Le Quotidien du 17 août 2022 : Eoliennes

[Questions à...] Pas d’éoliennes au pays de la « recherche du temps perdu » – Questions à Antoine Bourrel, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Pau

Réf. : CAA Versailles, 2e ch., 11 avril 2022, n° 20VE03265 N° Lexbase : A98217TW

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N1483BZX

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[Questions à...] Pas d’éoliennes au pays de la « recherche du temps perdu » – Questions à Antoine Bourrel, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Pau. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/86647525-0
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le 05 Août 2022

Mots clés : éoliennes - paysage - patrimoine - Proust - ICPE

La préservation d’un paysage présentant une composante immatérielle liée à son évocation au sein d’une œuvre littéraire reconnue, à savoir À la recherche du temps perdu écrit par Marcel Proust entre 1906 et 1922 justifie que soit déclaré légal l’arrêté préfectoral refusant d’autoriser l’implantation d’éoliennes au sud-ouest de la commune d’Illiers-Combray (Eure-et-Loir), lieu où se déroule en partie cette saga romanesque qui a marqué l’imaginaire mondial et qui valut à son auteur le prix Goncourt en 1919 pour le deuxième tome de la série (intitulé À l'ombre des jeunes filles en fleurs). Pour faire le point sur cet arrêt, Lexbase Public a interrogé Antoine Bourrel, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Pau*.


 

Lexbase : Quels sont les cas dans lesquels le Code de l’environnement s’oppose à l’implantation d’éoliennes ?

Antoine Bourrel : Le Code de l’environnement ne comporte pas, pour ainsi dire, de dispositions qui auraient pour objet d’interdire, à proprement parler, l’implantation de parcs éoliens terrestres. De manière anecdotique, on peut certainement citer l’article L. 341-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7993K9W aux termes duquel l'inscription des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général entraîne sur les terrains concernés une interdiction générale de construire.

Il est vrai en revanche que le Code de l’environnement comporte des dispositions relatives aux parcs éoliens qui peuvent avoir pour objet de réglementer spécifiquement leur implantation. C’est le cas en particulier de l’article L. 515-44 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6392LCQ qui vient poser une interdiction connue du grand public : l’obligation de respecter une distance minimale de 500 mètres entre l’installation et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation telles que définies dans les documents d’urbanisme. C’est également le cas des arrêtés ministériels de prescriptions générales pris en application du code qui encadrent, notamment pour des raisons de sécurité publique, l’implantation des éoliennes en imposant le respect de distances minimales par rapport aux installations nucléaires de base ou, encore, par exemple, aux radars météorologiques.

Plus généralement, les parcs éoliens constituant des ICPE, ils relèvent du régime de l’autorisation environnementale et sont soumis, à ce titre, aux règles du code de l’environnement applicables à ces installations dont certaines peuvent avoir pour effet de fonder un refus d’autorisation ou, le cas échéant (et sous réserve des possibilités de régularisation), l’annulation de l’autorisation. Ainsi que le rappelle la cour de Versailles dans son arrêt, l’article L. 181-3 du Code de l’environnement N° Lexbase : L4927MB4 permet en particulier au préfet de s’opposer à l’implantation d’un parc (ou de certaines éoliennes) s’il estime que l’autorisation ne peut être délivrée faute d’assurer la prévention des dangers et inconvénients pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du même code N° Lexbase : L6525L7S parmi lesquels figure, outre la commodité du voisinage, la santé, la sécurité et la salubrité publiques, la protection de la nature, de l’environnement et des paysages ou encore, la conservation des sites et des monuments.

Les dispositions de l’article L. 181-3 N° Lexbase : L4927MB4 et de l’article L. 511-1 N° Lexbase : L6525L7S du Code de l’environnement permettent ainsi, plus sûrement, d’encadrer l’implantation des parcs éoliens, même si leur application se révèle en pratique délicate dès lors qu’elles exigent de la part de l’administration, puis du juge en cas de recours, une appréciation concrète de la situation et des impacts du projet nécessairement empreinte de subjectivité ainsi que l’illustre l’arrêt de la Cour de Versailles.

Il convient également de souligner, sans prétendre ici à l’exhaustivité, que, d’autres réglementations peuvent s’opposer à l’implantation de parcs éoliens. On sait par exemple que les PLU peuvent interdire les constructions ou les soumettre à des conditions particulières. À cet égard, la récente loi « 3DS » du 21 février 2022 (loi n° 2022-217 du 21 février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique N° Lexbase : L4151MBD) vient créer un nouvel article L. 151-42-1 dans le Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4846MB4 qui prévoit que le règlement du PLU peut délimiter les secteurs dans lesquels l'implantation d'installations de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent est soumise à conditions, dès lors qu'elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l'usage des terrains situés à proximité ou qu'elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l'insertion des installations dans le milieu environnant.

Le Code du patrimoine peut également constituer un frein puissant. L’article R. 181-32 du Code de l’environnement N° Lexbase : L0910LNZ prévoit en effet que lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme l'architecte des Bâtiments de France si l'autorisation environnementale tient lieu des autorisations prévues par les articles L. 621-32 N° Lexbase : L9992LMZ et L. 632-1 N° Lexbase : L2459K9X du Code du patrimoine. Ainsi, lorsque les travaux situés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable (SPR) sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur de ce site, ou, lorsque des travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d'un monument historique ou des abords, l'architecte des Bâtiments de France peut refuser une demande d'autorisation ou l'autoriser avec des prescriptions.

Enfin, il a encore été récemment jugé par le Conseil d’Etat que lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation d'implanter ou d'exploiter une ICPE tel qu’un parc éolien au sein d'un parc naturel régional, elle doit s'assurer de la cohérence de la décision ainsi sollicitée avec les orientations et mesures fixées dans la charte de ce parc et dans les documents qui y sont annexés, eu égard notamment à l'implantation et à la nature des ouvrages pour lesquels l'autorisation est demandée, et aux nuisances associées à leur exploitation [1].

Lexbase : Est en l’espèce invoquée la notion de paysage présentant une composante immatérielle. Est-ce une première à votre connaissance ?

Antoine Bourrel : Cette décision se singularise en effet sur ce point. Jusqu’ici, les dispositions de l’article L. 511-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6525L7S étaient interprétées comme ne visant à protéger que les paysages, sites et monuments dans leur dimension matérielle. En l’espèce, alors que la société pétitionnaire estimait que l’exigence de protection des paysages au sens de l’article L. 511-1 ne s’applique pas au patrimoine immatériel, c’est-à-dire à des paysages simplement évoqués par des écrivains, la Cour juge au contraire que cette exigence de protection des paysages « qui est définie de façon très large peut conduire à refuser une autorisation d'implantation d'éoliennes afin de préserver un paysage présentant une composante immatérielle liée à son évocation au sein d'une œuvre littéraire reconnue ».

La décision de la cour administrative d’appel de Versailles traduit sans aucun doute une approche extensive du champ d’application de l’article L. 511-1 N° Lexbase : L6525L7S. Elle ne paraît pas toutefois constituer véritablement une première. En effet, sans faire référence au concept de « paysage présentant une composante immatérielle », la cour administrative d’appel de Douai avait eu l’occasion, quelques mois auparavant, de juger que le refus d’autorisation unique opposé par les préfets du Pas-de-Calais et de la Somme à l’implantation d’éoliennes pouvait être valablement justifié par le motif tiré de l’atteinte à « l’esprit » de lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale. Elle soulignait ainsi que « l'esprit de ces lieux de mémoire des combats de la première guerre mondiale est une composante des atteintes aux intérêts protégés par les dispositions ci-dessus reproduites de l'article L. 511-1 du Code de l'environnement et de l'article R. 111-27 du Code de l'urbanisme, et notamment au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants et à la conservation des sites » [2].

Lexbase : Au final, cette décision vous paraît-elle justifiée ?

Antoine Bourrel : La réponse à cette question nécessite de bien comprendre le raisonnement suivi par la cour administrative d’appel et la façon dont il s’insère dans la mise en œuvre de l’article L. 511-1 N° Lexbase : L6525L7S selon les principes consacrés par le Conseil d’État.

En somme, ce que nous dit la cour, c’est que l’exigence de protection d’un paysage, un site ou monument contre des atteintes doit être appréciée en intégrant dans la grille d’analyse l’éventuelle composante immatérielle qui peut résulter de leur évocation par un auteur qui fait lui-même partie du patrimoine culturel national. En d’autres termes, la valeur des paysages, appréciée pour ce qu’elle est matériellement par l’administration sous le contrôle du juge, est, en quelque sorte, renforcée par l’hommage qu’un écrivain reconnu lui rend dans ses œuvres. D’une certaine façon, le paysage concerné et l’œuvre de l’écrivain font corps si bien que la violation de l’article L. 511-1 qui résulte de l’atteinte au paysage matérielle par l’implantation d’éoliennes (ou toute autre ICPE) est doublée d’une atteinte à l’œuvre de l’auteur au travers de l’évocation de ce paysage.

Ainsi comprise, la décision des juges versaillais paraît justifiée en ce qu’elle ne fait pas litière de la grille de lecture que le juge administratif met en œuvre pour l’application de l’article L. 511-1 N° Lexbase : L6525L7S. En effet, après avoir donné son interprétation de ces dispositions, la cour administrative d’appel rappelle (considérant n° 5) que le refus d’autorisation fondé sur l’atteinte au paysage ou à la conservation des sites et des monuments suppose de la part de l’administration, sous le contrôle du juge, une appréciation en deux temps au terme de laquelle l’autorité administrative doit d’abord apprécier la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel la construction est projetée avant d’évaluer l’impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

En l’espèce, elle prend en compte le fait que bien que le projet en litige, comme l’affirme la société pétitionnaire, s'intègre dans un paysage de plateaux agricoles sans intérêt paysager particulier, avec un léger relief, des écrans végétaux, qui est partiellement artificialisé en raison de la présence d'infrastructures ferroviaires et routières et de silos à céréales, la partie du village d'Illiers-Combray située à l'ouest en direction de la zone d'implantation projetée, a été classée comme un site patrimonial remarquable en application de l'article L. 631-1 du Code du patrimoine N° Lexbase : L2454K9R. Elle souligne à cet égard que ce classement qui a le caractère de servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols a pour objet de protéger, conserver et mettre en valeur le patrimoine culturel constitué, en l’espèce, de l’esthétique du bourg et de son clocher, du parcours pédestre de découverte de plusieurs sites liés à la vie ou à l’œuvre de Marcel Proust. Enfin, elle relève que le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin romantique à l'anglaise du Pré Catelan situé à proximité du Loir, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, font l'objet d'un classement au titre des monuments historiques. En résumé, la Cour se livre, après le préfet, à une appréciation de la qualité des sites et paysages selon une approche matérielle tout à fait classique.

L’analyse que fait ensuite la cour administrative d’appel (considérants n°s 7 et 8) de la gravité des impacts en termes de visibilité et covisibilité du parc éolien sur le site patrimonial remarquable et sur les monuments historiques s’inscrit également dans une approche conforme au second temps de la grille de lecture.

Elle s’achève, en revanche, de façon plus remarquable, par la prise en compte de la dimension immatérielle des paysages, en soulignant que Marcel Proust a décrit la plupart des lieux concernés par les impacts dans la première partie de son roman Du côté de chez Swann, intitulé « Combray » en relevant que le « lien qui existe entre ce paysage et l’œuvre de Marcel Proust est à l’origine des avis négatifs de l’architecte des bâtiments de France, des maires d’Illiers-Combray et de Méréglise et du commissaire enquêteur. En définitive, ainsi que cela résulte du considérant 8, le refus d’autoriser le parc éolien est fondé sur le caractère significatif des atteintes portées au paysage protégé dans sa dimension matérielle (les monuments historiques, le SPR, l’intérêt paysager et patrimonial du village d’Illiers-Combray). Il est par ailleurs conforté par les atteintes au paysage pris dans sa dimension immatérielle ce dont témoigne la référence aux actions culturelles autour de l’œuvre de Marcel Proust menées par des acteurs publics et privées et le fait, souligné par la cour administrative d’appel, que les évocations littéraires de Marcel Proust « sont encore pour partie matériellement inscrites dans ces lieux ».

Lexbase : Si elle faisait école, cette décision pourrait-elle enclencher un processus de blocage de ces installations ?

Antoine Bourrel : Il est délicat de répondre de façon tranchée à cette question. Tout d’abord, il est évident qu’un arrêt de cassation du Conseil d’État serait bienvenu : il permettrait de confirmer ou d’infirmer le raisonnement de la cour administrative d’appel qui intègre une composante immatérielle dans la notion de paysage au sens de l’article L. 511-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6525L7S.

Cela étant, à supposer que le Conseil d’État valide une telle approche, il faut bien avouer que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles réunit des circonstances particulièrement exceptionnelles qui ne devraient pas se reproduire souvent. Il convient également d’insister sur un point qui ressort de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles (on le retrouve également dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai, préc.) : la dimension immatérielle du paysage ne se suffit pas à elle-même et le juge doit, en tout état de cause, apprécier la qualité intrinsèque des paysages.

De fait, en pratique, on observe que le processus de blocage des parcs éoliens terrestres résulte le plus souvent des atteintes au paysage entendu au sens strictement matériel et de phénomènes de saturation des zones d’implantation, sans compter les parcs (nombreux) dont le développement est stoppé net faute pour le pétitionnaire d’être en mesure d’obtenir une dérogation pour destruction d’espèces protégées sur le fondement de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5047L8G.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] CE, 21 avril 2022, n° 442953 N° Lexbase : A35527U4.

[2] CAA Douai, 15 juillet 2020, n° 19DA00047 N° Lexbase : A61043RI.

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