Le Quotidien du 19 août 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L’impossibilité pour le juge-commissaire d’accorder des délais de paiement au locataire d’un bail à usage commercial

Réf. : Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.164, FS-B N° Lexbase : A33907XT

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N1791BZD

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[Jurisprudence] L’impossibilité pour le juge-commissaire d’accorder des délais de paiement au locataire d’un bail à usage commercial. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/86685158-0
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 05 Août 2022

Mots-clés : liquidation judiciaire • bail commercial • défaut de paiement des loyers • constat de la résiliation du bail commercial devant le juge-commissaire • possibilité pour le preneur d’obtenir des délais de paiement (non) 

Le locataire d’un bail commercial ne peut obtenir de délais de paiement de la part du juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation du bail.


 

Le Code de commerce contient deux séries de dispositions régissant le constat de la résiliation du bail commercial en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges. La première série figure dans le livre I dudit Code et prévoit que cette résiliation est constatée devant le juge du tribunal judiciaire (C. com., art. L. 145-41 N° Lexbase : L1063KZE et R. 145-23 N° Lexbase : L4149LTT) ou son président appelé à statuer en référé en application de la clause résolutoire insérée au bail. L’autre catégorie de dispositions est insérée au livre VI du Code de commerce et précise que le constat de la résiliation est présenté devant le juge-commissaire (C. com., R. 622-13, al. 2 N° Lexbase : L9319IC7). Ces dispositions existent depuis la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) et ont été reproduites par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT).

Rapidement la question s’est posée de savoir si, lorsqu’une procédure collective était ouverte, le bailleur commercial disposait d’une option de compétence. La Cour de cassation a répondu à cette question par l’affirmative dans un arrêt en date du 10 juillet 2001 [1] qui a retenu que la compétence donnée au juge-commissaire pour constater la résiliation de plein droit des contrats poursuivis après l’ouverture de la procédure collective n’excluait pas la compétence du juge des référés, appelé à statuer en application de la clause résolutoire insérée au bail et de l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE (ancien article 25 du décret du 30 septembre 1953) indépendamment du déroulement de la procédure collective.

Puis le problème s’est posé de savoir si les règles de forme de droit commun pour obtenir le constat de la résiliation du bail commercial (c’est-à-dire la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail resté infructueux pendant un mois : C. com., art. L. 145-41, al. 1er N° Lexbase : L1063KZE) devaient être respectées alors que le constat de la résiliation était sollicité devant le juge-commissaire. La Cour de cassation, par des arrêts remarqués, a précisé que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement des articles L. 622-14, 2° N° Lexbase : L8845INW (en sauvegarde ou redressement) ou L. 641-12, 3° N° Lexbase : L8859ING (en liquidation) d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective du preneur, « cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail » de sorte, que « le bailleur, qui demandait la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce » [2].

Cette affirmation de l’autonomie de la résiliation de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement de créances postérieures au jugement d’ouverture n’allait pas de soi et nous semblait extrêmement critiquable [3]. Il faut aujourd’hui en prendre acte et constater que, cette question centrale étant réglée, ne subsistent plus que quelques questions périphériques d’importance. L’occasion est ici donnée, dans l’arrêt commenté, de s’intéresser à l’une d’elles : le juge-commissaire saisi, en application de l’article R. 622-13, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L9319IC7, d’une demande de constatation de la résiliation de plein droit du bail peut-il accorder des délais de paiement au locataire ?

En l’espèce, une SCI a donné en location à la société C des locaux destinés à l’exercice de son activité commerciale. La société C a été placée en liquidation judiciaire en 2016. Par ordonnance du 8 mars 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société C. Puis, par requête du 21 mars 2017, la SCI bailleresse a demandé au juge-commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l’ouverture de la liquidation judiciaire. Le locataire a alors sollicité du juge-commissaire des délais de paiement, ce que les juges du fond lui ont refusé.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si, lorsque le juge-commissaire est saisi en application des dispositions du livre VI du Code de commerce d’une demande de constat de la résiliation du bail commercial, pour défaut de paiement des loyers dus après le jugement d’ouverture, le juge-commissaire peut accorder des délais de paiement au locataire.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation répond à cette question par la négative : « Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l’article L. 641-12, 3° du Code de commerce N° Lexbase : L8859ING d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à l’occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. Dans un tel cas, le juge-commissaire doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions sont réunies et ne peut accorder des délais de paiement prévu par l’alinéa deux de ce dernier texte, qui est inapplicable, ni même faire usage de la faculté d’accorder des délais de paiement en application de l’article 1343-5 du Code civil N° Lexbase : L0688KZI, le seul délai opposable au bailleur étant le délai de trois mois prévus par l’article R. 641-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9312ICU, pendant lequel il ne peut agir ».

La solution était annoncée [4] et la cause est aujourd’hui entendue : lorsque la demande de constat de la résiliation du bail commercial est présentée devant le juge-commissaire, ce dernier, qui ne statue pas comme le ferait le juge du bail commercial, ne peut accorder au locataire ni les délais de paiement spécifiquement prévus par le statut des baux commerciaux, ni les délais de grâce du Code civil.

Pour dénier au locataire la possibilité de bénéficier des délais spécifiquement prévus par le statut des baux commerciaux, la Cour de cassation juge que la procédure de constat de la résiliation du bail commercial par devant le juge-commissaire est différente de celle instituée devant le juge des référés du tribunal judiciaire. C’est ce qui justifie que le locataire ne puisse bénéficier des délais de paiement spécifiquement prévu par l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE.

Pour dénier au locataire la possibilité de bénéficier des délais de grâce du Code civil, la Cour de cassation observe que le locataire dispose déjà d’un délai lui permettant de régulariser les impayés dus après l’ouverture de la procédure collective. En effet, la  demande de constat de résiliation du bail ne peut être présentée qu’après l’expiration d’un délai de trois mois courant à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective (C. com., art. L. 622-14, 2° N° Lexbase : L8845INW en sauvegarde et en redressement ; C. com., art. L. 641-12, 3° N° Lexbase : L8859ING en liquidation renvoyant aux 3ème à 5ème alinéas de l’article L. 622-14 N° Lexbase : L8845INW). Ce délai peut être mis à profit par le locataire pour régulariser les impayés, de sorte que le locataire dispose déjà de délais de paiement.

Cela est exact, mais on observera que ces délais de paiement sont ici réduits à trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure ce qui est bien peu comparé aux délais de grâce du Code civil et aux délais que peut accorder le juge des référés du tribunal judiciaire. Il y a donc bien deux poids deux mesures, et la solution est d’autant plus difficile à admettre que le locataire est ici sous procédure collective.

Mais c’est peut-être là faire comprendre que le droit de propriété du bailleur serait davantage respectable que le droit au bail d’un locataire sous procédure collective. Derrière le droit, il peut y avoir aussi une volonté politique.

Terminons en indiquant que le choix de saisir le juge-commissaire de la demande de constat de la résiliation du bail plutôt que de saisir le juge des référés du tribunal judiciaire emporte une autre conséquence de fond. Puisque le juge-commissaire ne peut, comme le dit la Cour de cassation, que constater la résiliation si les conditions en sont réunies, d’évidence, le juge-commissaire n’aura pas le pouvoir d’ordonner l’expulsion du locataire une fois la résiliation du bail constatée.

Il importe donc au bailleur de faire le bon choix de la procédure en posant le pour et le contre, chacune des deux procédures présentant des inconvénients et des avantages spécifiques.

 

[1] Cass. com., 10 juillet 2001, n° 99-10.397, publilé N° Lexbase : A1717AU7, D., 2001, AJ 2830, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2001/14, n° 177, obs. C. Régnaut-Moutier ; JCP E, 2001, pan. 1602 ; Gaz. Pal., 8-9 février 2002. 31, note Brault; JCP E, 2002, Chron. 175, p. 174, n° 14, obs. Ph. Pétel – Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.117, F-D N° Lexbase : A6892DUS.

[2] Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127, F-D N° Lexbase : A91813BN, Gaz. Pal., 21 avril 2020, n° 15, p. 68, note F. Kendérian ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, février 2020, n° 624 N° Lexbase : N2234BYE.

[3] V. nos obs. préc. sous Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127, F-D, préc.

[4] V. nos obs in fine préc., sous Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127, F-D, préc.

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