Le Quotidien du 19 août 2022 : Fiscalité internationale

[Conclusions] Convention fiscale franco-brésilienne : nouvelles précisions du Conseil d’État en matière de prélèvements sociaux et d’imposition de plus-values sur cession de titres de sociétés mobilières

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 14 avril 2022, n° 455943, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A98357TG

Lecture: 28 min

N1495BZE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Conclusions] Convention fiscale franco-brésilienne : nouvelles précisions du Conseil d’État en matière de prélèvements sociaux et d’imposition de plus-values sur cession de titres de sociétés mobilières. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/86934649-0
Copier

par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État

le 13 Décembre 2022

Mots-clés : convention fiscale France-Brésil • fiscalité internationale • impôts • prélèvements sociaux • biens immobiliers 

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 14 avril 2022, donné des précisions sur la convention fiscale entre le Brésil et la France en matière de prélèvements sociaux et d’imposition de plus-values sur cession de titres de sociétés mobilières. Lexbase Fiscal vous propose les conclusions du Rapporteur public, Romain Victor.


 

1.- Cette affaire vient pour la seconde fois devant vous. Elle soulève, cette fois, une question de lecture de la doctrine administrative relative à la Convention fiscale franco-brésilienne tendant à éviter les doubles impositions.

2.- Les données du litige sont simples.

Mme G., née L., et son époux, étaient résidents fiscaux de France au sens de l’article 4 B du Code général des impôts N° Lexbase : L6146LU8 au cours de l’année 2008. Ils étaient donc imposables sur leur revenu mondial, en vertu de l’article 4 A de ce code N° Lexbase : L1009HLX.

Le 6 mars 2008, Mme G. a cédé à la société de droit américain Brazil Ethanol Inc., établie dans l’État du Delaware, l’intégralité des actions qu’elle détenait en propre dans une société anonyme de droit brésilien : la SA L., dont le siège est situé à Rio Largo au Brésil, dans l’État de l’Alagoas. 400 241 titres ont ainsi été cédés pour un peu plus de 10 millions de dollars. 40 % du prix a été payé comptant, le solde devant être versé en 14 annuités, de 2009 à 2022.

M. et Mme G. ont considéré que la plus-value en résultant ne devait pas être soumise à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales en France. Par une mention expresse portée dans leur déclaration des revenus de l’année 2008, ils se sont prévalus des stipulations de l’article 13 § 1 de la Convention tendant à éviter les doubles impositions conclue entre la France et le Brésil le 10 septembre 1971 qui, selon leur analyse, donnait au Brésil le pouvoir exclusif d’imposer les plus-values réalisées à l’occasion de la cession, par un résident de France au sens de la convention, de titres de sociétés dont l’actif est, comme c’est le cas de la SA L., principalement composé de biens immobiliers situés au Brésil.

Toutefois, à l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a informé Mme G., dont l’époux est décédé en 2010, que le gain réalisé en 2008 était imposable dans la catégorie des plus-values mobilières, sur le fondement de l’article 150-0 A du Code général des impôts N° Lexbase : L0732L7A et que les stipulations de l’article 13 § 1 de la Convention franco-brésilienne ne faisaient pas obstacle à une imposition par la France, mais obligeaient seulement à imputer sur l’impôt dû en France un crédit d’impôt correspondant à l’impôt perçu au Brésil, afin d’éliminer la double imposition. C’est ainsi un gain net de cession de 3 209 281 euros qui a été soumis à l’impôt sur le revenu, au taux proportionnel de 18 % et aux diverses contributions sociales au taux global de 12,1 %.

La cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu, d’un montant de 577 670 euros  [1], a été ramenée à 157 837 euros afin de tenir compte de l’impôt acquitté au Brésil (419 833 euros). Trois dégrèvements complémentaires  [2] ont par la suite été prononcés pour tenir compte de cotisations supplémentaires d’impôt acquitté au Brésil. Le montant de l’impôt en revenu en litige s’établit désormais à 89 296 euros, tandis que le montant des contributions sociales s’établit à 388 323 euros  [3].

3.- Par un premier arrêt du 12 mars 2020  [4], la cour administrative d’appel de Lyon avait prononcé la décharge des impositions en se fondant sur le motif que les stipulations du 1 de l’article 13 de la Convention franco-brésilienne excluaient l’imposition par la France d’un gain provenant de la cession de parts d’une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers situés au Brésil. La cour avait donc lu la convention comme attribuant au Brésil, dans ce cas de figure, un pouvoir exclusif d’imposer.

Par une décision du 11 décembre 2020 (CE 3° et 8° ch.-r., 11 décembre 2020, n° 440307, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A654939G, T. pp. 669- 718, RJF, 2021, n° 301, concl. K. Ciavaldini C301, Dr. Fisc. 2021, n° 27 c. 310), vous avez annulé son arrêt pour erreur de droit.

Le 1 de l’article 13 de la convention fiscale énonce en effet : « Les gains provenant de l’aliénation des biens immobiliers […] ou de l’aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l’État contractant où ces biens immobiliers sont situés ».

Or, d’une part, l’expression « tel gain est imposable dans tel État » ne suffit jamais, par elle-même, à retirer le droit d’imposer à l’autre État contractant, à la différence de l’expression « tel gain n’est imposable que dans tel État »  [5]. Au demeurant, les deux expressions (« est imposable dans » et « n’est imposable que dans ») figuraient respectivement au 1 et à la seconde phrase du 2 de l’article 13, ce qui montrait qu’elles n’étaient pas tenues pour équivalentes par les auteurs du texte. D’autre part, il faut toujours lire une convention fiscale in extenso, sans s’arrêter aux seuls articles relatifs à un revenu donné. Comme le rappelle Bruno Gouthière : « chaque article déterminant une règle d’imposition doit être lu en parallèle avec l’article fondamental sur l’élimination de la double imposition »  [6]. Or en poussant la lecture jusqu’à l’article 22, on constate que le c) de son 2 prévoit que, dans le cas de la France, les revenus visés à l’article 13 ayant supporté l’impôt brésilien ouvrent droit à un crédit d’impôt correspondant à l’impôt perçu au Brésil, dans la limite de l’impôt français afférent à ces revenus, ce qui confirme que la convention non seulement n’ôte pas à la France son pouvoir d’imposer mais envisage expressément que la France impose ce type de gains.

L’affaire a été renvoyée à la cour de Lyon qui s’est prononcée par un second arrêt dont le ministre poursuit l’annulation car les juges d’appel ont maintenu la solution de décharge en se plaçant cette fois sur le terrain de l’interprétation administrative de la convention fiscale.

4.- Mme G. avait soulevé dès sa réclamation contentieuse, sur le fondement des dispositions alors en vigueur du second alinéa de l’article L. 80 A du LPF N° Lexbase : L6958LLB, le moyen tiré de ce que l’administration ne pouvait procéder au rehaussement en litige, dès lors qu’en souscrivant sa déclaration d’impôt au titre de l’année 2008, elle avait appliqué le texte fiscal, en l’occurrence l’article 13 de la Convention bilatérale, selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître de ces stipulations, dès après la publication de la convention au Journal officiel  [7], par une instruction publiée au BOI n° 227 du 15 décembre 1972, classée à la documentation administrative de base sous la référence 14 B-17-72 et qui n’avait ni été modifiée  [8] ni rapportée à la date du fait générateur de l’imposition en litige, trente-six ans plus tard.

La cour a rappelé le considérant de votre avis « Mlle B. » selon lequel « La garantie contre les changements de doctrine de l’administration qu’instituent [les dispositions du second alinéa de l’article L. 80 A] permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations » (CE Section, 20 octobre 2000, n° 222675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7797AHA, rec. p. 448).

Elle a ensuite cité les commentaires de l’article 13 de la convention, relatifs aux « gains en capital » et qui sont structurés en trois alinéas renvoyant respectivement aux paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 13, ce renvoi figurant entre parenthèses à la fin de chaque alinéa.

Le premier énonce : « Le droit d’imposer les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers ou de parts et droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers est attribué à l’État de la situation des biens (art. 13, § 1) ».

Le deuxième mentionne les « gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers dépendant de l’actif d’un établissement stable » et signale que leur imposition « est réservée à l’État où se trouve situé cet établissement stable ». De même, il précise que l’imposition des « gains afférents à la vente de navires ou aéronefs exploités en trafic international » est réservée « à l’État du siège de la direction effective de l’entreprise (art. 13, § 2) ».

Le troisième alinéa indique : « Par contre, les gains provenant de la vente de tous autres biens ou droits analogues restent imposables dans les deux États (art. 13, § 3) ».

La cour en a tiré que l’instruction « attribue le droit d’imposer les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers ou de parts et droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers au seul État de la situation des biens et précise qu’en revanche, les gains provenant de la vente de tous autres biens ou droits analogues, c’est‑à‑dire qui ne sont ni des biens immobiliers, ni des biens mobiliers dépendant de l’actif d’un établissement stable, ni des navires ou aéronefs exploités en trafic international, sont imposables dans les deux États ».

Ainsi que le soutient le ministre, la cour a fait une inexacte application de l’article L. 80 A en retenant cette lecture de l’interprétation administrative de l’article 13 de la convention, étant rappelé que vous contrôlez sous l’angle de l’erreur de droit l’erreur commise par les juges du fond sur la portée d’une interprétation administrative (CE 9° et 8° ssr, 13 février 1995, n° 139060, « Min. du budget c/ SA Solving » N° Lexbase : A2594ANE rec. p. 72).

Ici l’erreur est double.

D’une part, là où la doctrine énonce : le droit d’imposer les gains de cession « est attribué à l’État de la situation des biens », la cour a lu : le droit d’imposer « est attribué au seul État de la situation des biens ».

Ce faisant, elle s’est laissée aller à interpréter la doctrine, penchant que votre jurisprudence réprouve  [9] pour de robustes raisons :

  • la doctrine n’est pas une norme : elle est du « non-droit »  [10] ;
  • elle n’est pas précédée de travaux préparatoires : sonder l’intention de l’auteur de la doctrine reviendrait à s’en remettre à l’administration ;
  • l’impératif de sécurité juridique mis en œuvre par l’article L. 80 A  [11] serait mis à mal par toute analyse constructive.

Or il était d’autant moins permis de tenir pour équivalentes les notions d’attribution du droit d’imposer à un État et d’attribution du droit d’imposer à un seul des deux États contractants que l’alinéa suivant utilise l’expression « est réservé à », s’agissant de l’État où se trouve situé l’établissement stable, à propos de l’imposition des gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers dépendant de l’actif de cet établissement.

La cour aurait dû prendre en compte cet élément, l’exigence d’interprétation littérale ne faisant jamais obstacle à ce que la portée de commentaires administratifs soit déterminée à la lumière d’autres paragraphes de la même instruction (CE Contentieux, 9° et 7° ssr, 27 novembre 1991, n° 78076 « Sté Mécanique automobile de l’Est » N° Lexbase : A9141AQM T. sur un autre point, RJF, 1992, n° 72).

Il nous paraît donc clair que l’expression doctrinale « le droit d’imposer est attribué à tel État » ne s’écarte pas de l’expression légale « le gain est imposable dans tel État ».

D’autre part, la cour a cru déceler une opposition entre, d’un côté, les énonciations de l’alinéa 1, qu’elle a à tort interprétées comme attribuant le droit exclusif d’imposer le gain de cession de titres d’une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers à l’État de situation et, de l’autre, les énonciations de l’alinéa 3 qui, « en revanche », a-t-elle écrit, retiennent une solution d’imposition dans les deux États pour les gains de cession portant sur des objets autres que, notamment, ceux que visent l’alinéa 1.

Mais là encore, la cour a fait œuvre d’interprétation.

Si vous acceptez d’apprécier la portée d’une instruction fiscale à la lumière de son environnement ou de son contexte, notamment de sa structure (CE, 9ème et 8ème ssr, 20 octobre 1995, n° 140239 N° Lexbase : A6124AN7, RJF, 1995, n° 1360) ou de la partie dans laquelle des commentaires litigieux s’insèrent (CE 8° et 3° ssr, 27 octobre 2010, n° 315056, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1084GDI, T. pp. 704-751, RJF, 2011, n° 67), et si vous tirez les conséquences d’un renvoi exprès par la doctrine de l’administration française à une disposition d’un droit étranger (CE 8° et 3° ch.-r., 25 juin 2021, n° 442790, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A41294X9, RJF, 2021, n° 950, à nos concl. C950), il est manifeste ici que le « par contre », qui introduit l’alinéa 3 exposant une solution de dualité du droit d’imposer un revenu donné, se comprend exclusivement par rapport à l’alinéa 2 qui expose une solution d’exclusivité du droit d’imposer un autre revenu, même si la rédaction choisie n’est – convenons-en – pas très heureuse.

Ce n’est, en réalité, que sur un unique point que la doctrine relative aux gains en capital s’écarte de la convention. Alors que celle-ci retient, au § 2 de l’article 13, que les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers faisant partie de l’actif d’un établissement stable sont imposables dans l’État où est situé cet établissement, ce qui n’exclut pas une taxation par l’État du siège, la doctrine retient que l’imposition est réservée à l’État où se trouve situé l’établissement stable. On passe ainsi, dans ce cas, d’un « est imposable dans » (texte de la convention) à un « est réservé à » (texte de la doctrine). Mais dans notre cas, nous l’avons dit, le « est imposable dans » est équivalent au « est attribué à ». La cour a par suite méconnu l’exigence d’application littérale de la doctrine qu’elle avait pourtant rappelée.

Il faut donc annuler son arrêt et il s’agit d’une cassation totale.

5.- Après cassation, vous devrez régler l’affaire au fond, s’agissant d’un second pourvoi dans la même affaire.

Il résulte de ce que vous aurez dit au stade de la cassation que la doctrine invoquée sur le fondement de l’article L. 80 A n’ajoute pas à la loi, ce qui fait obstacle à ce que Mme G. soit fondée à s’en prévaloir  [12].

Toutefois, conformément au caractère subsidiaire, dans le contentieux fiscal, du moyen tiré de l’invocation de l’article L. 80 A, vous devrez commencer par faire un détour par la loi fiscale, ce qui implique de se placer successivement au regard du droit interne, puis, le cas échéant, au regard de la convention fiscale bilatérale, conformément aux règles posées par votre arrêt « Min. c/ Sté Schneider Electric » (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276 N° Lexbase : A0219AZ7, rec. p. 233, RJF, 2002 n° 1080 chron. L. Olléon p. 755, concl. S. Austry, BDCF, 10/02, n° 120).

Nous avons donc une double subsidiarité : les prétentions du contribuable pouvant être satisfaites sur le fondement du droit interne, à défaut sur le fondement du droit conventionnel et à défaut encore, sur le terrain de l’interprétation administrative de la loi fiscale.

Il n’est tout d’abord ni contestable, ni même contesté que les contribuables étaient fiscalement domiciliés en France en 2008 au sens de l’article 4 B.

Le gain net de cession réalisé par Mme G. doit par conséquent être soumis à l’impôt sur le revenu sur le fondement de l’article 150-0 A du Code général des impôts N° Lexbase : L2329HLT. Alors même que l’actif de la société brésilienne était principalement composé de biens immobiliers, les dispositions de l’article 150 B du Code général des impôts N° Lexbase : L2343HLD ne sont évidemment pas applicables s’agissant de la cession de titres d’une société non transparente.

Les contribuables sont en outre, compte tenu de leur qualité de résidents fiscaux de France, redevables des contributions sociales frappant les revenus du patrimoine que sont les gains nets de cession de valeurs mobilières. Ils sont par suite passibles des cinq prélèvements sociaux auxquels l’administration les a assujettis : la CSG au taux de 8,2 %, la CRDS au taux de 0,5 %, le prélèvement social de 2 % et les contributions additionnelles au taux de 0,3 % et de 1,1 %.

Sur le terrain de la convention, votre premier arrêt a confirmé que la France pouvait imposer le gain net de cession sous réserve de calculer l’impôt français sous déduction de l’impôt brésilien. Nous nous sommes seulement demandé si, en tout état de cause, Mme G. pouvait utilement se prévaloir, en ce qui concerne les prélèvements sociaux, de la convention franco-brésilienne.

Son article 2, relatif aux « impôts visés », prévoit, au a) de son 1, que les « impôts actuels auxquels s’applique la convention » sont, côté français, « l’impôt sur le revenu » et « l’impôt sur les sociétés », seraient-ils prélevés par voie de retenue à la source ou par une technique équivalente. Il comporte, à son § 2, une clause d’application aux « impôts futurs de nature identique ou analogue qui s’ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient ».

La question est de savoir si les cinq prélèvements sociaux, institués après 1971, et qui ont le caractère d’impositions de toutes natures au sens de l’article 34 de la Constitution N° Lexbase : L1294A9S, répondent à cette définition des impôts futurs. S’ils n’ont certes pas remplacé l’impôt sur le revenu, il est clair qu’ils s’ajoutent à l’impôt sur le revenu. Il reste à déterminer si les prélèvements sociaux sont au moins analogues, à défaut d’être identiques, à l’impôt sur le revenu de 1971.

Ces prélèvements sont des impositions autonomes et ne constituent pas un mode de recouvrement de l’IR ou de l’IS  [13]. Nous ne sommes donc pas dans la configuration du prélèvement de l’article 244 bis du Code général des impôts N° Lexbase : L6253LU7 sur les profits immobiliers, institué en 1963, dont vous avez dit, par une décision de 1975  [14], qu’il était un impôt futur analogue à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, seuls mentionnés par la convention franco-canadienne du 16 mars 1951, en vous fondant sur le motif que le prélèvement s’imputait selon le cas sur l’IR ou l’IS.

Notre interrogation tient à ce que l’impôt sur le revenu est, en vertu des articles 12 N° Lexbase : L1047HLD et 13 du Code général des impôts N° Lexbase : L9162LNN, un impôt frappant le revenu global du contribuable – au demeurant selon un barème progressif pour l’essentiel – alors que les contributions sociales en litige sont des impôts frappant un élément du revenu – au demeurant par application d’un taux forfaitaire. Or, à la différence de la Convention franco-brésilienne qui se borne à énumérer deux impôts actuels de 1971 par leur dénomination (« impôt sur le revenu »  [15] et « impôt sur les sociétés »)  [16], de nombreuses conventions prennent le soin d’expliciter ce qu’il y a lieu d’entendre par « impôts sur le revenu », en visant tous les impôts perçus sur le revenu total ou sur des éléments de revenu, y compris certains gains en capital.

C’est précisément en considération d’une telle définition générale, figurant dans la Convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, que vous avez estimé, par une décision « Min. délégué, chargé du budget c/ M. Aaron de 2013 »  [17], que la CSG et la CRDS étaient, eu égard à leur assiette et à leur caractère d’impositions de toutes natures, des « impôts actuels » visés par la Convention franco-suisse, telle que modifiée par un avenant du 22 juillet 1997, alors même qu’ils n’étaient pas expressément mentionnés dans la liste des impôts français, dès lors que cette liste n’était qu’indicative (car précédée d’un « notamment ») et dès lors surtout que la liste renvoyait à la définition générale des impôts sur le revenu comme tous impôts frappant le revenu total ou des éléments du revenu  [18].

Nous observons également que, dans votre arrêt de Plénière « Min. c/ Sté Deutsche Bahn AG »  [19], vous aviez tenu compte du caractère sectoriel de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) pour juger qu’elle n’était pas un impôt futur analogue à la patente, impôt général sur les facteurs de production, qui était mentionnée par la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959.

À la réflexion, toutefois, il nous semble qu’il faut relativiser le caractère d’impôt sur le revenu total de l’impôt sur le revenu.

À la différence de l’impôt sur les sociétés, qui frappe, par l’effet de l’article 38, 2 du CGI, tout accroissement de richesse constaté entre l’ouverture et la clôture de l’exercice et constitue ainsi un impôt sur les bénéfices totaux, les revenus des particuliers ne sont imposables que pour autant qu’un texte l’ait prévu. Chacun se souvient de votre jurisprudence sur les gains aux jeux de hasard qui, dites-vous, constituent des gains en capital situés hors du champ de l’application de l’impôt sur le revenu  [20] ou de cette fameuse affaire d’indemnité transactionnelle versée par le joueur à la personne ayant découvert sur la voie publique le reçu d’une combinaison gagnante de premier rang à l’EuroMillions : pas de texte, pas de taxation, avez-vous dit en substance  [21].

Or l’impôt sur le revenu de 1971, pas plus que celui d’aujourd’hui, n’était un impôt général frappant tous les revenus susceptibles d’être réalisés par un contribuable. Nous en voulons pour preuve… qu’à la date de la signature de la convention, les plus-values mobilières des particuliers n’étaient pas taxées. Seul était imposable, à un taux forfaitaire de 8 %, le cédant qui avait inscrit les titres à l’actif de son bilan ou celui qui exerçait une fonction de direction et possédait au moins le quart du capital social  [22].

Si l’on regarde donc l’impôt sur le revenu comme un impôt assis sur certains éléments du revenu du contribuable, relevant de catégories d’imposition déterminées, la différence de nature avec les prélèvements sociaux s’estompe.

Elle s’estompe d’autant plus que – c’est le second point – bien qu’il y ait trois familles de prélèvements sociaux, assis respectivement sur les revenus d’activité et de remplacement, les revenus du patrimoine et les produits de placement, ces prélèvements – c’est même leur vocation – frappent une assiette très large, qui correspond au moins à celle de l’impôt sur le revenu : les traitements et salaires, les bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices non commerciaux, les bénéfices agricoles, les revenus fonciers, les revenus de capitaux mobiliers, les plus-values mobilières et immobilières n’y échappent pas. En outre, ces contributions segmentées sont susceptibles de s’appliquer cumulativement à un même contribuable disposant de ces diverses sources de revenus. Prises ensemble, ces contributions frappent donc une assiette identique à celle de l’impôt sur le revenu avec un mécanisme de vases (ou tonneaux) communicants entre les différentes contributions sociales qu’a mis en lumière votre récent arrêt « Min. c/ M. Lesne »  [23] à propos de la vente d’un stock d’eau-de-vie par un agriculteur retraité.

Tout ceci nous conduit à considérer – et nous relevons que c’est la position que l’administration a fait connaître par voie de circulaire  [24] – que les prélèvements sociaux sont des impôts futurs analogues à l’impôt sur le revenu visé par les conventions antérieures à leur institution.

Mais pour les raisons qui sont celles de votre premier arrêt, la Convention franco-brésilienne ne saurait faire obstacle à ce que la France exerce son pouvoir d’imposer.

PCMNC à l’annulation de l’arrêt attaqué ainsi qu’au rejet de l’appel de Mme G. et de ses conclusions au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.

 

[1] Soit 3 209 281 euros * 18 %.

[2] De respectivement 22 538 euros, 23 489 euros et 22 514 euros.

[3] Soit 3 209 281 euros * 12,1 %.

[4] CAA Lyon, 5e, 12-03-2020, n° 18LY01137 N° Lexbase : A08053KZ.

[5] Ainsi que le mentionnent les commentaires du modèle de Convention OCDE de 1963 à partir duquel a été bâti la convention franco-brésilienne : commentaires de l’article 23 (A) et 23 (B) du projet de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune C (63)87 (pp. 147-148), qui peuvent être pris en compte à titre d’élément de contexte soulignent que « 6. Lorsque l’État de la source abandonne son droit d’imposition, l’article correspondant déclare que le revenu et la fortune en question ‘ne sont imposables que’ dans l’autre État. Il ne pose donc ici aucun problème de double imposition. 7. Lorsque l’État de la source ne renonce pas à l’impôt – dans ce cas l’article correspondant stipule que les revenus ou la fortune ‘sont imposables’ dans l’État de la source –, l’État de la résidence doit accorder une déduction de façon à éviter la double imposition. En conséquence, dans le texte des articles proposés, le droit d’imposition est implicitement accordé en priorité à l’État de la source, et c’est à l’État de la résidence qu’incombe le soin d’éviter la double imposition ».

[6] B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, 12ème éd., Ed. Francis Lefebvre, n° 10490 p. 264.

[7] Par le décret n° 72-1054 du 18 novembre 1972, la convention ayant été approuvée par la loi n° 71-1035 du 24 décembre 1971 N° Lexbase : L4448ITW, la date d’entrée en vigueur étant fixée au 1er janvier 1972.

[8] En tout cas sur le point qui nous intéresse. Les commentaires administratifs ont été complétés par une instruction du 5 décembre 1997, publiée au BOI du 15 décembre 1997 et classés sous la référence 14 A-7-97, sur la question de l’imputation de certains crédits d’impôt attachés aux intérêts et dividendes ayant leur source au Brésil.

[9] Cf. CE 8° et 9° ssr, 30 mars 1993, n° 114926, « Société Générale » N° Lexbase : A5112ARR, rec. p. 139, RJF, 1992, n° 706.

[10] Selon le mot de N. Chahid-Nouraï (ccl. sur CE Contentieux, 3 février 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia [LXB= A0651AQ8], rec. p. 44.

[11] Cf. CE, 10° et 9° ch.-r., 8 juin 2016, n° 383259, publié au recueil Lebon « Afep et autres » N° Lexbase : A2407RSX, rec. p. 230.

[12] Cf. CE Section, 27 juillet 2005, n° 261899 et 273663 N° Lexbase : A1332DKK, rec. p. 338, RJF, 2005, n° 1201, chronique Y. Bénard p. 811, concl. L. Olléon, BDCF, 11/05, n° 134, Dr. fisc. 2005, n° 47, c. 754, note O. Fouquet.

[13] Au demeurant l’article 2 § 1 de la convention franco-brésilienne prévoit expressément son application à tous les modes de recouvrement de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.

[14] CE 9° et 8° ssr, 26 novembre 1975, n° 93187 N° Lexbase : A8170B84, rec. p. 597, concl. Latournerie Dr. Fisc. 1976 n° 21 c. 733.

[15] La dénomination « impôt sur le revenu des personnes physiques » ayant été abandonnée par la loi de finances pour 1971. Cf. article 2, I de la loi n° 70-1199, du 21 décembre 1970, de finances pour 1971 : « L’impôt sur le revenu des personnes physiques prend la dénomination d’‘ impôt sur le revenu’ ».

[16] Et alors même que le projet de modèle de convention OCDE de 1963 dont elle s’inspire comportait (c’est l’article 2 § 2), une définition des impôts sur le revenu comme tous impôts « perçus sur le revenu total […] ou sur des éléments du revenu […] y compris les impôts sur les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, les impôts sur le montant des salaires payés par les entreprises, ainsi que les impôts sur les plus-values ».

[17] CE 9° et 10° ssr, 20 novembre 2013, n° 361167 N° Lexbase : A0573KQB RJF 2014 n° 149, concl. F. Aladjidi, BDCF, 2014 n° 20.

[18] La décision juge, dans la foulée, que le prélèvement social de 2 % institué après l’avenant du 22 juillet 1997 à la convention de 1966 (et qui ne pouvait donc être un « impôt actuel ») constitue un impôt futur de nature identique ou analogue s’ajoutant aux impôts actuels visés par la convention ou les remplaçant – la décision ne le précise pas explicitement mais on peut penser que le prélèvement social a été regardé comme un impôt de nature identique à la CSG et à la CRDS dont l’assiette est exactement la même.

[19] CE Plénière, 13 juin 2018, n° 415769, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2905XRZ, rec. p. 259, RJF, 2018, n° 974, à nos concl. C974.

[20] CE 8° et 9° ssr., 23 juillet 1976, nos 99398-0050 N° Lexbase : A6194B8W, rec. p. 375.

[21] CE 8° et 3° ch.-r., 27 mai 2020, n° 434067, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A56503M9, T. p. 717, RJF, 2020, n° 661, à nos concl. C661, Dr. Fisc. 2020 n° 27 c. 298.

[22] Cf. pour un rappel de l’état du droit : rapport Sénat n° 39 (1973-1974) fait au nom de la commission des finances du Sénat par M. Yvon Coudé du Foresto, T. II, p. 14.

[23] CE, 3ème et 8ème chr, 2 avril 2021 n° 428084 N° Lexbase : A50294NL, Ministre de l'action et des comptes publics c/ M. Lesne, à mentionner aux T., RJF 2021 n° 661, concl. M.-G. Merloz C661, Dr. Fisc. 2021 n° 38 c. 336, chron. G. de la Taille RJF 11/21.

[24] Et il nous semble que c’est l’inclination de la doctrine administrative : cf. BOI-INT-DG-20-20-100-19/02/2020 § 110 à 140.

newsid:481495

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.