Réf. : Cass. crim., 21 juin 2022, n° 21-85.691, FS-B N° Lexbase : A9880773
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N1981BZE
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par Adélaïde Léon
le 27 Juillet 2022
► Les articles L. 4141-1 et L. 4141-5 du Code du travail, aux termes desquels, il revient à l’employeur de dispenser une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier et d’organiser une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des travailleurs qu’il embauche et des travailleurs qui changent de poste de travail ou de technique, ne comportent pas d’obligations particulières de prudence et de sécurité imposées par la loi ou le règlement au sens de l’article 222-20 du Code pénal.
Lorsqu’à l’occasion d’une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les unes visées par l’article L. 4741-1 du Code du travail, les autres prévues par l’article 222-20 du Code pénal, les peines de même nature se cumulent.
Rappel des faits. Un homme est victime d'un accident du travail à bord d'un navire de pêche. Son incapacité totale de travail a été évaluée à soixante jour. Il dépose plainte à la gendarmerie maritime à l’encontre du mécanicien de bord et de la société Armement.
À l’issue de l’enquête, la société Armement et l’armateur ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et emploi de travailleurs sans organisation et dispense d’une information et d’une formation pratique et appropriée en matière de santé et de sécurité.
Le tribunal les a déclarés coupables de ces chefs. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
En cause d’appel. La cour d’appel a condamné la société pour blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs et son représentant pour blessures involontaires.
Selon les juges, la victime n’avait reçu aucune formation pratique et appropriée à la manœuvre dangereuse de virage de chalut. La cour retient que cette absence de formation était à l’origine de l’accident puisque son bras droit a été pris dans le treuil que le mécanicien a mis en marche.
La cour d’appel a considéré que les faits avaient été commis par l’armateur en qualité de représentant de la société, agissant au nom et pour le compte de la société, lequel avait omis de délivrer une formation spécifique à la victime pour l’exercice d ‘une manœuvre particulièrement délicate.
Or, selon la cour, l’obligation de formation et d’information est une obligation de sécurité prévue par la loi et le règlement.
Dès lors, l’absence de formation à la sécurité constituait une faute caractérisée ayant exposé la victime à une situation dangereuse de la part de la société Armement et démontrait une volonté délibérée de violer une obligation particulière de sécurité de la part de son représentant.
La société Armement et son représentant ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel.
Moyens des pourvois. Le représentant faisait grief à la cour d’appel de l’avoir déclaré coupable du délit de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail alors que le délit n’était pas caractérisé et que la cour n’avait pas vérifié si l’absence de formation délivrée à la victime n’était pas sans rapport avec la survenance de l’accident.
La société Armement reprochait quant à elle aux juges d’appel de l’avoir déclarée coupable alors qu’elle n’avait pas visé de violation manifestement délibérée, qu’elle n’avait pas cherché si l’obligation de formation constituait une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement et enfin que la cour n’avait pas vérifié si l’absence de formation délivrée à la victime n’était pas sans rapport avec la survenance de l’accident.
Décision. La Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel au visa des article 222-20 du Code pénal N° Lexbase : L3400IQY et L. 4141-1 N° Lexbase : L6387IWH et L. 4141-2 N° Lexbase : L1486H9W du Code du travail.
Le premier de ce texte prévoit qu’est constitutif d’un délit le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois.
Dans un arrêt de 2019, la Chambre criminelle avait précisé que les obligations particulières de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement devaient s’entendre comme des obligations objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle (Cass. crim., 13 novembre 2019, n° 18-82.718, F-P+B+I N° Lexbase : A6182ZUI).
Selon les deux autres dispositions visées, il revient à l’employeur d’organiser et de dispenser une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier. Il doit organiser une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des travailleurs qu’il embauche et des travailleurs qui changent de poste de travail ou de technique. Cette formation doit fait l’objet d’un rappel périodique.
Pour la Chambre criminelle, les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du Code du travail ne comportent que des obligations générales de prudence et de sécurité et non des obligations particulières.
Dès lors, le défaut de formation visé en l’espèce ne pouvait constituer la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.
La Cour précise, s’agissant de la portée et des conséquences de la cassation que, lorsqu’à l’occasion d’une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les unes visées par l’article L. 4741-1 du Code du travail (délits réglementaires aux nombres desquels ont compte notamment le défaut de formation générale et de formation pratique et appropriée s’agissant notamment des consignes de sécurité ou encore des bonnes pratiques), les autres prévues par l’article 222-20 du Code pénal, les peines de même nature se cumulent.
La Chambre criminelle juge qu’en l’espèce, la cassation est limitée à la culpabilité et à la peine prononcées en application de l’article 222-20 du Code pénal, la déclaration de culpabilité au titre des infractions du Code du travail n’encourant pas la censure.
Contexte. On notera que dans un arrêt récent, la Cour de cassation avait donné raison à une cour d’appel qui avait considéré que les article L. 4141-1, L. 4141-2 N° Lexbase : L1486H9W, R. 4121-3 N° Lexbase : L0897LI3, R. 4141-13 N° Lexbase : L3763IAM et R. 4141-16 N° Lexbase : L3754IAB du Code du travail, constituaient des obligations particulières de prudence et de sécurité prévue par la loi ou le règlement. En réalité, elle avait en l’espère écarté « le débat portant sur la démonstration du caractère particulier de l’obligation » et ne s’était pas prononcée sur la question. Elle avait au contraire « déplacé son argumentation en direction de la faute caractérisée » estimant « au regard des énonciations des juges du fond, que celle-ci est bien démontrée au regard des manquements relevés à l’encontre de l’employeur » (M.-C. Sordino, Homicide involontaire : requalification de la faute délibérée visée par la prévention en faute caractérisée, Lexbase Pénal, mars 2022 N° Lexbase : N0720BZP).
Dans le présent arrêt, la Chambre criminelle recentre son argumentaire sur l’appréciation de la nature de l’obligation.
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