire puisqu'il n'effectue aucune prestation de travail (8).

Ces difficultés sont écartées si, comme dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen, le médecin du travail dresse un avis d'aptitude provisoire (9). Dans ce cas, et comme il l'a été dit, le salarié doit retrouver son ancien emploi et doit, dès lors, recevoir son salaire. Mais là n'est pas la seule conséquence de ce type d'avis pour l'employeur.

2 - Les conséquences d'un avis d'aptitude provisoire

L'affaire. En l'espèce, un salarié victime d'un accident du travail s'était trouvé en arrêt de travail du 21 février 2002 au 30 novembre 2003. A la suite de la visite de reprise effectuée le 1er décembre 2003, le médecin du travail avait rendu un avis d'aptitude provisoire pendant quinze jours, excluant les efforts de manutention manuelle. Le 11 décembre 2003, soit avant l'expiration de ce délai, le salarié a été licencié pour motif économique. Il a alors saisi la juridiction prud'homale.

L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. A l'appui de son pourvoi, il soutenait, principalement, qu'en cas de suspension du contrat du salarié à la suite d'un accident de travail, la visite de reprise met fin à cette suspension. En l'espèce, M. X ayant été déclaré, par le médecin du travail, le 1er décembre 2003, apte à reprendre, cette visite de reprise, fût-elle provisoire, mettait fin à la suspension du contrat, ce qui permettait à l'employeur de prononcer son licenciement pour motif économique. Dès lors, en considérant que la société employeur n'ayant pas mis M. X en mesure de se soumettre à une seconde visite médicale, ce qui avait pour conséquence qu'elle n'avait pu valablement lui proposer des postes de reclassement, et rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a entaché l'arrêt d'une violation des articles L. 1226-7 (N° Lexbase : L9746INB), L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN) du Code du travail.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme, tout d'abord, que "dès lors que le salarié, victime d'un accident du travail, a été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte, l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail". Elle relève, ensuite, "qu'ayant constaté que le salarié, qui avait, à l'issue d'une visite de reprise le 1er décembre 2003, été déclaré provisoirement apte, devait être revu par le médecin du travail dans le délai de quinze jours, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'en ne mettant pas ce salarié en mesure de se soumettre à une nouvelle visite médicale, l'employeur n'avait pas pu proposer valablement au salarié un poste de reclassement, a, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses énonciations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision".

Une solution troublante mais justifiée. Afin de comprendre les ressorts de la décision de la Cour de cassation, il convient de partir du fait que le médecin du travail avait dressé un avis d'aptitude. En conséquence, et comme il a été démontré précédemment, c'est bien le régime légal de l'aptitude qui devait être appliqué, avec comme conséquence première la réintégration du salarié dans son emploi ; ce qui, visiblement, avait été fait. Une visite de reprise avait donc, par hypothèse, eu lieu. Il en résulte que la suspension du contrat en raison de l'accident du travail subi par le salarié avait pris fin et que, par un effet d'enchaînement, le droit commun du licenciement avait repris son empire. A s'en tenir là, rien ne paraissait donc s'opposer à ce que l'employeur licencie le salarié pour motif économique.

La difficulté découle du fait que le médecin du travail avait donné un avis d'aptitude provisoire pendant quinze jours. Le Code du travail ne connaît pas ce type d'avis, ainsi que cela a été relevé. Il ne l'interdit pas non plus, habilitant, d'ailleurs, le médecin du travail à proposer des mesures individuelles à l'employeur, qu'il est tenu de prendre en considération (10). En relevant que le salarié était provisoirement apte, qui plus est pendant quinze jours, le médecin du travail laissait, nécessairement, entendre qu'il avait un doute quant à l'aptitude définitive du salarié. Cela revient à dire qu'il avait quelques raisons de penser que le salarié pouvait, au final, être déclaré inapte. Or, cette inaptitude ne pouvant être constatée qu'au terme d'un second examen, il appartenait à l'employeur de faire procéder à celle-ci (11).

On peut, néanmoins, s'étonner de la formule de la Cour de cassation, au terme de laquelle "l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale". On admettra qu'il y a là une forme de contradiction. Comment, au moment d'engager la procédure, faire procéder à une visite médicale à l'issue de la période d'aptitude ? La conciliation des termes se conçoit mieux pendant le déroulement de la procédure. Mais elle accrédite l'idée que l'obligation disparaît si la procédure est achevée au moment où la période d'aptitude provisoire se termine. Pourtant les faits de l'espèce contredisent cette assertion, puisque le licenciement avait été prononcé avant la fin de la période en question.

Toujours est-il que l'employeur n'avait pas mis le salarié en mesure de se soumettre à une nouvelle visite médicale. Par suite, et ainsi que le relève la Cour de cassation, l'employeur n'avait pu proposer valablement au salarié un poste de reclassement. Elle approuve en conséquence la cour d'appel pour avoir jugé que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse (12). On pourrait, certes, avancer que le salarié licencié pour motif économique avait, certainement, bénéficié de l'obligation de reclassement lié à ce type de licenciement (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L3135IM3), dont le régime juridique n'est pas sans rappeler celui applicable à l'obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude du salarié. Mais, à la différence de la première, la seconde dépend des capacités du salarié, que seul le médecin du travail est en mesure d'apprécier (13). Mais, pour ce faire, encore faut-il qu'il ait pu examiner le salarié au cours du second examen médical.


(1) Ce texte a été modifié par un décret n° 2012-135, 30 janvier 2012, relatif à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L9907IRD). Antérieurement à cette date la visite de reprise était requise après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail et une absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.
(2) Solution constante depuis Cass. soc., 22 mars 1989, n° 86-43.655, publié (N° Lexbase : A3999AG9), Bull. civ. V, n° 235.
(3) Faute de visite médicale de reprise, le contrat de travail est donc toujours suspendu d'un point de vue juridique, peu important que le salarié ait repris le travail. Cela peut conduire à des situations pour le moins cocasses. V. à cet égard, Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-42.279, FP-P+B (N° Lexbase : A6005DUX), Bull. civ. V, n° 42.
(4) C. trav., art. L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q).
(5) C. trav., art. L. 1226-10 (N° Lexbase : L6283ISI).
(6) Mais si la restriction mentionnée dans l'avis est telle qu'elle ne permet pas la poursuite du travail aux conditions antérieures, elle renverra, en réalité, au régime de l'inaptitude. V. en ce sens, S. Bourgeot et M. Blatman, L'état de santé du salarié, éd. Liaisons, 2ème éd., 2009, p. 400.
(7) C. trav., art. R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN). L'avis d'inaptitude médicale peut être délivré après un seul examen lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou, depuis le décret du 30 janvier 2012, lorsqu'un examen de reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus.
(8) Le salarié ne peut pas plus exiger de son employeur d'être réintégré dans son ancien emploi ou d'être reclassé dans un autre.
(9) En revanche, "un avis d'inaptitude temporaire écartera le salarié de son lieu de travail tant que durera la période d'attente du second examen" (S. Bourgeot et M. Blatman, ouvrage préc., p. 417).
(10) C. trav., art. L. 4624-1.
(11) En bonne logique, c'est au médecin du travail qu'il appartient de fixer la date de cet examen, spécialement lorsqu'il dresse un avis d'aptitude provisoire pour quinze jours. L'arrêt ne permet pas de savoir ce qu'il en avait été en l'espèce.
(12) On sait que c'est là la sanction normale du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.
(13) L'article L. 1226-10 du Code du travail ajoute que la proposition de reclassement "prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indication qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise".

Décision

Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-15.313, F-P+B (N° Lexbase : A9626KEA)

Rejet, CA Paris, pôle 6, 10ème ch., 10 janvier 2012 (N° Lexbase : A1062IAL)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1226-7 (N° Lexbase : L9746INB), L. 1226-10 (N° Lexbase : L6283ISI), L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B) et R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN)

Mots-clés : accident du travail, visite de reprise, aptitude provisoire, seconde visite médicale, obligation de reclassement

Lien base : (N° Lexbase : E3105ET8)

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