Le Quotidien du 29 mars 2022 : Energie

[Brèves] Marché de l’électricité : l'article L. 452-3-1, II, du Code de l'énergie, qui maintient des effets discriminatoires à l’égard de certains fournisseurs, est contraire aux dispositions de la Directive n° 2009/72

Réf. : Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-16.257, FS-B N° Lexbase : A63757Q8

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[Brèves] Marché de l’électricité : l'article L. 452-3-1, II, du Code de l'énergie, qui maintient des effets discriminatoires à l’égard de certains fournisseurs, est contraire aux dispositions de la Directive n° 2009/72. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/82688570-0
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par Vincent Téchené

le 28 Mars 2022

► En ce qu’il interdit toute action en réparation au titre de la pratique discriminatoire résultant du fait que certains fournisseurs d'électricité ont été contraints de supporter des coûts au titre de prestations effectuées pour le compte du gestionnaire de réseau, l'article L. 452-3-1 du Code de l'énergie est contraire à la Directive n° 2009/72 du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, laquelle impose aux autorités de régulation de mettre un terme aux situations discriminatoires.

Faits et procédure. Un fournisseur d'électricité sur le marché de détail a conclu avec le gestionnaire du réseau de distribution (GRD) une convention d'accès au réseau de distribution qui ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle mises à la charge du premier pour le compte du second. Le fournisseur a demandé au GRD la mise en place d'un contrat de prestation de services de gestion de clientèle (CPS).
Par la suite, reprochant au GRD de ne pas accéder à sa demande, le fournisseur a saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (le Cordis) afin qu'il constate une infraction au principe de non-discrimination et le rétablisse dans ses droits en enjoignant au GRD de lui transmettre le CPS réclamé.

Quelques mois après cette saisine et avant la décision du Cordis, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 N° Lexbase : L7947LHS a été adoptée, qui a créé, au sein du Code de l'énergie, l'article L. 341-4-3 N° Lexbase : L9165LHW prévoyant que les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d'électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture d'électricité peuvent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant seraient fixés par la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), et l'article L. 452-3-1, II N° Lexbase : L9166LHX, disposant que, « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux [...] et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi. Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation ».

Le 13 juillet 2018, le Cordis a rendu sa décision retenant que le GRD avait méconnu son obligation de traitement non discriminatoire prévu à l'article L. 322-8 du Code de l'énergie N° Lexbase : L4813L3N.

Le GRD  a donc formé un recours contre cette décision. Le fournisseur a, par voie d'observations, demandé à la cour d‘appel de mettre fin à la situation discriminatoire qu'elle subissait en enjoignant au GRD de lui communiquer, sous astreinte, un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs.

La cour d’appel ayant annulé la décision du Cordis et déclaré les demandes du fournisseur irrecevables (CA Paris, 5, 7, 27 février 2020, n° 18/19515 N° Lexbase : A72843GU), ce dernier a formé un pourvoi en cassation.

Décision. Le fournisseur développait deux arguments principaux au soutien de son pourvoi : le premier relatif à la procédure devant la cour d’appel, le second relatif à la compatibilité du droit national avec le droit européen.   

  • Sur la procédure devant la cour d’appel

Aux termes des articles L. 134-21 N° Lexbase : L2361IQI et L. 134-24 N° Lexbase : L7256LXZ du Code de l'énergie, les décisions prises par le Cordis sont susceptibles d'un recours en annulation ou en réformation relevant de la compétence de la cour d'appel de Paris.

En outre, selon l'article R. 134-21 du Code de l'énergie N° Lexbase : L1400KWR, ces recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de ce code, par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du Code de procédure civile.

Enfin, aux termes de l'article R. 134-22 du même code N° Lexbase : L1401KWS, le recours est formé dans le délai d'un mois par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé. À peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. Et, toujours en application de ce texte, s'agissant du recours dirigé contre les décisions du Cordis autres que les mesures conservatoires, l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration.

L’arrêt d’appel a alors retenu que, s'agissant d'un recours et non d'un appel, l'application de la procédure d'appel est expressément exclue et que les décisions prises par le Cordis ne peuvent être contestées que par la voie du recours spécifique que les dispositions précitées prévoient. Il constate que les demandes du fournisseur ont été formées par voie d'observations, au surplus au-delà du délai de recours d'un mois.

Dès lors, pour la Cour de cassation, c'est exactement, et sans porter atteinte à la substance du droit du fournisseur d'accéder à un juge, que la cour d‘appel a retenu que, faute d'avoir formé lui-même un recours dans les formes et délais prescrits par les articles R. 134-21 et R. 134-22 du Code de l'énergie, il était irrecevable en ses demandes.

  • Sur la compatibilité du droit national au droit européen

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa du principe de primauté du droit de l'Union et des articles 32, § 1, et 37, § 10, de la Directive 2009/72, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité N° Lexbase : L6544IE4.

La Haute juridiction commence par rappeler le principe de primauté du droit européen dégagé dans l’arrêt Simmenthal (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77 N° Lexbase : A5639AUE) et celui d’invocabilité des Directives (CJCE, 19 janvier 1982, C-8/81 N° Lexbase : A6195AUY).

Elle relève ensuite qu’aux termes de l'article 32, § 1 ,de la Directive n° 2009/72, les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, y compris les entreprises de fourniture, un système d'accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau.

En outre, aux termes de l'article 37, § 10, de cette même Directive, les autorités de régulation sont habilitées à demander que les gestionnaires de réseau de transport et de distribution modifient au besoin les conditions, y compris les tarifs ou les méthodes visés au présent article, pour faire en sorte que ceux-ci soient proportionnés et appliqués de manière non discriminatoire.

Par ailleurs, interprétée à la lumière d’un précédent arrêt de la CJUE (CJUE, 29 septembre 2016, aff. C-492/14, point 78 N° Lexbase : A7365R4K), l'interdiction de discrimination tarifaire résultant de la Directive précitée s'oppose à une pratique consistant, sans justification objective, à accorder une rémunération à certains fournisseurs assurant des services au gestionnaire du réseau de distribution tout en la refusant à d'autres rendant ces mêmes services, créant ainsi, pour l'utilisateur de ce réseau, une discrimination au regard du coût à supporter.

Dès lors, pour la Haute juridiction, en ce qu'il interdit toute action en réparation au titre de la pratique discriminatoire précitée, l'article L. 452-3-1, II, du Code de l'énergie, qui en maintient les effets, est contraire aux dispositions de la Directive n° 2009/72/CE, de sorte que la cour d'appel, qui aurait dû laisser ce texte inappliqué, a violé le principe et les textes susvisés.

  • Décision au fond

La Cour de cassation considère que l'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie qu’elle statue au fond.

Elle relève ainsi que le GRD n'a fait valoir aucun motif justifiant une différence de traitement entre les fournisseurs d'électricité, autre que celui tiré de la date à laquelle ces fournisseurs avaient formulé une demande de CPS, sans pertinence avec la discrimination invoquée.

Par conséquent, pour la Cour, en refusant de faire droit à la demande du fournisseur tendant à bénéficier d'un contrat permettant le versement d'une compensation pour les services de gestion de clientèle accomplis au bénéfice du GRD, celui-ci a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire énoncée par l'article L. 322-8, 4°, du Code de l'énergie.

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